Tout porte à croire que l'Algérie des caisses renflouées par les pétrodollars recommence à prendre des allures hautaines. Le premier signe fut les milliards de dollars dépensés pour équiper lourdement l'ANP sous prétexte du manque de moyens adéquats dans la lutte contre le terrorisme, dont les unités de l'armée ont beaucoup souffert. Le seul résultat probant de l'acquisition de cet arsenal, pour le moment, est la relance de la course à l'armement avec le voisin alaouite pour le plus grand bonheur des fabricants et des vendeurs d'armes. Le préjudice de cette dépense, dans un pays à l'économie délabrée et qui vient à peine de se débarrasser du fardeau de la dette extérieure, n'est pas à prouver. Une autre coquette somme, d'un montant de 3 milliards de dollars, dégagée pour le mégaprojet de la construction de la plus grande mosquée du monde après celles de La Mecque et de Médine, attend son acquéreur, les Algériens exclus voir El Watan du 23/10/07. Cette dépense ne réjouit pas non plus les nombreux Algériens à la recherche d'un travail stable, et encore moins ceux qui rêvent d'une Algérie propre, sereine et résolument tournée vers le futur. En effet, les Algériens, conscients de l'aisance financière dans laquelle baigne le pays, par la seule grâce de dame nature, sentent leurs dirigeants incapables d'amorcer la relance économique tant espérée. Politiquement blasés, leur déception submerge toute lueur d'espoir. Cette terrible angoisse est reconduite en patience, à la faveur du désolant spectacle qu'offre la nouvelle trouvaille du pouvoir pour dilapider l'argent du peuple dans ce projet grandiose pour son concepteur, mégalomaniaque pour la plèbe. Après tant d'années de souffrance et de lutte contre l'abject qu'on refuse d'écraser, on constate que le pouvoir rejoue avec le feu en abattant avec une grande vanité les mêmes cartes qui nous ont conduits au désastre : une armée forte pour perpétuer le pouvoir des profiteurs du régime, un Etat au service de l'idéologie du système qui perdure depuis l'indépendance et l'entretien de la dangereuse illusion de la possibilité de domestiquer l'Islam politique. Naïvement, nous avions pensé que l'Algérie sortirait guérie et aguerrie de cette douloureuse période et qu'une fois son mea-culpa achevé et l'erreur avouée, elle s'engagerait sans retour pour le bonheur et la prospérité de son peuple. Nous avons surtout espéré que l'Etat serait particulièrement reconnaissant aux braves intellectuels assassinés, pour avoir écrit comment la liberté propulse les humains vers les étoiles. Au lieu de cela et au lieu d'essayer d'aider les petites gens à vivre décemment, en leur faisant définitivement comprendre que seul l'effort enrichit les nations, d'essayer sérieusement de comprendre la spécificité culturelle et régionale du Kabyle et son besoin, maintes fois revendiqué, de démocratie et de liberté d'action et de gestion des affaires de sa cité, d'essayer d'arrêter cette hémorragie que sont nos harraga avec des actions concrètes et durables qui éviteraient à certains d'entre eux la déperdition et l'humiliation, de faire la guerre á l'insalubrité, à la pollution croissante, de chercher studieusement un moyen d'adapter la religion au valeurs républicaines, nos dirigeants préfèrent, pour leur prestige personnel, la construction de la troisième plus grande mosquée du monde. L'Algérie est un pays qui possède au moins une mosquée dans chacun de ses villages. Du manque de lieux cultuels, l'Algérien ne se plaint pas. Le symbole, dont l'Algérie d'aujourd'hui a besoin, est plutôt la mise en valeur des idées des combattants de la liberté morts pour avoir empêché l'infâme de monter au trône. Voila le monument qu'il faudrait ériger à Alger ou ailleurs, pour que l'humanité se souvienne de ce qui s'est passé chez nous. Il est, par ailleurs, difficile d'admettre l'utilité de ce projet dans l'espace d'Alger ou de sa banlieue sans problème majeur de circulation et d'insécurité. Imaginez presque deux fois la foule que peut contenir le stade du 5 Juillet, se rendre chaque vendredi dans l'enceinte de cette future mosquée. Le peuple algérien est débrouillard me dit un ami, en plus il a l'habitude de jouer des coudes. Un tant soit peu, j'y ai adhéré. Après tout, la recherche de la spiritualité vaudrait bien les nuisances d'une turbulente concentration d'humbles croyants en quête de Paradis. Mais la récente étude, sur la qualité de vie dans 132 villes de par la planète, faite pour le compte du magazine britannique The Economist, qui a classé Alger à la dernière place, et cela, il faut le rappeler, sur la base de 40 indicateurs regroupés dans cinq catégories : stabilité, services de santé, culture et environnement me revint à l'esprit. Bien que les habitants d'Alger et ses environs le savent depuis longtemps, il était bon de se l'entendre dire. Maintenant, tout le monde le sait, il ne fait vraiment pas bon de vivre à Alger. Nous savons tous que l'ensorcellement déroutant, l'envoûtement magique qui réveillent nos sens les plus enfouis, qu'exercent certaines grandes villes sur nous sont, non seulement dûs au rayonnement et au bouillonnement culturel qui s'y dégagent, mais aussi aux messages pleins d'humanisme que nous délivrent les sites et monuments qui ont fait dire un jour à l'illustre Auguste Rodin : «Un art qui a de la vie ne reproduit pas le passé ; il le continue». La tour métallique parisienne de Gustave Eiffel, cet amas de ferraille magistralement superposée, ne représente-il pas le symbole indétrônable de la révolution industrielle qui a transformé les sociétés agricoles de beaucoup de pays. C'est à ce genre de symboles que la jeunesse du monde, de plus en plus mouvante et curieuse, est réceptive. La prospérité d'un peuple se réalise en associant le génie du peuple au bonnes et adéquates décisions de leurs dirigeants, et non en construisant de somptueuses bâtisses. L'Histoire est impitoyable. Elle ne rangera pas le concepteur de ce projet de plus grande mosquée du monde parmi les saints, car cette construction injustifiée est contraire même à l'esprit de l'Islam, ni même parmi les despotes éclairés. Elle le rangera parmi les autocrates africains ayant appauvri leur peuple pour bâtir des monuments, à la mesure de leur vanité et de leurs complexes.