Le tourisme est une industrie complexe à maîtriser, contrairement à ce que l'on peut penser intuitivement. Elle nécessite d'optimiser des composantes hard (équipements hôteliers, de transport, sites touristiques, etc.) et soft (marketing, qualité des services, supply chain, etc.). Si bien que les qualifications humaines et la capacité de nombreuses institutions à collaborer sainement déterminent, en grande partie, le niveau de compétitivité du secteur. Les spécialistes qui ont visité et étudié le potentiel que recèle notre pays demeurent consternés par la différence qu'il y a entre les ressources touristiques disponibles et leur degré de mise en valeur par les politiques sectorielles nationales, et ce, depuis les années soixante. Nous avons donc sacrifié un atout national porteur d'un énorme potentiel. Souvenez-vous de l'ère de la planification centralisée. Un des objectifs affirmé haut et fort par les décideurs de l'époque était de créer une «économie autocentrée» qui consacre le principe fondamental de l'indépendance économique. Or, le tourisme était considéré comme un véhicule de dépendance et donc de fragilité. Certes, disposer d'une économie où le tourisme international dépasserait les 30% du PIB serait courir des risques de subir les contrecoups des récessions mondiales et des aléas politiques. Mais on aurait pu gérer une économie dynamique avec un taux qui avoisinerait les 20%. Mais l'autre revers de la médaille, le tourisme national, source d'aucune dépendance, n'est guère reluisant. Dans un effort de redressement durable, ce secteur serait un des piliers de la diversification et du dynamisme économique. Des atouts de rêve et un état des lieux cauchemardesque Rarement un pays rassemblerait sur son sol autant de potentialités susceptibles de booster un secteur hautement créateur de richesses, d'emplois et d'accès à l'exportation sans transporter les produits ou les services. Nous évacuons les multiples autres aspects positifs du tourisme : promotion d'une meilleure tolérance entre les peuples, fusions de cultures, création de liens humains et institutionnels internationaux durables et autres. Par ailleurs, de nombreuses institutions et activités internes auraient pu être boostées grâce à l'activité : artisanat, culture, gastronomie et arts nationaux et régionaux, musées, théâtres et agents particuliers (tourisme de l'habitant), etc. Il est impossible de lister toutes les activités qui en bénéficieraient. Le pays est doté d'atouts extraordinaires : ensoleillement intense, vestiges très riches et variés ; paysages montagneux, lunaires et dunaires, magnifiques plages, etc. Une cartographie des potentialités touristiques laisse souvent pantois les experts dans le domaine. Lorsqu'il fait moins dix degré à Stockholm, il serait possible de ramener des milliers de personnes, en 3 ou 4 heures de vol, pour bronzer dans de magnifiques piscines au sud (sauf qu'on ne les a jamais construites). Mais le diagnostic du réel contraste fortement avec ce potentiel de rêve. En premier lieu, les aspects quantitatifs sont trop décevants. Le pays a moins de 20 hôtels 5 étoiles. Nous avons moins de 100 000 chambres d'hôtels classés. Les recettes en devises ne dépassent pas les 500 millions de dollars. Plus de 70% des 2 000 000 de visiteurs qu'on reçoit chaque année viennent pour affaires. L'activité du secteur représente moins de 9% du PIB. Mais ceci n'est que le côté apparent de l'iceberg. L'aspect qualité est bien plus piètre. Heureusement que nous n'avons pas de classement international réputé sur cet aspect. Notre position serait bien pire que le Doing Business où nous figurons toujours parmi les 20 derniers pays. C'est cet aspect-là qui explique un fait rare : nous sommes un pays sous- développé, mais globalement plus émetteur que récepteur de touristes. Certes, les conditions plus générales (civisme, sensibilité des citoyens aux exigences du secteur) font défaut. Mais le secteur est gravement malade de son management de la qualité et de sa gestion tout court. Il ne peut être question ici de faire un diagnostic exhaustif du management de ce secteur. Mais force est de constater que ni la stratégie ni le management opérationnel ne sont au niveau des pays à performance moyenne. Les actions essentielles de redressement Mais que convient-il de faire donc pour améliorer la situation ? Beaucoup d'observateurs trouveraient cette première et plus importante orientation quelque peu déroutante. Nous sommes un pays en voie de développement qui essaye de parachever sa transition à l'économie de marché. Par conséquent, nous sommes loin d'avoir architecturé notre cohérence institutionnelle. Dans ce cas de figure, un ministère ne peut pas concevoir la stratégie, les mécanismes opérationnels et se charger de l'exécution. Il faut qu'il y ait une organisation tout autre : c'est «l'institution cerveau» ou un ministère de la planification (indicative) qui doit réunir en son sein les meilleurs spécialistes du domaine pour concevoir une stratégie ouverte, concertée ainsi que les modes opératoires. Le ministère qui collabore étroitement avec toutes les instances concernées devient surtout un outil de réalisation. L'organisation actuelle ne permet pas de créer un secteur touristique de classe mondiale. En second lieu, l'équipe d'experts en charge du dossier aura à élaborer les diagnostics et surtout à répertorier les immenses possibilités disponibles avant d'élaborer la stratégie sectorielle (la méthodologie est connue des spécialistes). A cette étape cruciale, il est nécessaire de mobiliser d'abord toute l'expertise nationale et compléter l'équipe par le savoir-faire international qui nous fait défaut. L'amélioration de l'environnement des affaires est un préalable au décollage du secteur, ce qui nous ramène à la problématique de l'interdépendance. Par ailleurs, tant que subsistent des doutes raisonnables sur la problématique sécuritaire, la partie internationale de l'activité ne peut être que réduite. Il est très raisonnable de planifier, avec un redressement durable et systémique, un niveau de 25% du PIB, ce qui ferait de ce secteur un acteur fondamental de diversification économique. Les priorités du développement sectoriel sont largement identifiées. Il s'agit surtout : 1. orienter le maximum de ressources vers le développement humain (formation et recyclages) ; 2. intégrer la culture touristique dans les programmes d'éducation nationale ; 3. aider à monter des TO (Tours operators) et à démultiplier des agences de voyages professionnelles (labellisées) ; 4. appuyer les investissements lourds, surtout dans le Sud et les Hauts-Plateaux ; 5. mettre en place les mécanismes de promotion de la qualité : crédits bancaires, réduction de taxes pour la mise en place de systèmes, etc. ; 6. Instaurer des mécanismes de concertations permanentes entre les parties prenantes et les pouvoirs publics afin de réajuster en permanence les décisions (l'idéal serait de confier cette mission au «centre de conception» qu'on a précédemment évoqué). Nous avons occulté maints aspects liés au développement du secteur. Même un ouvrage volumineux minimiserait certaines facettes. Ce qui explique la nécessité d'une concertation la plus large possible avec l'ensemble des parties prenantes : les choix politiques relèveront de décisions de gouvernement, mais l'instrumentation technique devrait être purement et simplement être placée là où elle doit être : entre les mains des compétences avérées dans le domaine.