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40 coups de fouet pour un pantalon
Publié dans El Watan le 04 - 12 - 2009

Le pantalon est vert kaki, taille 40, comme il s'en vend des milliers dans les marchés de Khartoum. Mais celui-là a une histoire particulière. Repassé et accroché à un cintre, Loubna l'a soigneusement remisé dans une armoire de sa maison, dans la banlieue de Khartoum, au Soudan. Ce pantalon est l'objet de tous malheurs de Loubna Ahmed Al Hussein, journaliste soudanaise.
Pour témoigner, Loubna a donc écrit 40 Coups de fouet pour un pantalon (Editions Plon, 228 p) «Les femmes ne doivent pas attendre que leurs droits soient reconnus de façon spontanée, il faut les arracher, dit-elle. Moi ce que je voulais, c'est attirer l'attention sur cet article de loi contraire aux droits de l'homme et même en contradiction avec les principes des lois de l'Islam.»
C'était donc un vendredi 3 juillet. Loubna, journaliste et cadre à l'ONU, est attablée dans un restaurant chic au doux nom d'Oum Kalthoum. Quelque 300 personnes y étaient conviées pour une soirée animée par un chanteur égyptien. La fête bat son plein quand la police fait une descente musclée pour embarquer treize femmes, dont Loubna. Motif ? Ces dévergondées portent des pantalons. Un crime ? Mais bien sûr… «Au Soudan, affirme notre journaliste, dans les universités et dans toutes les institutions de l'Etat, il est interdit de porter le pantalon. C'est aussi interdit au marché, ou dans un restaurant.»
Ni une ni deux, les treize criminelles sont alors conduites au commissariat. Sur place, les policiers, aussi zélés et procéduriers qu'un huissier de justice, procèdent à un défilé de mode pour déterminer les normes de l'habit en se référant à l'article 152 du code pénal soudanais adopté en 1991, deux ans après le putsch militaire qui a porté au pouvoir l'actuel président Omar El Béchir, soutenu par les islamistes. Conclusion : le vêtement porte atteinte à la morale et à la pudeur islamique. Loubna est placée en garde à vue dans une prison. Son portable lui a été confisqué, mais elle donnera tout de même des interviews à la presse internationale. Ses gardiens se rendent compte qu'ils n'ont pas à faire à une paysanne, mais à une femme lettrée, une battante qui ne courbe pas l'échine, qui ne s'écrase pas. Après une nuit au mitard, elle sera libérée. L'affaire sera donc tranchée devant les juges.
Le 5 juillet s'ouvre le procès devant un tribunal islamique, à Khartoum. Loubna et ses deux compatriotes n'auront pas droit à un procès juste et équitable, mais à un simulacre de justice car le juge refuse d'entendre les témoins de la défense et se contente de donner la parole à l'accusation. Le verdict est aussi sévère qu'inique. Nous sommes en République islamique du Soudan. Si les douze malheureuses sont condamnées à recevoir 40 coups de fouet, Loubna écope d'une amende de 500 livres soudanaises (14 000 DA). Pourquoi ce traitement de faveur ? «Sans doute parce que je suis un peu connue hors de mon pays, explique-t-elle. J'ai considéré cela comme scandaleux, estimant qu'il y avait là non seulement une injustice, mais une violation du droit, une affirmation du fait qu'il n'y a pas égalité devant la loi.»
Bien sûr, Loubna renie le jugement. Surtout ne pas passer pour une privilégiée, une pistonnée. L'amende, elle refuse de la payer quitte à aller faire un séjour en prison.
Lorsque le président du Syndicat des journalistes soudanais lui propose de signer un engagement écrit de ne plus jamais porter le VOILE afin d'échapper aux poursuites judiciaires, elle l'envoie paître. Quand le président Omar El Béchir, visiblement gêné par la mobilisation internationale en faveur de Loubna, décide de lui accorder l'amnistie, la jeune femme s'y oppose. Mieux, elle renonce à l'immunité que lui confère son statut d'employée de l'ONU. Surtout ne pas passer pour une favorisée. «Je ne voulais pas qu'on fasse de mon affaire une histoire personnelle et une exception pour me faire taire, tandis que des milliers de femmes soudanaises continuent à être condamnées au fouet.»
Têtue, Loubna ? Non, engagée et obstinée. Son parcours dans la vie en fait foi. Née d'un mariage entre un père négociant yéménite et d'une mère d'origine mauritanienne, Loubna a été excisée à l'âge de 7 ans. Si elle fait des études supérieures en agronomie, privilège de nantis peut-être, elle n'est pas moins attirée par l'écriture. Elle veut être journaliste. Cela tombe bien. Son ex-mari, Abdel Rahman Mohktar, 70 ans, en plus d'être un homme d'affaires et un globe-trotter, était féru de journalisme tant et si bien qu'il avait fondé Al Sahafa, un journal dans lequel Loubna a exercé.
Bien que sa vie soit en danger – elle a quitté clandestinement le Soudan pour la France afin d'assurer la promotion de son livre – Lounbna ne compte pas baisser les bras. «J'ai reçu des menaces de mort avant même de pouvoir quitter le pays et avant même le procès. Pourtant, j'ai le désir de revenir dans mon pays, mais je dois prendre ces menaces au sérieux.»
En Algérie, on dirait d'elle que c'est une fehla…
|La jupe ? Layadjouz||Au Soudan, on ne badine pas avec la longueur de la jupe. Silva Kashif, 16 ans, de confession chrétienne, a reçu le 21 novembre dernier 50 coups de fouet pour avoir porté une jupe un peu trop courte aux yeux d'un magistrat de Khartoum. Arrêtée par un policier alors qu'elle se rendait au marché dans un faubourg de la capitale soudanaise, Silva a été TRAINEE avant d'être jugée, une heure plus tard, au terme d'un procès expéditif. Sous les yeux du juge, l'adolescente a reçu la sentence des mains d'une femme policière. «Elle portait une jupe et une chemisier normaux, comme des milliers de jeunes filles de son âge, s'offusque l'avocat de la jeune fille. Les autorités n'ont pas contacté ses parents et l'ont châtiée sur-le-champ.»
L'article 152 du code pénal soudanais – adopté en 1991, deux ans après le coup d'Etat du général Omar El Béchir appuyé par les islamistes – prévoit une peine maximale de 40 coups de fouet pour quiconque «commet un acte indécent, un acte qui viole la moralité publique ou porte des vêtements indécents». La jupe fait-elle partie de cette panoplie d'actes indécents ? Il semblerait que la longueur de l'habit est laissée à l'appréciation des juges et des policiers.|


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