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C'est quoi, être Algérien aujourd'hui ?
Publié dans El Watan le 16 - 04 - 2010

– Hajar Bali. Auteure : «Se reconnaître dans chaque Algérien»
J'ai fait le test : si vous êtes à l'étranger et que vous rencontrez un compatriote, vous vous reconnaissez tout de suite. Vous savez et il sait que vous n'êtes ni Marocain ni Tunisien, ni rien qui ressemble à ça. Vous êtes Algérien. Pourquoi ? Il doit donc bien y avoir un signe distinctif, à partir duquel on pourrait définir la personnalité algérienne… Est-ce juste un petit quelque chose comme embrasser son index après avoir frotté son œil ? Ces gestes qui n'appartiendraient qu'à nous ? Ce n'est pas prouvé.
Qu'est-ce qu'être Algérien ? Comment se définit la nationalité algérienne ? Heureusement que j'ai mon dictionnaire perso (composé comme un wikipédia, avec des définitions qui me conviennent bien) : donc, mon dico perso dit : «Est Algérienne toute personne qui le désire.» Il y a si peu de nationalités qu'on choisit par amour ! L'algérienne en est une, autrement, qui en voudrait ? Il dit tout ça comme ça, mon dico.
kourouglis
Retournons à mon compatriote qui a décidé de m'accoster : oui je suis Algérienne. Vient ensuite la question numéro 2 : t'es Kabyle ? Faut que je sois prudente dans ma réponse. Observer mon interlocuteur, tenter de deviner son origine, m'y adapter par une réponse adroite, ne pas le décevoir. A moins que j'opte pour la réponse agressive du genre : c'est un problème ? Ou lui annoncer tout de go que je suis Mozabite ou Jijelienne, le genre d'appartenance qui met dans la gêne. Ou jouer le jeu de la noblesse avec un je suis Constantinoise ou Tlemcénienne, ou encore je suis d'origine turque authentique. Vous avez remarqué ? Les Kourouglis, mix de janissaires ex-bagnards (attention, je n'ai rien contre les bagnards : admirables, courageux et virils comme des héros de films de corsaires) et d'indigènes algérois. Ils sont Algériens, mangent la batata fliou chaque semaine et, en même temps, fiers d'être Turcs. Ça leur donne un plus, une odeur d'Europe ou de je ne sais quoi.
Je choisis finalement de déclencher son hilarité, à mon nouvel ami (on devient vite amis, par ici), par un «je suis Mascaréenne». Non, je plaisante. En réalité, il a soigneusement évité la deuxième question pour faire genre je suis «tolérant», comprenez : je te tolère dans mon espace, car je suis moderne, je ne pose pas la question qui me brûle les lèvres. Cette deuxième question flotte entre nous comme un non-dit. On reste silencieux un moment. Autrement, on a quoi à se dire ? Pester sur le débat nauséabond qui court en France à propos de l'identité. Chez nous, c'est différent, n'est-ce pas ? Les blacks du Sahel (pas les nôtres, bien sûr, nos blacks à nous du Sud : ceux-là ils sont si gentils, si authentiques, avec leurs chèches et tout, on les aime bien, quoi, on leur rend visite, on leur fait plaisir en chantant le gnawi. Non, pas d'amalgame. Eux, ils sont à nous).
Ceux du Sahel donc ne font que transiter chez nous, un peu comme nous en Tunisie : on transite, on s'y repose, on y fuit le terrorisme, mais on ne demande pas la nationalité tunisienne. Ça va pas ? Et puis, me dit mon nouveau compagnon, tu verras comment ils vont être quand ça pètera chez eux, tu verras, ça va péter ! Nous, on a attendu d'être en France pour réclamer nos droits à une citoyenneté «civilisée». Dommage qu'ils soient si racistes. Leurs flics, ils vous arrêtent pour délit de sale gueule. Nous au moins, nos flics, ils arrêtent les hittistes pour de vraies raisons, car ce sont tous des voyous ! Ah ça, c'est vrai ! Des voleurs en puissance. Et mal éduqués et tout.
Je vais insérer dans mon wiki une définition de hittiste : un mot qui perd un peu de sa modernité, mais que les autres nous jalousent car notre langue est tellement riche. Ensuite, on jettera un sort à ces Chinois qui, eux, pourraient, sans aucun état d'âme, s'intégrer (le dico annonce, pour «intégrer» : le contraire de dériver. Mais c'est aussi mathématique) à la grande nation algérienne. On dit qu'ils épousent des Algériennes, se convertissent à l'Islam, parlent arabe comme vous et moi. Voilà donc un vrai problème : ils ne sont pas identifiables dans la rue comme Algériens, d'ailleurs même si un Chinois vient à moi en me disant «khla dar bouk, ana maâssacri mah !», je ne le croirais pas. Et même s'il brandit le drapeau algérien lors des carnavals post-foot, je ne croirais pas à sa bonne foi. C'est ça, il faut quand même avoir un minimum de gueule pour être Algérien.
Le sort de l'Algérie, on s'en inquiète bien sûr. Entre nous. On se raconte nos épopées, les multiples invasions subies, etc., et puis, on est fiers, n'est-ce pas ? On se gargarise. On a une Révolution, des montagnes, le Sahara, la mer. Tout pour faire quelque chose de normal, de vivable. On a aussi un drapeau, du pétrole : de quoi justifier un débat sur l'identité algérienne. Beurk.
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– Salim Bachi. Auteur : «Vivre au pluriel»
A mon sens, être Algérien, c'est vivre au pluriel. Etre capable de se définir soi-même sans exclusive. Je suis Arabe, Berbère et, plus largement, Méditerranéen et Occidental. De la même manière, je suis aussi moi-même, Salim Bachi, le produit d'une histoire singulière qui échappe à toute qualification identitaire. Je suis un homme libre.
Je tends à l'être.
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– Nordine Azzouz. Journaliste : «Guetter la date d'expiration de mon visa»
Etre Algérien, pour moi, c'est deux rêves : celui d'assassiner sauvagement tous ces agents et propriétaires immobiliers qui nous louent des latrines pour des prix d'appart' à Wisteria (quartier des femmes au foyer désespérées). Celui de devenir maire de Sidi Yahia pour faire «chic» et rencontrer tous les agents gouvernementaux qui prennent un café à 100 DA pièce. C'est un sport : pronostiquer sur la prochaine émeute du logement, carte géographique en main, et attendre qui des indigènes de Tessala El Merdja ou des envahisseurs de Diar Echems (d'où vient ce nom menteur !) va l'emporter dans la bataille de mille ans qui s'est engagée entre eux. C'est une angoisse : guetter la date d'expiration de mon visa Schengen, même si je n'y suis pas souvent.
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– Bachir Mefti. Auteur et éditeur
Le discours officiel manie une grande hypocrisie en évoquant l'identité, qui reste entre les mains du pouvoir – et aux mains de ses opposants – une carte politicienne à jouer selon les circonstances
Une identité au futur
Ce qu'être Algérien veut dire ? Voilà une question difficile, une question qui fait peur, une question dérangeante. Pourtant, c'est l'une des questions les plus importantes que chacun de nous devrait se poser. Et y répondre en toute simplicité pourrait nous y noyer sans aboutir à une vérité. Je pourrais dire aussi que si je sais que je suis Algérien, en revanche, je ne saurais définir l'algérianité in fine. Est-ce qu'on parle d'identité géographique, historique ou autre ? Si la problématique de l'identité reste attachée au passé, à d'où nous venons et quelles seraient nos origines, elle est rarement rattachée à la question de savoir où nous allons ! Ce n'est jamais une question de futur. Et tant que l'identité reste basée sur une analyse de notre passé, cette question restera en crise. Notre passé est complexe, multiethnique, aux cultures et aux identités plurielles. C'est aussi un passé miné par les guerres, les conflits et le drame, boursouflé de dissidences ! Plusieurs civilisations sont passées par là, pas toujours dans une optique civilisée ou humaniste, mais plutôt dans la violence et la dépossession. Nous avons souvent été sous l'autorité des autres, sans notre consentement.
Vision absolutiste
Nous sommes les descendants de dynasties qui ont combattu, qui ont été soumises, qui ont triomphé, qui ont vécu une histoire violente avec ses pires horreurs. Par conséquent, nous, nous représentons le passé sous deux optiques : la conquête et la résistance. Et même après l'Indépendance en 1962, l'immaturité politique de notre élite dirigeante à l'époque l'a empêché de pousser notre identité vers l'avant, vers le futur. Ce qui a donné cette crispation sur l'identité arabo-musulmane et son exclusivité dans le cadre d'une vision absolutiste en niant l'identité amazighe. Nos repères culturels ont ainsi été normalisés et restreints à la seule sphère arabe et musulmane. Cette vision absolutiste s'est dénudée d'elle-même puisque cette identité, ces repères se sont révélés des slogans creux mettant mal à l'aise l'Algérien vis-à-vis de son identité.
D'ailleurs, ce mal-être identitaire est arrivé à son paroxysme avec l'incapacité de trouver un lieu linguistique commun entre nous et avec le continuel conflit entre arabophones et francophones ! Pour moi donc, de la manière dont il a été instrumentalisé, le passé ne pourra rien sauver. Il est temps de pousser notre identité à naviguer vers l'avenir et aller de l'avant. Le passé n'est pas une solution, c'est le handicap ! Je ne dis pas qu'il faut nier l'histoire, mais il faudrait cesser de mythifier le passé, de le présenter comme le point nodal de notre union sacrée. Il faudrait que l'histoire, que le passé deviennent une énergie nourrissant le dialogue entre le présent et l'avenir. Je me souviens de ce colloque organisé en Algérie autour de Saint Augustin, avec l'appui des hautes autorités. Il s'agissait d'un pas en avant vers notre réconciliation avec une partie de notre histoire qui est aussi chrétienne.
Mais l'arrestation d'une jeune femme, Habiba, accusée de prosélytisme chrétien, a montré que la réconciliation avec notre passé ne s'est pas traduite par une tolérance avec ce qui fait notre présent. Le discours officiel manie une grande hypocrisie en évoquant l'identité, qui reste entre les mains du pouvoir – et aux mains de ses opposants – une carte politicienne à jouer selon les circonstances. L'identité n'est pas ce qui fait consensus entre nous, mais reste le véritable sujet de notre crise.
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– Almokhtar Ag Mohamed. Enseignant : «C'est une fierté de me dire que je suis dans un pays qui sait d'où il vient»
Etre Algérien ce n'est pas seulement disposer la nationalité algérienne par le fait de naître de parents algériens ou d'être naturalisé par des dispositions légales. Etre Algérien, c'est se lever chaque matin et assumer l'histoire très riche et diversifiée de notre pays, se réclamer héritier de Massinissa, Saint Augustin et Ibn Badis. C'est aussi reconnaître et accepter l'apport des différentes civilisations ayant laissé des traces sur nos terres. Etre Algérien, c'est vivre dans la paix avec les autres peuples, utiliser le multilinguisme comme une force culturelle et non comme une honte qu'on traînerait toute une vie. Etre Algérien veut que l'on soit fier de notre ouverture d'esprit, celle qui a longtemps fait la réputation de l'Algérie. Notre terre a porté des personnalités qui ont gravé les mémoires et l'histoire. Pourquoi ne sommes-nous pas capables d'en faire de même à notre époque ? Parce que nous ne sommes plus capables d'unifier ? La question je ne la pose pas, plus maintenant. Chaque matin est pour moi une fierté de me lever et de me dire que je vis dans un pays qui ne sait pas où il va mais qui sait d'où il vient.
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– Yahia Bounouar. Directeur de Radio Kalima Algérie : «A la limite de la schizophrénie»
La question «c'est quoi être Algérien ?», aussi intéressante soit-elle, ne doit pas nous étouffer. C'est aussi banal que se demander c'est quoi d'être Brésilien, Suédois, Américain ou Thaïlandais. Les réponses sont souvent les mêmes, avec des spécificités locales dues à l'histoire récente pour les uns et lointaine pour d'autres. La base reste la communauté de destin, le vivre ensemble, le partage de représentations sociales nées de cultures identiques ou voisines. Etre Algérien en 2010, c'est être déçu en permanence par les promesses non tenues d'un pays au potentiel énorme et s'accrocher, dans le même mouvement, à l'espoir que tout n'est pas définitivement perdu et qu'il suffit de pas grand-chose pour que ceux qui aiment tant ce pays n'envisagent plus de le quitter. Avec une situation politique et économique catastrophique, en dépit de richesses considérables, être Algérien c'est aimer presque à la folie son pays (on l'a vu avec l'équipe de football) et chercher, dans le même temps, à le fuir par tous les moyens. On est à la limite de la schizophrénie.
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Abdellah Benadouda. Editeur : «Ella3ab 7mida wa erracham 7mida»
«Ya 7abibi, ta3ala nal3ab sawa 3ala el 8atif ettali : +44 548 55454 45. Envoyé :
7 janvier 2010 – 23:56:02. Expéditeur :
+44 000 000 000.»
Hier soir, j'ai reçu ce SMS. Il devait être minuit et j'étais chez moi à regarder la télé. Ce message m'a un peu surpris à vrai dire. Non pas que je ne reçois jamais de SMS, mais des SMS à minuit c'est franchement très rare. Mis à part quelques amis pleins qui, parfois, s'amusent à perturber mes sages nuits, ou à la limite mon ami Mokrane qui m'annonce qu'Hélène Sixous animera une improbable rencontre sur Jean-Paul Sartre dans les jardins fleuris du CCF.
Je suis resté un quart d'heure à regarder ce message. Je n'y ai absolument rien compris. Ma femme, qui était assise à côté de moi, ne comprenait pas non plus pourquoi je fixais bêtement mon téléphone. Je me suis empressé de lui faire part de mon désarroi devant ce texto codé. D'une part pour qu'elle m'aide à comprendre, de l'autre pour lui ôter tout soupçon. Sait-on jamais. Ah ma femme ! Heureusement qu'elle existe ! Elle m'expliqua tout de suite. En fait, ces chiffres au milieu des lettres, ce n'était pas un problème de reconnaissance de caractères par mon portable périmé.
C'était la transcription des lettres arabes imprononçables et dont l'équivalent n'existait pas dans l'alphabet latin. Habibi devient donc 7abibi ; nalâb (jouer) devient nal3ab, etc. Après avoir compris le principe, je me suis donc amusé à décoder ce SMS : «Mon chéri, viens jouer avec moi au téléphone.» Ce qui n'a pas vraiment amusé ma femme.
Retenir ses larmes
Pendant qu'arabophones, berbérophones et francophones se disputent une légitimité linguistique et idéologique officielle, le peuple, mis à l'écart de ses débats soporifiques, s'est pris en charge, créant ses propres codes de langage. Le langage qui unit ces petites gens, dans la rue ou sur le net. Les deux seuls espaces encore non politiquement pollués. Ils y dialoguent, communiquent, deviennent chawarmistes pour «flexir» quelques unités pour déclarer leur flamme à leurs amoureux et amoureuses, mais disent n7abbak 3omri par la grâce de Houari Dauphin. Exit 3antar Ibnou Chaddad, Baudelaire, voire Claude Barzotti — ce qui, pour ce dernier, est quand même une excellente chose. Même pas besoin d'un Atatürk pour latiniser notre alphabet ou d'un quelconque illuminé pour arabiser le latin, transformant Constantine en Qassantina et Oran en Wihran via Soukaikida et El Djazaïr el assima.
Des chiffres et des lettres. Des chiffres dans des lettres. Amusons-nous un peu : Tahar Ouattar deviendrait ta7ar Ouattar et Boualem Sansal, Bou3lem Sansal. Ce qui, avouons-le, permettrait de les rapprocher un peu.
Ma3toub, mo7ammed, sma3il, 3omar, 3aziz, 7ogra, 7arraga, wa3lach ? et même 3o8da si vous vous voulez.
La rue s'est appropriée le butin de la République. Elle y a butiné allégrement. Maintenant elle l'inocule.
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– Fatima Bakhaï. Auteure : «Notre histoire, ni pire ni meilleure qu'une autre»
Les lecteurs me font savoir qu'Izuran les a réconciliés avec eux-mêmes, ou qu'ils ont appris bien des choses qu'ils ignoraient, ou qu'ils voient à présent les choses d'une autre manière !
On pourrait rapidement répondre et comme une évidence : est Algérien celui qui possède la nationalité algérienne ! Une loi la définit, il suffit d'en remplir les conditions. Il y a autre chose pourtant de plus subtil, plus profond, qui va au-delà de la loi… L'identité algérienne, qui ne se définit pas, qui se rit des apparences, des idéologies et qui s'exprime spontanément ! Elle l'a fait avec éclat lors d'un match de coupe d'Afrique ! Ne la cherchez pas ailleurs, elle est en chacun de nous, Algériens, et ne demande qu'à s'épanouir ! S'interroger encore aujourd'hui sur l'identité algérienne ! Ouvrir un débat, suggèrent certains ! Non ! Ce serait d'abord un faux débat, ensuite un débat dangereux et enfin un débat inutile.
Bien sûr, comme il est regrettable que beaucoup d'Algériens se définissent d'abord comme musulmans, arabes, berbères pour préciser ensuite leur région, leur ville et ne pensent être Algériens qu'administrativement ! Quelle ignorance ! Ils ne connaissent pas leur histoire ou n'en retiennent qu'un aspect sans trop s'interroger. J'appartiens à une génération qui n'a pas appris l'histoire de son pays à l'école. C'était une grande lacune !
Algerien et rien d'autre
J'ai donc voulu savoir quelle était l'histoire de mes ancêtres. C'est tout simple ! J'ai cherché, j'ai beaucoup lu. C'était parfois fastidieux, difficile, parfois exaltant ! J'ai voulu raconter cette longue histoire et il m'a semblé que pour la rendre plus accessible, le meilleur moyen était de la romancer. C'est la trilogie Izuran. Ce n'est absolument pas un travail d'historien, je n'en ai pas les compétences, mais à travers la saga, je me permets de donner des repères, d'évoquer les grands événements, les grands hommes, certaines traditions, etc. Beaucoup de choses semblent alors plus claires. Certains de nos comportements, la plupart de nos traditions, notre façon de penser, de parler, de cuisiner, de réagir s'expliquent parfaitement.
Une société se bâtit sur la durée, elle n'est jamais spontanée. On peut apprécier ou non l'ouvrage mais, en général, les lecteurs me font savoir qu'Izuran les a réconciliés avec eux-mêmes, ou qu'ils ont appris bien des choses qu'ils ignoraient, ou qu'ils voient à présent les choses d'une autre manière ! C'est encourageant ! Les Algériens doivent d'abord connaître leur histoire, sans en occulter la moindre période. Accepter ensuite cette histoire telle qu'elle s'est réellement déroulée depuis les temps les plus reculés. Cette histoire n'est ni meilleure ni pire que celle des autres peuples, elle a ses périodes de grandeur et ses périodes sombres, on ne peut rien y changer. Cette histoire nous appartient, dans toutes ses dimensions. Une identité ne s'impose pas, on ne peut ni ne doit la commander !
L'identité est un résultat, celui d'un long chemin parcouru ensemble… «Nous sommes Algériens et rien d'autre. Nous ne renions rien de ce qui, depuis des millénaires, nous a été apporté par d'autres peuples, d'autres cultures. Nous en avons gardé ce qui nous convenait que nous avons transformé, adapté, amélioré pour en faire une synthèse qui n'appartient qu'à nous et qui fait qu'aujourd'hui, nous sommes nous, avec des ressemblances, des différences, une originalité…» Tel est le message que j'essaie de faire parvenir dans chacun de mes romans.
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– Hamid Gasmi.
Militant et organisateur du rassemblement de lundi 18 à Paris
: «Algérie algérienne,
c'est-à-dire Algérie amazigh»
Quand je me laisse aller à rêver à une Algérie meilleure, comme l'a chanté Matoub, je pense à ce chemin qui mène à elle.
Cela fait presque un demi-siècle qu'on clame notre indépendance mais pourtant suffit-il de sortir physiquement un colonisateur de son pays pour recouvrer sa liberté ? Surtout dans le cas particulier de l'Algérie qui a subi plusieurs colonisations successives et ininterrompues… Il y a trente ans, je n'étais même pas au stade de projet pour mes parents, des étudiants sont sortis crier, comme un écho des manifestations de Mai 1945. Le slogan était légèrement modifié ou bien réajusté ; ce n'était plus, en effet, Algérie algérienne mais Algérie amazigh.
L'Algérie n'était plus, à l'époque, française depuis 18 ans mais était-elle algérienne ? L'est-elle aujourd'hui ? Quand je me laisse aller à rêver à une Algérie meilleure, comme l'a chanté Matoub, je pense à ce chemin qui mène à elle. Je me dis : «Comme elle a pris conscience de la dernière colonisation, elle doit prendre conscience des précédentes. C'est-à-dire, comme l'Algérie n'est pas française, elle ne peut être ni ottomane (ou turque), ni arabe, ni romaine, ni orientale, ni occidentale, etc. Ce jour-là, elle criera Algérie algérienne, C'est-à-dire Algérie amazigh…» Mes pensées ne s'arrêtent pas là, je continue : «Une fois son identité extirpée des fins fonds de son histoire, l'Algérie, alors éclairée, remontera le fil des âges pour s'accepter.
C'est-à-dire accepter les différentes origines qui ont greffé son peuple (arabes, turques, espagnoles, françaises, etc.). C'est-à-dire accepter l'influence des siècles sur sa langue en acceptant et développant ses deux langues nationales (l'arabe algérien et le tamazight).
Une amazighité par réaction
C'est-à-dire accepter que certains épousent la religion de leurs ancêtres de l'époque romaine (le christianisme), comme d'autres ont épousé celle de l'époque des ouvertures islamiques (l'Islam). C'est-à-dire accepter que le français soit un butin de guerre pour certain, comme peut être l'arabe classique pour d'autres.» Mais la réalité finit par me rattraper quand la naissance du printemps est accompagnée d'une angoisse pavlovienne. Pendant que la nature, puisque j'en fais partie, me fait part de sa fête, l'histoire, avec son lot d'hommes, me rappelle la célèbre phrase de Camus : «Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose.» A voir la réalité en face, je lis : «L'Algérien rappelle son amazighité par réaction.» Récemment, dans la gaîté, c'était après le match de foot de qualification au Mondial. Il y a quelques années, c'était après une provocation : l'assassinat du jeune Massinissa Guermah ; tafsut imazighen a alors eu, après Octobre 1988, Juin 1998, sa sœur jumelle tafsut taberkant.
Et je me mets à penser : «Est-ce l'histoire qui se répète ou bien est-ce la bêtise humaine qui est immuable ?» En effet, à chaque conflit au sommet de l'Etat, au nom de l'identité, le pays est pris en otage.
Le 20 avril arrive et je voudrais dire aux jeunes Kabyles, comme j'aurais aimé qu'on me le dise il y a neuf ans : «Le tamazight a besoin d'être parlé ; il a besoin d'être écrit ; il a besoin d'être lu ; il a besoin d'être transmis aux générations futures ; il a besoin de vous sur des bancs d'école ; il a besoin de vous instruits; il a besoin de vous vivants.»
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– Mounjia Abdeltif Benchaâbane. Artiste peintre et professeur d'architecture
Observons quelques comportements en précisant bien qu'une grande part d'entre eux se situe au niveau de l'inconscient collectif :
– La langue française est devenue évidente même si, après l'indépendance, nos politiques ont tenté de mettre en avant un recouvrement urgent d'une identité perdue.
– Ressembler à un Français est devenu synonyme de «modernité». Dès le jeune âge, l'enfant algérien construit (avec l'aide de certains parents qui sont toujours mentalement et lamentablement colonisés) un système de références basé sur la suprématie française (il veut s'habiller français, manger français, parler français et plus tard conduire français, en général, consommer français).
– Au lieu de construire l'unité nationale et rassembler ce que l'on a en commun, on cherche à construire des différences en mettant en avant des considérations régionales. «Moi je suis Kabyle, et toi tu es quoi ? Ou bien : moi je suis Arabe, et toi ?»
– Le syndrome du «tu viens d'où ?» nous ronge en profondeur, sans qu'on sache vraiment qu'il vient directement de l'action dévastatrice de la colonisation qui n'a pas cessé de diviser pour mieux régner.
– Aujourd'hui, des Algériens veulent que leurs enfants étudient dans des écoles privées pour échapper à l'apprentissage de la langue arabe, prétextant qu'ils souhaitent une meilleure formation pour eux. Ce comportement n'a rien de rationnel, il répond à une solide manipulation qui prend des formes très diversifiées.
Si j'étais psychologue, je tenterais d'expliquer que l'Algérien, bien qu'indépendant, trouve un certain confort en entretenant une relation, malsaine mais apparemment inévitable, avec celui qui lui a fait beaucoup de mal, celui qui l'a torturé dans son âme, celui qui a nié jusqu'à son existence comme être humain ! Existe-t-il, dans les méandres mystérieux du cerveau humain, des situations contradictoires à ce point masochistes ? Jusqu'à quand allons-nous nous laisser guider par notre inconscient collectif et même individuel, alors que nous devons construire notre nation et reléguer définitivement au passé le spectre colonial ? Pourquoi sommes-nous à ce point aveugles devant l'évidence de ce vicieux, tendancieux, déterminé, patient et endurant vent de néocolonialisme ?
Pourquoi fuyons-nous l'évidence de l'impossibilité mathématique et historique d'un quelconque partenariat avec la force coloniale ? Pourquoi espérons-nous, toujours inconsciemment, qu'un démon devienne, par enchantement, un ange bien intentionné, qui pourrait nous vouloir du bien ?! Pourquoi nous réfugions-nous dans un espoir naïf et irraisonnable de composer un jour en toute égalité avec une société réputée foncièrement raciste ? Pourquoi sommes-nous confortables dans une amnésie collective et un refus énigmatique de connaître l'histoire ? Est-ce que connaître l'histoire c'est nous connaître nous-mêmes, donc faire la lumière sur nos limites et nos insuffisances ?…
En effet, cette situation serait embarrassante… Pourquoi fuyons-nous tant les réalités socio-historico-politiques de la période coloniale et leurs retombées douloureuses et traumatisantes ?
Pourquoi l'histoire est-elle si mal enseignée dans nos écoles, au point qu'un jeune Algérien parvient à haïr cette discipline et préfère l'ignorer ?
Que se passe-t-il vraiment dans l'imaginaire collectif algérien ? Pourquoi tarde-t-il tant à prendre conscience des vrais enjeux, des réels objectifs à fixer pour se construire ou se reconstruire ce que je me plais à nommer : être Algérien !


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