Il existe comme ça des lieux bannis pour les lecteurs des grandes bibliothèques car ils recèlent des livres ou des manuscrits à ne pas mettre entre toutes les mains. Ils ont pour nom « L'enfer des livres ». C'est ainsi que la narratrice du roman « La preuve par le miel » de la Syrienne Salwa Al Neïmi, bibliothécaire de son état et ayant accès à cet endroit interdit, a pu étendre ses connaissances et devenir une grande spécialiste de l'érotisme dans la littérature arabe. Ce roman qui raconte en fait les frasques d'une jeune femme vivant à Paris et affranchie de tous les tabous, se donne par ailleurs une mission pédagogique pour dresser un état des lieux de toutes les publications de l'érotisme dans la littérature arabe depuis sa genèse. Férue des plaisirs du corps, la bibliothécaire est sollicitée de facto par son directeur pour organiser à New York un colloque sur ce sujet très sensible dans le monde arabe car il est frappé d'opprobre par la montée d'une morale religieuse inquiétante. Il s'agit pour elle de prouver surtout à l'Occident qu'il existe une littérature arabe érotique très audacieuse par ses thématiques et révolutionnaire par ses approches malgré les clichés qui collent au monde musulman. Elle constate en effet une régression historique dans la production tandis que les institutions productrices du savoir occultent ce volet dans son aire géographique naturelle. Elle dit combien les spécialistes de la littérature arabe, originaires du Machrek ou du Maghreb, ignorent la richesse des fonds.Mais à côté de ces recherches passionnantes dans un fonds qui ne demande qu'à être dépoussiéré pour être redécouvert et mis en valeur, la vie continue pour la narratrice. Une vie où la recherche du plaisir et de nouvelles sensations est le credo. D'abord au travail, elle passe le plus clair de son temps à lire des livres érotiques avec la technique bien rodée de les caler au milieu d'un autre livre comme le font les adolescents étroitement surveillés par leurs parents. Ensuite pendant les pauses, c'est le papotage autour de la vie sexuelle des uns et des autres. Avec cette propension qu'ont les hommes à surestimer le nombre de conquêtes de l'autre sexe devant une présence féminine, histoire d'impressionner la galerie. Sans oublier de citer la pudeur de certaines femmes qu'elle nous présente comme des saintes, croyant toujours au grand amour et à la fidélité infaillible de certains hommes. La narratrice décortique ces comportements au scalpel en s'appuyant sur des exemples concrets d'anecdotes puisées dans le quotidien. Sa vie intime qui sert de fil conducteur à tout le roman est décrite avec moult détails où la transgression est de mise, nous rappelant « El Alfiya » une héroïne arabe libertine, connue pour ses multiples conquêtes et dont parle El Djahiz. Ce roman qui allie une narration fluide et les références savantes, constitue à coup sûr une bonne initiation pour se replonger dans une littérature érotique arabe dont la poésie continue à éblouir l'Occident par son audace et ses trouvailles. « La Preuve par le miel » de Salwa Al Neimi, Ed. Robert Laffont, Paris, 2008.