-Existe-t-il encore une censure dans le web tunisien aujourd'hui ? Même si la plupart des sites ont été libérés de la censure, elle n'est pas encore tout à fait abolie. Hier encore, nous avions recensé trois cas de censure. Pourtant le ministère qui s'occupait de la censure n'existe plus. C'est un vrai mystère… -Les dissidents web ont joué un rôle important dans cette Révolution du jasmin … C'est le manque de couverture médiatique qui a poussé les gens à diffuser massivement les photos et vidéos sur le web, c'est devenu un réflexe, qui va rester encore. -Mais aujourd'hui, les dissidents vont devoir se reconvertir… Nous allons continuer à dénoncer la censure si elle continue d'exister et la combattre, mais aujourd'hui, tous les blogueurs et internautes d'hier, qui ont eu un grand rôle dans cette révolution vont traiter des problèmes sociaux politiques. Nous sommes devenus des militants malgré nous, à cause du manque de liberté d'expression qui transforme toute action de dénonciation en une sorte de militantisme, et je pense que ça restera en nous. Aujourd'hui, même si la majorité des sites ne sont plus censurés, je vois toujours des policiers en civil qui surveillent certaines personnes. Cette nuit, par exemple, des gens ont tapé fort à ma chambre d'hôtel à 3h puis se sont enfuis. Ils veulent continuer à terroriser les gens, mais je pense que ce ne sera plus jamais comme avant. Je pense que notre travail n'est pas fini. Bien au contraire, il nous reste encore beaucoup d'injustices à dénoncer. -Que pensez-vous de la reconversion du blogueur Slim Amamou et sa nomination dans le gouvernement provisoire au ministère de la Jeunesse et des Sports ? Tous les blogeurs sont très sceptiques. Il est vrai que Slim était un blogueur actif, qui dénonçait pas mal de choses. Mais je pense que le fait de l'appeler au gouvernement est plus un piège, pour faire plaisir aux internautes, aux dissidents. Pour leur dire : voilà, vous avez un représentant au pouvoir. Il faut savoir que s'ils l'ont choisi lui alors qu'il y en avait tant d'autres plus actifs que lui, c'est aussi parce que son père est un RCDiste, qui figure dans la liste des 65 qui ont appelé à la candidature de Ben Ali en 2014. -Auriez-vous refusé, si vous étiez à sa place ? Oui. Hier, la nouvelle ministre de la Condition féminine m'a contactée pour me proposer un poste dans son ministère. Moi j'enseigne à la faculté, j'aime mon travail et j'entretiens mon blog régulièrement, je suis active sur les réseaux sociaux. Les dissidents ne pourront jamais se reconvertir au sein du gouvernement, dans une institution étatique qui va les modeler. Leur rôle, c'est sur la Toile et aussi sur le terrain, pour militer et dénoncer. Voilà pourquoi la plupart des dissidents tunisiens et moi-même refuserions ce genre de proposition.