La «puissante armée algérienne»(4) ne fera, de cette rébellion, qu'«une bouchée», lit-on çà et là. Ou encore, «il est important que l'Algérie défende ses frontières». Cette fois, sous la forme d'une menace à peine cachée, certains nous apprennent que «la contagion risque de se propager en Algérie même»(5). A quoi rime tout ce remue-ménage ? Qui se cache derrière cette agitation et quels intérêts, non-avoués, sont défendus dans cette région du monde ? Telles sont les interrogations qui nous paraîssent, à l'évidence, sous-tendre cette opération. Souvenons-nous, il n'y a pas si longtemps, un pays voisin a fait l'objet d'une «destruction massive» pour, nous avait-on expliqué(6) avec moult arguments humanitaires(7), «sauver une partie de la population civile libyenne d'un génocide certain»(8) ! Or, non seulement l'Algérie n'a pas été consultée et encore moins avertie, ce qui démontre que les puissances occidentales ne lui reconnaissent aucun droit de regard sur ses propres profondeurs stratégiques(9) dans cette région(10) constituée par le Sahara Occidental, la Maurétanie, le Mali, le Niger et la Libye, mais, plus grave encore, elles nous considèrent comme un pays géopolitiquement concurrent et avec lequel elles n'entendent rien avoir à négocier(11). Une «escouade otanienne», essentiellement menée par la triplette anglo-américaine et française, a fait le «job», pendant que des apprentis sorciers(12) négociaient déjà les marchés de reconstruction des infrastructures détruites la veille par leur propre armada et signé les futurs contrats d'hydrocarbures. Toutes les mises en garde de notre pays sur les scénarii d'après-guerre dans ce pays et autour de lui n'ont même pas été examinées ni prises en considération, tant la frénésie du butin était puissante entre les prédateurs. Seuls leurs intérêts bien-compris s'imposaient comme la priorité absolue.(13) Les institutions internationales (ONU), régionales (UA) et horizontales (la Ligue arabe) ont toutes entériné une situation de facto (commandée par la loi du Talion). La diplomatie de notre pays, quant à elle, devenue inaudible, s'estimait, à la limite, dépourvue de marges de manœuvre voire «non concernée».(14) Quant à l'ANP, elle a pris les dispositions d'usage dans de pareilles situations. Comment donc, aujourd'hui, tout ce beau monde découvre que notre pays est géopolitiquement au cœur de l'Afrique subsaharienne et qu'il a des intérêts à défendre dans la région(15) ? Ce «grand roque», opéré par les puissances occidentales, et en particulier par l'ancienne puissance coloniale de la région, est surprenant à plus d'un titre. Des documents secrets sont même distillés dans la presse, avec moult commentaires, pour stigmatiser un «pays clown»,(16) (qui a pour seul mérite d'exécuter la «danse du ventre», auprès de ses mentors américains), comme étant l'instigateur de toute cette ingénierie diabolique qui veut du mal aux intérêts de notre pays dans la région ! A qui veut-on faire croire cela ? Pourquoi orienter notre attention sur la marionnette et non sur le marionnettiste ? Pourtant, la position de notre pays, dans la région, est claire, puisqu'elle s'inscrit dans une tradition, enracinée dans nos valeurs ancestrales et qui consiste à développer des liens d'amitié et de fraternité avec l'ensemble de nos voisins. Dans ce cadre, des efforts particulièrement importants ont été déployés par notre pays pour apaiser les tensions et rapprocher les points de vue de tous les acteurs de la région.(17) Chaque fois que notre pays a été sollicité, il a toujours proposé le dialogue entre les parties plutôt que la confrontation. Comment donc peut-on nous demander de nous engager dans ce qui s'apparente à une guerre civile au Mali et pour défendre quels intérêts ? La seule guerre que notre pays est prêt à faire, dans ce pays limitrophe, comme d'ailleurs dans les autres, est celle de la lutte contre la faim, l'analphabétisme, les maladies, le sous-développement et la misère dont la période de la prédation coloniale et néocoloniale est l'une des conséquences ! Le piège dans lequel certains veulent faire tomber l'ANP(18) est de l'entraîner dans un scénario «afghan» dans la région, dans lequel elle va s'embourber durablement et certainement une évacuation humiliante, à l'instar de l'Armée rouge, sans avoir réglé le problème mais bien au contraire, en le compliquant par son internationalisation. Rejeter avec force le «chant des sirènes», directement puisé des récits d'Homère sur les épopées de «l'Iliade et de l'Odyssée», telle est, à notre avis, la position que devrait observer l'ANP. Cela n'empêche nullement l'Algérie d'agir, avec les moyens appropriés qu'elle jugera utiles, afin de défendre ses intérêts objectifs dans la région et de peser de tout son poids sur les solutions, à mettre en œuvre, pour sortir de l'impasse actuelle. Rappelons à tout un chacun que le peuple touareg amazigh est une des composantes pleines, entières et indivisibles du peuple algérien et il ne peut donc faire l'objet d'un quelconque marchandage ou de surenchères politiciennes venues de qui que ce soit, de l'intérieur du pays comme de l'étranger. Le sort des composantes de ce même peuple, qui nomadisent depuis des siècles, dans l'espace de tous ses pays voisins, ne peut laisser notre pays indifférent quant à leur devenir. Comment peut-on donc demander à l'ANP d'aller aujourd'hui détruire une partie de cette population composante ?(19) L'Algérie se doit de toujours agir pour conforter l'unité et la cohésion nationale de ses pays voisins, dans la diversité, la liberté et l'indépendance, avec, pour principe de base, l'intégrité des frontières héritées de la colonisation, comme le consacrent le droit et les instances internationales. Toutes autres aventures militaires créeraient un grave précédent et plongeraient toute la région dans le chaos, que beaucoup appellent de leurs vœux. Notre pays ne doit pas défendre des intérêts étrangers au Mali ou ailleurs, mais doit se réserver le droit d'agir, dans la région, comme un partenaire, à part entière, avec toutes les bonnes volontés internationales et avant tout avec celles des pays du champ, pour ancrer dans la région les principes de la paix et de la prospérité partagée.(20) Pour mener à bien cette mission, l'Algérie doit mobiliser tous les moyens qu'elle juge utiles, en concertation avec ses voisins et les instances internationales, en charge de ces dossiers, avec la plus grande transparence, en demeurant vigilante sur les appétits et les convoitises puissantes qui se développent à l'encontre du continent africain, dernier continent qui recèle d'immenses réserves de matières premières les plus diverses et les plus nécessaires à l'économie mondiale. L'Algérie doit-elle demander que l'on respecte ses profondeurs stratégiques dans toute la région ? Est-elle en droit de revendiquer que la concertation préalable doit se substituer au fait accompli ? C'est la réponse à ces questions qui devrait guider notre politique extérieure dans la région et notre attitude vis-à-vis de toutes les sollicitations internationales relatives à la crise malienne et au-delà.