Les chiffres communiqués par le ministère de l'Agriculture et du Développement Rural rassurent, si besoin est, que «la production nationale répond largement à la demande». Le département de Rachid Benaïssa indique d'ailleurs que «la production nationale, ovine et bovine, enregistre une sensible augmentation due notamment à l'augmentation de la natalité conjuguée à l'amélioration des conditions sanitaires du cheptel». Pourtant, sur le marché, la réalité laisse penser le contraire. Un mouton qui se vendait à 25 000 DA l'année dernière se négocie à 50 000 aujourd'hui. Pour ceux qui ont les moyens de dépenser plus, il atteint même 100 000 DA, voire plus. à Dar El Beida, une commune parmi d'autres dans la capitale où les revendeurs de moutons pullulent à l'occasion de l'Aïd, les moutons se négocient dans la même fourchette de prix, avec quelques exceptions toutefois. Un citoyen qui demandait le prix d'une des bêtes s'est vu rétorqué le chiffre de 37 000 DA. Seul hic toutefois, «il s'agit plus d'un agneau que d'un mouton, on dirait même qu'il n'a pas achevé sa croissance», remarque le client un peu dépité. Le maquignon explique que «si les prix sont chers, c'est parce qu'il y a beaucoup de bétail qui quitte la frontière vers la Tunisie. Le trafic est très important et ne concerne pas uniquement les moutons mais également leur nourriture». A ce propos, il y a une semaine la presse rapportait l'information selon laquelle les gardes-frontières avaient saisi 250 têtes d'ovin à la frontière algéro-tunisienne. Des prix qui donnent le tournis, surtout quand on sait que dans les régions d'où ils sont issus, ces mêmes moutons coûtent jusqu'à trois fois moins leur prix à Alger. A Djelfa, par exemple, région réputée pour ses ovins, «les prix varient entre 25 000 et 40 000 DA maximum», témoigne un habitant de cette wilaya. «Le mouton qui est vendu ici à 30 000 DA, arrive dans la capitale à 60 000 DA». Selon lui, c'est la faute «aux intermédiaires, car le mouton est vendu deux ou trois fois avant d'arriver chez le client final». D'ailleurs, certains experts du développement rural reconnaissent que la valeur ajoutée de l'activité de l'élevage ovin est captée autre part et réinvestie ailleurs que dans les zones steppiques, par exemple, où elle est développée. Quid des aliments de bétail ? D'autres revendeurs expliquent la hausse des prix par celle des aliments de bétail destinés aux ovins, et notamment l'orge, tout en sachant que l'alimentation diverge d'un éleveur à un autre. Certes, l'Etat subventionne le prix de l'orge (à hauteur de 1550 DA le quintal), mais «le quota qui est donné aux éleveurs n'est pas suffisant, ils doivent donc s'approvisionner sur le marché au prix de 3000 DA le quintal», explique un revendeur. La charge de l'alimentation a augmenté, sans compter que l'éleveur doit aussi payer les frais d'engraissement. L'alimentation des ovins dépend également en partie des importations de maïs et de soja et donc les prix fluctuent au gré du marché international. Lembarek Yahi, directeur général de l'Office national des aliments de bétail (ONAB) nuance toutefois l'impact que peuvent avoir ces fluctuations.Selon lui, il n'y a pas un problème de disponibilité des aliments de bétail «on peut répondre à toutes les demandes». Il reconnaît que «l'année dernière, il y a eu augmentation des prix du soja +50% et le mais +30%, ce qui a eu des répercussions directes sur l'aviculture, mais pour ce qui est des ovins, l'impact est à relativiser car en ce qui concerne l'alimentation de ces derniers, il existe des substitutions. L'impact n'est donc pas très important sauf dans les régions steppiques, peut-être». Chaque éleveur, explique-t-il, «a sa propre manière pour engraisser ses moutons» et de toute manière, «la hausse des prix à l'international n'est pas aussi importante pour que les prix augmentent à ce point. Cela n'est pas logique». Le DG de l'ONAB rappelle d'ailleurs que cette augmentation ne date pas d'aujourd'hui, mais remonte «au Ramadhan 2011, où les prix de la viande rouge étaient déjà élevés». Cependant, même si l'orge est subventionné et que l'impact des importations est minimisé, le problème de l'alimentation ovine n'est pas pour autant réglé. Le ministre du secteur lui-même a reconnu, il y a quelque temps, que la contrebande et l'indisponibilité qui touche notamment les fourrages pour lesquels il existe «un manque» jouent un rôle sur la hausse des prix. Spéculation ! Au-delà de la problématique des aliments de bétail, des prix à l'international ou de la contrebande, le dysfonctionnement est aussi à rechercher ailleurs. D'abord, «une spéculation», aux dires mêmes du ministère de l'Agriculture, qui désormais n'épargne quasiment aucun secteur, nourrie par les milliards de dinars de liquidités qui circulent dans le marché informel et à laquelle le gouvernement n'a toujours pas réussi à trouver de parade. Sur le marché des ovins, les maquignons font la loi. Le secrétaire général de l'Union nationale des paysans algériens (que nous avons tenté de joindre, sans succès), avait appelé il y a trois ans les éleveurs à «casser le monopole des maquignons sur le marché» pour permettre au prix du mouton de rester «à la portée de tous les citoyens», en incitant les éleveurs à «commercialiser directement leur bétail, de la ferme au consommateur». Il avait soutenu que «près d'un million de têtes de mouton se trouvent sous le contrôle des maquignons». Toutefois, affirme un revendeur, le propriétaire ne peut pas ramener son bétail sur Alger, «il préfère le vendre sur place pour éviter les frais de transport». Ensuite, une hausse des salaires qui laisse miroiter une augmentation du pouvoir d'achat, pourtant largement relativisée par l'inflation. Une situation qu'un maquignon a résumée en s'étonnant que les gens s'offusquent de voir les prix des moutons élevés et ne trouvent rien à redire quand des véhicules sont vendus à 200 millions de centimes et que les personnes les achètent quand même.