Moins de pâturage et des prix du maïs qui explosent Si vous pensez encore que le mouton que vous allez acheter a été élevé au grand air, dans une steppe verdoyante, gavé de verts pâturages, vous avez tout faux. Car l'irrépressible désertification provoquée par le surpâturage qui frappe les steppes s'accompagne d'une augmentation – elle aussi irrépressible – des troupeaux d'ovins. Celui-ci est passé de 7 millions de têtes en 1980 à 11 millions en 1995, pour atteindre les 20 millions aujourd'hui. Pour avoir une petite idée des dégâts, il faut savoir qu'en 1985, la steppe ne pouvait supporter que le quart du troupeau existant à l'époque. Cette situation a poussé les éleveurs à faire de l'élevage «à la finition», pratique qui consiste à en enclos les moutons dès leur plus jeune âge et à les nourrir au maïs. Cette nourriture, destinée au départ aux poulets de chair, permet aux éleveurs d'obtenir un engraissement rapide de la bête. Les acheteurs, eux, découvrent qu'ils ont été dupés après l'abattage, lorsqu'ils se rendent compte du taux élevé de graisse que contient le mouton. «Le mouton nourri comme avant n'existe plus, explique un éleveur. Aujourd'hui, 95% de ceux qui sont destinés à la fête de l'Aïd ou qu'on retrouve chez le boucher n'ont jamais vu de pâturage et sont nourris au maïs.» Problème : aussi utilisé avec le colza, pour la fabrication de biocarburant, le cours mondial du maïs s'est envolé. Donc l'aliment pour bétail aussi, avec une augmentation de près de 40%. «Cette année, je paye 5700 DA le prix du quintal, assure notre éleveur, alors qu'il me revenait à 4000 DA l'année dernière. Toutes ces augmentations auxquelles nous sommes confrontés sont automatiquement répercutées sur le prix de vente du mouton. Et dans le business en Algérie, il y a une règle immuable : les augmentations sont toujours à la charge du consommateur.» Les éleveurs ne vendent qu'une partie de leur cheptel Cette année pour l'Aïd, les éleveurs vont mettre en vente 3,5 millions de moutons alors que la demande est estimée à… 4 millions. Malgré les assurances du ministère de l'Agriculture, qui continue d'affirmer que la production nationale «répond largement» à la demande, les professionnels du secteur sont unanimes pour dire qu'elle est bien en deçà de l'offre. Une situation qui permet de faire grimper les prix. A titre d'exemple, cette année, le prix moyen du mouton avoisinera les 40 000 DA, alors qu'il était de 30 000 DA l'an dernier. «Pour que le mouton de l'Aïd puisse être abordable, il faut qu'on arrive à constituer un cheptel de 50 millions de têtes, explique le porte-parole de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA), Hadj Tahar Boulenouar. Il est vraiment temps d'encourager l'investissement dans le domaine de l'élevage, à travers l'importation de brebis. Alors que la facture d'importation annuelle de la viande a dépassé les 200 millions de dollars en 2010. Nous nous demandons pourquoi cet argent n'a pas été consacré à encourager l'élevage…» Par ailleurs, le manque d'éleveurs dans tout le pays est très pénalisant. Beaucoup d'entre eux ont préféré devenir importateurs, car cela rapporte beaucoup plus. «L'élevage n'intéresse plus grand monde et aujourd'hui il n'y a pratiquement plus de bergers en activité, analyse un professionnel du secteur. De tout temps, cette activité a été dévolue aux populations autochtones. 80% de l'élevage de moutons se fait dans les villes de Saïda, El Bayadh, Mecheria et Aïn Sefra. Avec le temps, beaucoup de ceux qui travaillaient dans ces villes sont partis s'installer ailleurs. Cette situation est désastreuse pour la filière ovine.» Les intermédiaires se sucrent sur le dos des éleveurs et des acheteurs «J'achète un mouton 20 000 DA. Son alimentation me revient à 5000 DA et je le revends 27 500 DA, explique un éleveur. Je gagne 2500 DA sur chaque mouton. Je ne m'explique pas les prix pratiqués…» En l'absence de contrôle dans le circuit, ce sont les intermédiaires qui fixent les prix à leur gré. Ils gèrent, pendant l'Aïd, plus de 50% des ovins en vente. «Il faut savoir que la spéculation menée par les maquignons informels a un impact important sur la flambée des prix, détaille Hadj Tahar Boulenouar. A l'approche des fêtes, certains troupeaux de moutons passent par plusieurs mains avant d'être écoulés sur le marché. Résultat : le prix augmente chaque fois qu'un intermédiaire prend sa marge bénéficiaire. Il y en a même qui achètent le plus grand nombre possible de moutons pour assécher le marché quelques mois avant l'Aïd, puis ils les écoulent à des prix faramineux.» Pour reprendre en main le secteur, le patron des commerçants recommande de mettre en place des points de vente directement sous l'autorité des services de contrôle. Seul remède pour essayer de casser le monopole qu'exercent les intermédiaires. «Il faut imposer un quota de moutons à vendre pour chaque revendeur. C'est une façon d'empêcher la formation de véritables monopoles. Cela permet aux responsables du secteur d'avoir un œil sur ce qui est proposé aux acheteurs. Puisque les moutons qui sont en ventes dans les marchés informels échappent à tout contrôle.» Les consommateurs participent à la hausse des prix Le prix du mouton est cher ? C'est la faute au consommateur. Azzedine Chenafa, secrétaire général de l'Association pour la promotion de la qualité et la protection du consommateur, en est persuadé. «On n'a pas de consommateur éduqué, explique-t-il. L'Algérien achète auprès de n'importe quel maquignon sans chercher à savoir si le mouton est malade ou engraissé. Les maquignons ont compris le comportement du consommateur local, du coup, ils leur fourguent n'importe quoi à n'importe quel prix. Les Algériens doivent prendre conscience de leur comportement, car ils pourrissent de plus en plus le marché du bétail, nourrissent davantage les éleveurs et permettent aux maquignons de se faire de l'argent sur leurs dos.» Pire, les maquignons instrumentalisent l'intérêt religieux pour arriver à leur fin : le citoyen se dit qu'il doit faire le sacrifice à n'importe quel prix, car ceci est un culte dans les sociétés musulmanes. Ces dépassements sont dénoncés par Azzedine Chenafa, qui préconise une action de boycott collectif. «J'appelle les Algériens au boycott. Je trouve que c'est la seule issue raisonnable. Il faut lancer des campagnes de sensibilisation, chaque fois que l'Aïd approche, pour faire comprendre aux Algériens que le boycott de l'informel ne veut pas dire le boycott du sacrifice. J'aimerais bien que tous ensemble, main dans la main, nous donnions une belle leçon aux gens qui sont derrière ces pratiques. Par ailleurs, j'appelle les responsables des ministère du Commerce et de l'Agriculture à agir dans les plus brefs délais. Il faut que les autorités dépêchent des équipes spécialisées en la matière pour remettre les pendules à l'heure», conclut-il. Le prix du mouton suit la spirale inflationniste «Dans ce pays depuis deux ans, tous les prix ont grimpé. Je ne vois pas pourquoi le prix du mouton ne suivrait pas la tendance ?!», se demande Samir Bellal, économiste et maître de conférences à l'université de Guelma. L'Algérie qui connaît une inflation galopante, que l'Etat officiellement chiffre à plus de 6% (alors qu'elle serait plus proche du double, selon certains économistes), a créé un surcroît de «demande artificielle» sur tous les biens de consommation à la suite des dernières hausses de salaires et surtout des rappels qui ont accompagné ces augmentations. Cette situation risque encore de durer. Il faut un certain temps pour que ces surplus d'argent se résorbent. «Le phénomène inflationniste risque de persister, prédit Samir Bellal. Le marché des ovins va continuer à tirer le prix du mouton vers le haut. C'est une règle : tant qu'il y a de l'argent, les prix vont continuer à augmenter.»