La question posée n'est pas nouvelle, elle est même assez souvent reposée dans les colonnes des journaux ou à la Radio nationale et à la télé. Elle traduit malheureusement le peu de connaissances de notre propre histoire relative à des périodes pourtant pas trop lointaines. Lorsqu'on parle de premier médecin, il faut toujours préciser qu'il s'agit de l'école française, car durant le XIXe siècle, l'Algérie disposait de médecins traditionnels dont certains étaient d'un haut niveau intellectuel, ce qui leur permettait de rivaliser facilement avec l'élite des médecins militaires français en Algérie. Parmi eux, je me contenterai de citer deux : Mohammed Ben Chaoua, né au début du XIXe siècle, il assistait tous les matins à la visite des blessés à l'hôpital du Dey à Alger en 1843. Il était considéré par les médecins de l'hôpital du Dey comme «Le tebib le plus renommé d'Alger». Il a rencontré le baron de Larrey, grand chirurgien de l'armée impériale, lors de sa visite d'inspection à Alger. Il l'a stupéfait par ses connaissances, l'amenant à lâcher un compliment rare de : «Premier tebib d'Algérie». Il connaissait les valeurs thérapeutiques de plus de 374 plantes. (Journal de pharmacie et de chimie, Société de pharmacie de Paris, t. 29, 1856). Le deuxième médecin est Mohammed Ben Zergua, qui était le médecin des troupes de l'Emir Abdelkader et qui ensuite a rejoint Tlemcen vers la fin des années quarante du XIXe siècle. Il a aussitôt été recruté comme chirurgien major du bataillon des Turcos à l'hôpital militaire de Tlemcen. Ses prouesses techniques ont surpris de nombreux médecins militaires coloniaux, au point où il a été comparé, dans un article paru dans la Gazette médicale de Paris en 1847, à Ambroise Paré (1509-1590) considéré comme l'un des précurseurs de la chirurgie moderne et qui a été successivement médecin de quatre rois de France et au baron de Larrey (1766-1844), chirurgien chef de la grande armée de Napoléon. (Gazette médicale de Paris, Lettre d'Afrique, numéro de la semaine du 7 au 13 février 1847, pp. 121-126. Les premiers médecins algériens formés à l'école française étaient appelés «officiers de santé» parce que leur formation s'effectuait en trois ans et se faisait à l'école de médecine d'Alger ouverte en 1857. Rappelons que cette formation se faisait également en France. Les trois premiers officiers de santé musulmans diplômés de l'Ecole de médecine d'Alger l'ont été en 1867, soit dix ans après l'ouverture de l'Ecole de médecine et de pharmacie d'Alger : deux étaient médecins, Ben Boulouk Bachi et Kaddour Ben Ahmed, tandis que le troisième était pharmacien de 2e classe : Abdallah Ben Mohammed. Ces officiers de santé travaillaient généralement comme médecins de la colonisation, ils étaient autorisés à faire quelques petites interventions, mais étaient soumis à l'autorité des docteurs en médecine qui, à l'époque, n'étaient formés qu'en Europe. Le docteur Ben Larbi Mohamed Séghir né en 1850 a obtenu son bac à Alger puis est parti faire une formation d'officier de santé à Paris, d'où il est revenu en 1874 avec le titre d'officier de santé. Il a travaillé comme médecin de la colonisation à Alger, Boumedfaâ et Oued Fodda. Il est reparti en France, en 1882, pour terminer ses études et soutenir une thèse de doctorat en médecine le 16 juillet 1884. Il est revenu à Alger où il y a exercé quelque temps ; il a même été élu conseiller municipal (1888), puis a transféré son cabinet à Aïn Bénian, El Affroun, Hamr El Aïn… avant de revenir à Alger. Il est décédé à l'âge de 89 ans le 20 octobre 1939 à Alger. Il a été enterré au cimetière d'El Kettar. (El Djilali A. B. M., L'histoire générale de l'Algérie, t.4, OPU Ed, Alger,1994). Le docteur Mohammed Nakkach est considéré comme le premier docteur algérien en médecine, né arabe, il a vu le jour, en effet, en 1857 à Nédroma (département d'Oran). L'antériorité chronologique du Dr. Mohammed Nakkach a été établie tardivement. (Sari D., L'un des premiers et brillants médecins de l'Algérie contemporaine : le Dr Mohammed Nekkach , Les cahiers de Tunisie, Tunis, t.38, n° 147-48, 1989) Elle a été confirmée par une consultation des registres des facultés de médecine françaises et des Archives nationales (Boîte DZ/AN/17E 1002). Il a obtenu son bac à Alger et a pu bénéficier d'une bourse. Il est parti faire toutes ses études médicales en France où il a soutenu sa thèse le 16 juin 1880, à Paris. Il revient travailler à Alger, puis à l'Hillil et à Aïn Kerman. Il prend sa retraite en février 1920. Après sa retraite comme fonctionnaire, il s'installe à Tlemcen comme médecin libéral dans une maison qu'il avait déjà achetée, en 1906, dans le quartier de Henaya. (Sari D., ibid) Il décède le 19 janvier 1942 à Tlemcen, il a été enterré à Nédroma. Comme on le voit, Nakkach a bien soutenu sa thèse de docteur en médecine quatre ans avant Ben Larbi, mais ce dernier a été officier de santé six ans avant la soutenance de la thèse de Nakkach et a exercé quelques années avant de continuer ses études et de soutenir sa thèse quatre ans après Nakkach à Paris. Pour départager les deux médecins, il faut dire que probablement ni l'un ni l'autre n'ont été le premier médecin diplômé de l'école française et que c'est le docteur Mustapha Hadj Moussa qui serait, en fait, le premier médecin algérien de cette école. Dans un passage d'une revue de l'époque éditée en 1878, ce dernier est cité comme étant médecin à l'hôpital militaire de Cherchell : «M. Durand nous a mis en rapport avec le Dr Moussa qui faisait le service de l'hôpital militaire de Cherchell». (L'illusion médicale, p. 585, 1878). Il était conseiller municipal à Constantine dès 1884. Son mandat de conseiller lui a été renouvelé régulièrement jusqu'à sa mort en 1920. Le Dr. Moussa a joué un rôle capital dans l'éveil du mouvement nationaliste, mais ce rôle est peu connu. Il a occupé durant 36 ans, sans interruption, plusieurs postes électifs : conseiller municipal et conseiller général de Constantine, délégué financier de Constantine, conseiller municipal d'Alger en 1909. (Bouveresse J., Un Parlement colonial : les délégations financières algériennes, 1898-1945, Paris 2008) il exerçait à Constantine en même temps que le docteur Taieb Morsly qui a soutenu sa thèse de docteur en médecine le 14 décembre 1881 à Montpellier. (Khiati M., Médecins et médecine durant l'occupation française, sous presse)