Pour des raisons purement électoralistes, en étroite relation avec la tenue de différents congrès des fédérations sectorielles (en attendant le congrès de la centrale syndicale elle-même), et dans le but de se replacer comme partenaire incontournable du pouvoir politique, l'UGTA a déclenché les hostilités à l'égard de la politique de privatisation et d'ouverture du capital des entreprises publiques économiques réactivée dernièrement par le gouvernement. La centrale syndicale qui s'était départie un temps de sa position dogmatique antiprivatisation y est retournée avec délectation : toutes les fédérations sectorielles qui se sont prononcées sur le problème se sont positionnées, avec quelques différences de nuance, contre les privatisations, qu'elles qualifient de « bradage ». Elles ont sorti la grosse artillerie pour empêcher le gouvernement d'aller au bout de son projet de privatiser les quelque 1200 EPE dont il a donné la liste sur le site Internet du ministère des Participations de l'Etat. Elles qui n'ont pas pu empêcher (elles en ont même été les complices objectifs) la liquidation, au début des années 1990, d'un nombre incalculable d'entreprises publiques de toutes dimensions et de tous secteurs, prétendent aujourd'hui bloquer le mouvement inéluctable qui mène vers une économie de marché dans laquelle l'entreprise à capitaux privés sera la règle et l'entreprise publique, l'exception (limitée aux secteurs économiques hautement stratégiques). Comment l'UGTA pense-t-elle faire avaler la pilule à l'opinion publique et faire croire à sa bonne foi, elle qui a toujours été considérée par les observateurs et analystes de la scène politique nationale comme un appendice du pouvoir pendant les années de plomb du parti unique, puis, dans les années 1990 comme l'alliée indéfectible de ce même pouvoir, qui l'a chargée d'annihiler la réaction légitime des travailleurs contre l'opération de destruction de l'outil économique monté avec tant de difficultés durant les décennies 1960 et 1970 ? Aucune organisation ne s'est, en effet, autant mobilisée et n'a autant activé pour faire passer aux travailleurs la pilule amère des réformes et de ses conséquences dramatiques sur l'emploi. La méthode a toujours été identique : les patrons de la centrale et des fédérations, avec force gesticulations, dénoncent la politique économique du gouvernement et son intention de brader l'outil économique au profit de charognards nationaux ou étrangers et menacent de bloquer tout le pays par des grèves générales (qu'ils ont parfois réalisées pour bien montrer leur immense capacité de mobilisation des travailleurs). Cela pour en fin de compte laisser faire les pouvoirs publics, sans réagir ou en réagissant du bout des lèvres. Si l'opération de privatisation des EPE, annoncée avec tapage au milieu des années 1990, n'a pu se réaliser, ce n'est pas à la ferme opposition de la centrale syndicale qu'on le doit. Son échec est avant tout le fruit des contradictions qui existaient au sein du pouvoir ; il n' y avait absolument aucune volonté politique d'aller vers une véritable économie de marché. Les tenants du pouvoir de l'époque étaient, dans leur majorité, intéressés par le maintien, y compris dans un état moribond, d'un secteur public économique, grand distributeur de la rente. Si donc le nombre d'entreprises publiques économiques privatisées se comptent sur les doigts d'une seule main, cela n'est pas à mettre sur le compte d'une résistance résolue de l'UGTA et de ses fédérations sectorielles. S'il n'avait tenu qu'à elles, le bradage qu'elles combattent aujourd'hui aurait bel et bien eu lieu. Un rôle néfaste Le rôle joué par la centrale syndicale ne peut en aucun cas être considéré comme un rôle positif. Bien au contraire, il a été éminemment néfaste. Il n'est pas besoin de rappeler encore une fois son silence sidéral face à la destruction systématique de l'outil économique, à la mise au chômage de centaines de milliers de travailleurs, au développement échevelé d'une « économie de bazar » qui est à l'origine de la faillite d'un nombre considérable d'entreprises publiques et privées créatrices d'emplois et de richesses, à la perte considérable et continue du pouvoir d'achat des travailleurs qui ont eu la chance de garder leur emploi, au retour de la misère et de la paupérisation avec leurs cortèges de maladies d'un autre âge et de fléaux sociaux, etc. La position d'opposition aux privatisations, quelles que soient leurs formes, de l'UGTA n'est qu'un retour au populisme et au dogmatisme d'antan qui étaient en vogue durant les années 1960 et 1970 et qui prônaient la supériorité de l'entreprise publique « sociale » (appelée alors société nationale) sur l'entreprise privée « exploiteuse ». Non seulement cette position d'opposition systématique de la centrale syndicale constitue un véritable danger pour les travailleurs qui se laisseront embrigader (c'est malheureusement la quasi-totalité de ces travailleurs qui se laisse encore manœuvrer par les démagogues de l'UGTA parce qu'elle est restée très sensible au discours populiste de syndicalistes qui n'ont que cela à faire valoir), mais aussi pour l'outil économique lui-même qui paye les frais d'une politique hésitante des pouvoirs publics, faite d'allers-retours entre la volonté d'aller de l'avant et de réussir la transition vers une véritable économie de marché et le maintien en l'état du secteur public économique qui n'arrête pas de se dégrader et qui n'a donc d'autre issue que sa liquidation. En admettant même que cette opposition à la privatisation réussisse à bloquer l'opération déclenchée par le gouvernement, ce qui en résultera ce sera le maintien en l'état d'entreprises publiques qui n'ont même plus d'existence juridique, tant elles sont déstructurées financièrement, et qui n'arrivent même plus à activer, faute de soutien bancaire. Les pouvoirs publics ont assez répété qu'ils n'engageront plus d'opérations d'assainissement financier des entreprises publiques qui n'entrent pas dans un processus de partenariat (partenariat que la centrale syndicale assimile volontairement à « privatisation » et qualifie de « bradage » de l'outil économique). Et même si, conjoncturellement, l'UGTA arrive à faire prendre en charge par le gouvernement tout ou partie des arriérés de salaire des travailleurs, il est impensable que le Trésor accepte de mettre dans la balance les centaines de milliards de dinars qu'exige l'assainissement réel et définitif des entreprises publiques économiques : ce sera en pure perte, car il n'y a absolument aucune garantie que les entreprises publiques assainies ne retombent pas dans la situation de faillite qui est la leur actuellement. Les responsables de la centrale syndicale et ceux des fédérations connaissent parfaitement cette réalité et savent donc que leur combat d'arrière-garde n'a aucune chance d'aboutir au sauvetage du secteur public économique qu'ils appellent de leurs vœux. C'est donc de toute évidence un autre objectif qu'ils poursuivent, même au prix de la destruction totale d'entreprises qui, autrement, auraient pu être sauvées par une simple opération de partenariat. Cet objectif n'est rien d'autre qu'une recherche d'une position perdue depuis longtemps : celle d'une partenaire unique et incontournable du pouvoir politique. La dernière bipartite a mis en évidence la perte de crédibilité de l'UGTA qui n'a rien pu obtenir d'important d'un gouvernement décidé à ne rien céder d'essentiel. C'est donc une épreuve de force que la centrale a déclenchée, croyant pouvoir par ce stratège se repositionner en qualité de force politique incontournable : elle fait jouer sa capacité de nuisance pour amener le gouvernement à transiger. C'est oublier que le pouvoir politique détient l'ensemble des cartes maîtresses : d'abord, le gouvernement peut très bien faire face à une épreuve de force, même longue sans rien céder d'essentiel. Ensuite, le pouvoir, en cas de nécessité fera imploser la centrale syndicale en faisant jouer les lignes des forces contradictoires qui la composent et la traversent (entre les FLNistes, redresseur ou non, les RNDistes, les trotskistes, les ex-communistes, le pouvoir a toute latitude de jouer les uns contre les autres au cours des congrès qui sont en préparation). Par ailleurs, il a la possibilité de brandir la menace de légaliser un certain nombre de syndicats autonomes et de mettre fin au partenariat exclusif qu'il a jusqu'à maintenant eu avec l'UGTA. Ce sera la fin inéluctable de la centrale syndicale, qui perdra ainsi toute représentativité ; la preuve en a déjà été fournie par les grèves menée les années passées par les syndicats autonomes du secteur de l'enseignement (CNES, CLA, Cnapest) qui ont fait disparaître de la scène les syndicats affiliés à l'UGTA. Une épreuve de force fatale Ce qui risque donc de se passer, c'est que, face à une position ferme des pouvoirs publics, la centrale syndicale se lance aveuglément dans une épreuve de force qui lui sera fatale (ce ne sera certainement pas une perte pour le monde du travail qui profitera de la disparition de l'UGTA pour se faire représenter par différents syndicats autonomes). Mais les véritables perdants seront avant tout les travailleurs des entreprises publiques économiques qui auront soutenu la position dogmatique populiste et démagogique de l'UGTA et qui auront de ce fait « bradé » leurs entreprises. Quel est en effet le partenaire qui acceptera de s'impliquer dans la reprise d'une entreprise en faillite, qui y mettra des fonds pour maintenir et développer ses activités et garantira le maintien de la totalité des emplois, quand il sait qu'il a en face de lui un syndicat « négativiste » qui n'est intéressé que par le maintien des positions acquises ? Aucun. Prenons le cas, réel, d'une entreprise publique qui active dans le secteur du bâtiment. Sa situation, à l'instar de toutes ses consœurs, est dramatique : des déficits cumulés qui ont atteint des niveaux astronomiques, une dette elle-même astronomique, une crise de trésorerie qui l'empêche d'activer, une banque qui lui a retiré son soutien, quatre mois de salaires impayés. Par miracle, cette entreprise a trouvé un partenaire fiable, riche et professionnel qui accepte d'entrer de manière majoritaire dans son capital, de lui apporter les moyens matériels et financiers de croître et de se développer et qui accepte de maintenir en poste l'ensemble de ses travailleurs. Ajoutons que ce partenaire est une société mixte, dont le capital est à majorité national et public, et qu'elle dispose d'un immense plan de charge qu'elle met à la disposition de l'entreprise (quatre milliards de dinars, dans l'immédiat). Le syndicat d'entreprise ainsi que le comité de participation de l'entreprise avaient non seulement donné leur accord, mais avaient plus d'une fois protesté contre la lenteur des pouvoirs publics pour faire aboutir le processus. Une fois tous les accords obtenus, que le CPE a pris une résolution dans ce sens, que le pacte d'actionnaires a été signé et qu'il ne restait donc plus qu'à passer à la phase de concrétisation du partenariat, ne voilà-t-il pas que la même section syndicale et le même comité de participation, qui avaient initialement donné leur accord, se mettent sous l'influence de la fédération UGTA du BTPH, dénoncent l'accord et exigent du partenaire la permanisation de l'ensemble des travailleurs (qui rappelons-le ont tous bénéficié d'une importante indemnisation en 1998 pour abandonner leur statut de travailleurs permanents et devenir contractuels), sans quoi ils s'opposeront par tous les moyens au processus. Rappelons aussi que cette entreprise faisait partie de la charrette des 24 entreprises à dissoudre parce qu'elles ne présentaient aucune possibilité de sauvetage. Elle n'y a échappé que par la grâce de ce projet de partenariat. Résultat : le partenaire échaudé risque de se retirer du processus et de créer de toutes pièces sa propre entreprise de réalisation : cela lui coûtera éminemment moins cher et surtout lui évitera un face-à-face avec un syndicat immature et inconscient. Tant pis pour les 800 travailleurs que compte l'entreprise qui n'auront plus qu'à pointer au chômage. Quant à l'indemnisation qu'ils espèrent, ils pourront toujours attendre que le liquidateur vendre le peu d'actifs qui existent et qui seront peut-être suffisants pour régler les arriérés de salaire. C'est dire jusqu'où une position purement politicienne de la centrale syndicale et de ses fédérations peut mener les entreprises publiques. Ce seront les travailleurs qui auront le malheur de croire et de suivre des mots d'ordre purement populistes et démagogiques de syndicalistes qui ne se battent en réalité que pour le maintien de leurs seuls privilèges qui payeront la facture salée de ces positions d'arrière-garde.