– Alors que la nation arc-en-ciel a célébré, en ce mois de février, le 20e anniversaire de la libération de Nelson Mandela, une page de l'histoire algéro-sud-africaine reste méconnue du grand public. Dans les années 1960, l'Algérie a aidé Nelson Mandela dans sa lutte contre l'apartheid. Et vous en avez été un acteur principal. Racontez-nous… Nous devons d'abord revenir sur les raisons qui ont amené Mandela à contacter l'Algérie combattante, car ce premier contact a eu lieu hors de notre territoire national alors que notre pays, toujours en guerre contre le colonialisme français, n'était pas encore indépendant. Il faut rappeler que le regretté Walter Sisulu (pilier de la lutte anti-apartheid) avait contacté deux jeunes avocats partageant le même cabinet à Johannesburg, Oliver Tambo et Nelson Mandela, qui ont aussitôt rejoint les rangs de l'ANC. L'aveuglement du régime raciste de Pretoria, marqué par une longue histoire de massacres du peuple africain, de Sharpeville à Soweto jusqu'à l'assassinat délibéré de militants à l'image de Steve Biko, ont amené l'ANC à renoncer à la non-violence, décidant de passer à la lutte armée par la création d'une armée de libération nationale baptisée Umkonto we Sizwe (le «fer de lance de la nation»). – L'ANC voulait-elle prendre exemple sur le FLN alors en lutte contre le colonialisme français ? Il paraît évident que le passage du mouvement national algérien de la lutte politique menée par des partis à la Déclaration du 1er Novembre 1954 n'est pas passé inaperçu chez nos frères de l'ANC. Dans le souci de lancer la lutte armée sur des bases solides, l'ANC a chargé Nelson Mandela de quitter clandestinement l'Afrique du Sud et de prendre contact avec ces pays africains susceptibles d'aider le peuple sud-africain à s'affranchir du joug de l'apartheid, et particulièrement avec l'Algérie dont la lutte armée semblait sur le point de triompher. C'est ainsi que Mandela, accompagné de Robert Reisha (futur représentant de l'ANC en Algérie indépendante), s'est rendu successivement en Ethiopie, en Egypte (où il a eu son premier contact avec le GPRA) puis au Maroc. – Mais pourquoi cette discrétion algérienne dans l'aide qu'elle offrait au combat juste de Mandela ? Le commandant en chef de l'état-major de l'Armée de libération nationale (ALN), Houari Boumediène, dans une Algérie toujours en guerre contre la France coloniale il faut le souligner, savait très bien que le BOS (services de renseignement sud-africains) suivait de près les déplacements de Mandela. Ses contacts constituaient déjà pour le régime de Pretoria une activité criminelle. Nous étions inquiets que tout contact de Mandela avec une force combattante, l'ALN en l'occurrence, devienne à notre sens une circonstance aggravante qui le mette en position non plus d'activiste contre le gouvernement blanc mais de rebelle armé, donc passible de la peine de mort. Du moins, telle était l'hypothèse de travail qu'il ne fallait pas écarter. C'est pourquoi, conscients de la lourde responsabilité d'assurer la sécurité de Mandela, les responsables de l'ALN ont décidé d'entourer sa visite du secret le plus total. Un scénario a donc été élaboré pour protéger son anonymat : puisqu'une délégation de la Conférence des organisations nationalistes des colonies portugaises devait être reçue par l'ALN, autant intégrer Mandela et Reisha dans le groupe comme s'il s'agissait de simples membres de la délégation. Arrivés à l'état-major Ouest, le commandant Si Slimane, de son vrai nom Kaïd Ahmed, face à deux frères qui ne pratiquaient ni l'arabe ni le français, les a confiés à Si Djamal, de son vrai nom Cherif Belkacem. C'est alors que Si Omar Belmehdjoub se rappela qu'il y avait au sein de son commissariat politique un jeune officier anglophone. C'est ainsi que, par un simple accident de l'histoire et de la linguistique, je me suis trouvé le témoin privilégié du premier contact historique entre Mandela, représentant du combat du peuple d'Afrique du Sud, et l'ALN, bras armé du peuple algérien toujours en guerre contre l'occupation coloniale. Plusieurs jours et plusieurs nuits durant, dans un lieu tenu secret sauf pour un petit nombre d'officiers de l'ALN, Si Djamal, par le biais de mon rôle d'interprète, a répondu aux préoccupations des envoyés de l'ANC. S'agissant de la préparation des conditions nécessaires au déclenchement de la lutte armée, Mandela a été informé dans le détail des mesures à prendre avant toute opération armée : choix rigoureux et formation des premiers combattants, stockage des armes, des munitions, des aliments et des médicaments dans des caches inaccessibles aux forces de sécurité de l'apartheid, renseignements précis sur le déploiement et les effectifs de l'ennemi, etc… – Pourtant le contexte n'était pas le même… Sur le plan stratégique, Si Djamal a souligné les différences majeures avec le contexte algérien : l'Afrique du Sud, puissamment armée et soutenue par certaines puissances occidentales et, surtout par Israël, autre tenant de l'apartheid à l'égard des Palestiniens, était aussi encerclée par un véritable mur de sécurité constitué par l'Angola et le Mozambique sous domination portugaise, le sud-ouest africain, future Namibie annexée par Pretoria, le Nyassaland, futur Malawi, et les deux Rhodésie du nord et du sud, colonisées par la Grande-Bretagne. Par conséquent, il n'y avait aucune chance de trouver des bases arrière aux frontières pour infiltrer combattants et matériel. Dans le souci d'éviter un échec de la lutte et des massacres, il a été conseillé à nos amis de commencer par une intense activité diplomatique pour sensibiliser le monde entier à la cause du peuple d'Afrique du sud et gagner le soutien à la lutte de l'ANC. Entre temps, il a été clairement signifié à Mandela que l'ALN s'engageait d'ores et déjà à assurer la formation et l'équipement des futurs combattants de l'ANC. Sûrs que nous étions d'une victoire proche, Si Djamal assura Mandela que l'Algérie indépendante ne manquerait pas de manifester sérieusement et concrètement sa solidarité avec le combat du peuple sud-africain. L'avenir allait prouvait le sérieux de cette promesse puisque aucun pays ne s'est engagé aux côtés de l'ANC comme l'a fait l'Algérie et ce dès les premières semaines de l'Indépendance. A l'issue de ces longues séances de travail qui, aux yeux de l'Histoire, constituent le premier acte de coopération étroite entre les deux peuples algérien et sud-africain j'ai eu pour mission d'emmener Nelson Mandela et Robert Reisha en zone opérationnelle nord, où ils ont vu la réalité des tirs d'artillerie des français sur nos combattants, puis au camp d'instruction de Zghenghen dans le Rif. Nos deux hôtes, accompagnés par le regretté Bachir Taouti et moi-même, ont été reçus par le responsable de l'instruction le futur général de corps d'armée Mohammed Lamari. C'est là que j'ai eu l'occasion de donner à Nelson Mandela quelques rudiments sur le maniement des armes de guerre, formation plus que réduite en raison du temps très court qui nous était imparti. – Finalement, quand cette mission secrète de Mandela en Algérie fut-elle dévoilée ? Plus tard, les Accords d'Evian ayant mis fin à la guerre, le futur Président Ahmed Ben Bella libéré de prison rendait visite à l'ALN à la Base Ben Mhidi où il rencontrait Mandela. Des années plus tard, alors que Nelson Mandela était incarcéré au bagne de l'île de Robben Island après la parodie de procès de Rivonia, le responsable des relations extérieures de l'ANC, Johnny Makatini levait le secret en révélant au monde l'épisode de la mission de Nelson Mandela auprès de l'Armée de Libération Nationale algérienne. C'est ainsi que Nelson Mandela, l'Algérien, aura ouvert la voie de la solidarité algéro-sud africaine à d'autres Algéro-sud africains qui ont pour nom Oliver Tambo, président de l'ANC, Myriam Makeba, Mamma Africa, et tant d'autres combattants qui par-dessus les déserts et les savanes du continent auront prouvé que d'Alger à l'extrême nord à Capetown à l'extrême Sud l'Afrique est une et maîtresse de son destin. n |Bio express ???? |Nourredine Djoudi est né le 3 février 1934 à Essaouira au Maroc. Après des études d'anglais à Montpellier, il va représenter le FLN à Londres en 1955 puis rejoint l'ALN. Apres l'Indépendance, il est nommé à Rabat au Maroc, attaché militaire. En 1963, il prend la direction de la Tanzanie où il sera chargé de l'organisation des camps d'entraînement pour les mouvements de libération. A partir de 1974 et pendant neuf ans, Noureddine Djoudi sera secrétaire général adjoint de l'Organisation de l'Union Africaine (OUA). Abdelaziz Bouteflika président le nomme ambassadeur d'Algérie en Angola, aux Pays-Bas et… en Afrique du Sud.|