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Le simulacre de transition démocratique à l'épreuve du temps
Publié dans El Watan le 16 - 07 - 2009

« L'illusion de la nouvelle ère ouverte à l'intronisation de Mohammed VI est maintenant dissipée » ». Pour sa 10e fête du Trône, Mohammed VI ne pouvait rêver un tel bouquet de ronces offert par le journaliste Ali Amar, cofondateur du magazine Le Journal.
L'auteur du brûlot Mohammed VI, le grand malentendu nous reçoit chez lui, dans son somptueux appartement, situé dans une de ces non moins somptueuses résidences de la Corniche casablancaise. Le livre est introuvable au Maroc, frappé sournoisement d'interdiction, mais l'auteur y est toujours. Edité chez Calmann-Lévy, éditions Hachette (Groupe Lagardère), Librairie nationale, filiale marocaine de la maison d'éditions française, n'a pas jugé utile de distribuer le livre au Maroc. Qu'à cela ne tienne, le livre s'arrache… ailleurs et Ali Amar, qu'on dit vivant reclus chez lui, « largué » par ses amis, saute d'un avion, l'autre invité prisé des plateaux télés et enchaîne conférence sur conférence à travers le monde. Le journaliste, amateur de bourbon et de plume trempée dans du fiel, cache mal sa déception. « Les Marocains ont tout juste eu droit à une transition généalogique, monarchique, qui n'a pas permis une transition démocratique. » Un brin fataliste. « Pour notre génération à nous, qui avons vécu les 40 années de règne sans partage de Hassan II, la monarchie est devenue incontestable. Elle est intégrée dans l'histoire et la culture marocaine. On n'imagine pas, à vrai dire, un changement de régime au point où des Marocains défendraient un idéal républicain. Franchement, dans le monde arabe, entre un système monarchique ou républicain, la frontière existe-t-elle vraiment ? Il serait donc plus sensé de parler de démocratie, de séparation des pouvoirs… de libertés, car la monarchie en elle-même, en tant qu'institution, je ne la conteste pas aujourd'hui. Par contre, c'est le système qui nous a donné beaucoup d'espoirs mais qui n'arrive pas à se réformer de l'intérieur qui nous déçoit. Depuis la disparition de Hassan II et l'intronisation de Mohammed VI, on pensait vraiment inaugurer une nouvelle ère et passer un système plus démocratique, comme le système espagnol qui a fait ses preuves. A ces grands espoirs succède une grande déception. On s'aperçoit après coup, qu'on n'est pas allé aussi profondément dans cette transition restée inachevée. Pire, on est passé d'une monarchie absolue, répressive, féodale sous Hassan II, à une hypermonarchie qui concentre tous les pouvoirs, au point où celle-ci se retrouve seule. »
L'hypermonarchie : la terminaison politique de la décennie Mohammed VI, le résultat de dix années d'« alternance consensuelle », imaginée et mise en pratique par Hassan II avant sa mort en 1999. Le cabinet ministériel du socialiste de l'USFP, Abderrahmane Youssoufi en mars 1998, (Parti de l'ancien parti de l'opposant Mehdi Ben Barka, assassiné à paris en 1965 par les services de Hassan II) a été une « erreur politique monumentale », estiment les irréductibles opposants. Khalid Jemai, ancien membre du comité exécutif du parti Istiqlal, militant des droits de l'homme, doyen des journalistes marocains, n'a que des mots crus pour définir la « supercherie ». « L'alternance consensuelle ? Un non-sens. Une aberration. Deux concepts antinomiques. Ce qui est extraordinaire dans mon pays, c'est ce lexique politique que nous avons inventé et qui n'est au fond qu'aberration. Les gens ont tellement parlé d'alternance, de transition démocratique, qu'on a fini par penser que c'est cela la vérité. Or, il n'en est rien. On est en zone de transit depuis un demi siècle… »
Même avec un seul poumon (le journaliste a été séquestré, torturé en 1973), Khalid ne se résigne pas à garder le silence. Sa chronique incendiaire dans Le Journal lui offre, une fois par semaine, l'occasion de s'époumoner. Dans son viseur les tortionnaires attitrés de la monarchie, les hommes de main du roi qui ont érigé la terreur en mode de gouvernance. « L'alternance est le bras d'honneur de Hassan II à la classe politique. En faisant accéder accessoirement l'opposition au pouvoir, Hassan II pensait à pacifier la scène politique, assurer une transition en douce pour le futur roi sans concéder, pas même une once de pouvoir effectif, pour cette opposition ». Pis, explique le militant « droits-de-l'hommiste », le gouvernement Youssoufi n'avait rien d'un gouvernement d'alternance, mais tout juste un gouvernement de coalition : opposition+partis du pouvoir. Tout comme l'actuel gouvernement Abbas El Fassi, un gouvernement fantoche, qui ne dispose d'aucun pouvoir. La constitution du royaume, amendée en 1996, concentre tous les leviers entre les mains du roi. « L'article 19 de la Constitution fait du roi l'unique source du pouvoir. Du pouvoir absolu. » Hassan II, dans un discours au Parlement, a clairement signifié que l'alternance ne le concernait pas. En s'adressant aux députés, le roi a dit cela : « Lorsque vous parlez de séparation des pouvoirs, cela vous regarde. Pas moi car c'est moi la source du pouvoir. »
Les partis ? des « boutiques politiques »
Mohammed VI n'a pas fait entorse aux us royaux. Le nouveau roi règne par dahirs (décrets royaux) et ses proches conseillers font figure de gouvernement parallèle. Le cabinet de l'ombre. « Mohammed VI dit qu'il est la monarchie exécutive. Tout comme son père, il préside 53 conseils consultatifs, des structures parallèles en dehors des instituions officielles, qui vident de tout leur sens les pouvoirs, législatif, judiciaire et exécutif. Nous ne sommes donc pas dans une monarchie constitutionnelle, mais dans une monarchie absolue, d'où la nécessité de réviser la loi fondamentale pour rééquilibrer les pouvoirs ». Fin de citation. Classe politique caporalisée et affidée à la cour, les partis de l'ex-opposition transformés en « boutiques politiques » dirigés par des « généraux sans fantassins », les institutions élues, muées en caisses de résonance, la sphère politique marocaine n'existe que par la grâce du roi et pour le roi. Au Maroc tout ou presque lui appartient.
Siège du Parlement, Rabat, le 11 juin. Ahcène Daoudi, député du parti islamiste « light » PJD (justice et développement) est dans son élément à l'assemblée nationale. « Grande gueule » , Daoudi sait aussi amusé les travées du Parlement et campé le rôle d'opposant d'opérette. La cible du jour : les ministres « absentéistes ». Le député stigmatise les membres du gouvernement qui ont fait faux bond au Parlement et préféré à la séance plate des questions orales la foire électorale. On est à la veille des élections locales, le PAM, en majorité numérique à l'assemblée, s'apprête à grands renforts de transhumantes notabilités, caid, wali, députés, etc. qui l'ont rejoint parce que, dit-on, le parti est touché par la « grâce royale » de rafler le gros des sièges aux conseils communaux et municipaux. Un pied dans l'opposition, l'autre dans le makhzen, le PJD en perte de vitesse depuis son enrôlement en 2002 (c'est le cas également des autres partis de l'opposition : USFP, PPS, MP... qui ont intégré le Parlement et le gouvernement) sous la bannière du makhzen, n'est plus vraiment dans la course au pouvoir.
Daoudi, comme le PJD renonce, sans le reconnaître, à l'instauration d'un Etat théocratique et se contentent d'ersatz du pouvoir et de privilèges. La bataille pour le « contrôle » des richissimes villes impériales, le PJD les a toutes engagées. Slogan : moralisation de la gestion des affaires locales ! « Nous avons mené, dit-il, une campagne contre l'escobarisation des municipalités, contre l'utilisation de l'argent sale en politique… nous avons une expérience dans la gestion locale à faire valoir et nous sommes certains de gagner ces élections. » Le PJD est arrivé 8e au classement dans les élections locales. Autre islamiste, la Jamaâ du Cheikh Yacine. Mouvement hétéroclite, mi zaouïa, mi parti politique pro-iranien, Al Adl oua Al Ihssan (mouvement pour la justice et la bienfaisance) valse entre Wilayat al-Faqih le « gouvernement du docte » et la « Commanderie des croyants », Imarat Al Mouminine. La Jamaâ, perçue comme « inoffensive » par la monarchie, développe néanmoins un discours d'opposant. « Il n'y aura pas de vie politique au Maroc, pas d'institutions crédibles et indépendantes tant que l'article 19 de la Constitution, qui concentre tous les pouvoirs entre les mains du roi, est maintenu », estime Fathallah Arsalane, porte parole de Al-'Adl oua Al Ihssan. Constat partagé par une partie de gauche radicale marocaine et par la toute nouvelle « gauche amazighe » et différents mouvements autonomistes qui pullulent à Rabat et dans le Rif. Abdellah Al Harrif, secrétaire national de la Voie démocratique, groupuscules marxiste-léniniste, est de ceux qui revendiquent malgré le harcèlement policier, un « système démocratique », une « séparation des pouvoirs, un Etat laïque ». La Constitution de 1996 est une « Constitution octroyée, non démocratique et qui légitime le despotisme et le pouvoir absolu. Par cette Constitution, la monarchie a la mainmise sur tous les domaines de la vie politique, économique, religieuse, culturelle. Le roi décide de tout, possède tout ».


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