Le secteur de l'énergie est l'un des plus complexes et des plus incertains à analyser en termes de perspectives. Un bureau d'étude européen a interrogé les 20 «meilleures institutions et personnalités» sur l'avenir des prix pétroliers à l'horizon 2022. Le prix moyen fourni était de 110 $, mais les estimations variaient de 69 à 170 dollars. Les paramètres qui influent sur le devenir du secteur sont complexes et interdépendants : aspects géopolitiques, nouvelles technologies, vigueur de l'économie mondiale, règlementations environnementales et d'autres facteurs parmi les plus difficiles à prévoir. Cinq années auparavant, le débat était centré sur le rôle futur que devait jouer le nucléaire et les énergies nouvelles dans les choix des bouquets énergétiques des différents pays. Alors que cette question fut loin d'être tranchée, les nouvelles technologies de production de gaz et de pétrole de schiste, avec les premiers résultats apparemment acceptables aux USA, orientent le débat vers une tout autre direction : quel devrait être le rôle de ces produits dans le panier énergétique d'un pays ? On ne peut éviter de se poser de telles questions pour notre propre devenir. Mais s'il y avait une réponse simple, on l'aurait vite trouvée. Grands risques et incertitudes Selon le magazine Oil and Gas Journal, l'Algérie dispose de réserves pétrolières prouvées de 12,2 milliards de barils et 4502 milliards de m3 de gaz. La production pétrolière journalière oscille autour de 1,27 million de barils de pétrole et 87 milliards de m3 de gaz par an. La consommation nationale représenterait 19% de la production de pétrole et 17% du gaz. Mais la progression est forte entre 11 et 15% par an. Il y a un interminable débat sur le taux de récupération réel de ces richesses ; ce qui pose de grands aléas sur le devenir de ce secteur encore et toujours incontournable pour le financement des investissements ; et tout simplement le fonctionnement quotidien de l'économie nationale. Les exportations hors hydrocarbures peinent à dépasser les 2% et le financement de l'économie par les hydrocarbures se situe autour de 35%. Plus de 69% des biens et services que nous consommons sont importées. Tout simplement, sans les hydrocarbures, notre économie s'effondrerait. Le débat sur la construction d'une économie productive et compétitive hors hydrocarbures dure depuis plus de quarante ans, mais à aucun moment nous n'étions en train de maîtriser l'ensemble des facteurs-clés de succès pour réussir. Si bien que tout reste à refaire ou tout simplement à faire. Nous pourrons affronter dans le futur un grave problème d'offre d'énergie. Avec une demande qui va doubler tous les sept à huit ans, les volumes à exporter seront réduits. Là-dessus, nous n'avons pas les simulations sur les différents scénarios probables. Le second problème auquel nous pourrions faire face est celui des prix. Selon certains analystes (contredits par d'autres), la demande croissante en énergie sera amplement satisfaite par une offre qui sera de plus en plus abondante. Les prix seraient alors orientés vers la baisse. Des analyses pessimistes parlent même de 40 dollars le baril (le coût marginal de l'extraction du pétrole de schiste sera orienté à la baisse). Si nous travaillions sur le scénario le plus pessimiste dans 10 ans : 60 dollars le baril et réduction des quantités de 50%, nous aurons des recettes de 16 à 20 milliards de dollars à un moment où la population frôlera les 50 millions d'habitants. C'est sur ce scénario pessimiste que doivent plancher nos stratèges dès à présent. Que faut-il faire ? Et comment agir pour éviter de graves remous économiques et sociaux ? Décisions et précautions Si on tire des leçons des enseignements de la stratégie : en période de fortes turbulences dans un environnement compétitif complexe, les décisions doivent consacrer la précaution mais en pariant sur l'avenir. L'Algérie va investir 80 milliards de dollars durant les cinq prochaines années pour booster les capacités productives de son secteur. Le premier élément du pari est de mobiliser des ressources. Nous faisons donc un premier pas dans la bonne direction. Le second élément de l'équation concerne la demande nationale qui doit être satisfaite en priorité. Ce qui implique que nous devrions laisser dans le sous-sol au moins trente à quarante années de consommation nationale. Le reste peut être exporté. Nos stratèges doivent donc consacrer cette priorité dans les plans de développement de ce secteur. Par ailleurs, en face des incertitudes, la meilleure stratégie est celle de la précaution : il nous faut un portefeuille diversifié de sources énergétiques : produits conventionnels, renouvelables, schistes (en s'assurant de la maîtrise des conséquences environnementales). Laissons également les entreprises privées risquer, tout en assurant une régulation adéquate. L'Algérie s'est lancée dans l'exploration des produits dérivés du schiste. Ce qui est un premier pas vers la diversification des sources énergétiques. Il faut que nos experts débattent intensément et librement avec les décideurs publics afin d'arriver à une plate-forme commune. La meilleure manière de produire une doctrine de stratégie énergétique demeure de la concevoir au sein d'une «institution cerveau» qui dialogue avec l'ensemble des acteurs. Personne ne détient encore la vérité sur la technologie et le devenir du gaz et du pétrole de schiste. La décision d'exploiter d'abord les gisements traditionnels, puis passer aux énergies de schiste n'est pas forcément la bonne. Le «switching» est toujours difficile en termes de technologie, d'organisation, de marketing et le reste. Je dis simplement que le débat ne doit pas être clos aujourd'hui. Mais sans doute la plus grande des précautions demeure de développer une économie productive et efficace hors hydrocarbures par une diversification judicieuse des activités. Force est de constater les revers de toutes les démarches entreprises jusqu'à présent. On connaît le pourquoi de l'échec de toutes ces tentatives : l'absence d'une politique de qualité et d'utilisation optimale des potentialités humaines, les faiblesses managériales au sein de l'ensemble des institutions, le financement de l'importation au détriment d'une économie productive nationale, l'absence de stratégie de développement, une organisation de l'Etat inappropriée (hypercentralisation et hyperbureaucratisation) et autres. La levée de toutes ces contraintes constitue la meilleure des stratégies pour sortir du tout pétrole. Les solutions sont également connues des experts. Nous en avons déjà livré une bonne partie dans ces mêmes colonnes. D'autres éminents économistes nationaux complètent le tableau. Nous avons les moyens et encore un peu de temps pour sortir de cette dépendance mortelle. Il nous reste la décennie de la dernière chance.