Jeudi, ce n'est plus le week-end. Mais jeudi, autour du chapiteau blanc qui abrite le Salon international du livre d'Alger (SILA) au niveau de l'esplanade du complexe du 5 juillet, il y avait foule. Les visiteurs entraient par petits groupes, en raison d'un portique de sécurité qui a créé un encombrement. A l'intérieur, l'humidité et la condensation ont mouillé les livres. Les exposants tentaient tant bien que mal de couvrir les stands avec des feuilles en plastique pour se protéger des gouttes qui leur tombent dessus. Mais où sont les appareils anti-humidité ? A l'entrée du petit couloir des salles de conférences, Afrique et El Qods, censées être ouvertes au public, deux agents de sécurité arrêtaient les personnes qui, éventuellement, pouvaient être intéressées par les débats. Résultat : les deux salles sont presque vides. Une table ronde sur les femmes arabes dans l'édition a été annulée ; les libanaises Rania Zaghir et Rana Idriss n'ont pas pu venir à Alger en raison d'une mauvaise programmation des billets d'avion. Les éditrices présentes, dont l'Egyptienne Fadwa El Boustany et l'Algérienne Dalila Nadjam, se contentaient de discussions avec les rares journalistes présents. Fadwa représente l'une des plus anciennes maisons d'édition d'Egypte, El Boustany Publishing House, qui a plus de 100 ans d'existence et qui édite une trentaine d'ouvrages par an. « Je suis native de la troisième génération des Boustany gérant cette maison. Notre édition est spécialisée en littérature et histoire. Nous publions également des livres d'enfants », a-t-elle précisé. L'édition en Egypte fait face, selon elle, à des problèmes de diffusion et de distribution. « Le soutien de l'Etat à la distribution est faible. Nous voulons toujours que l'Etat achète nos ouvrages pour les bibliothèques et pour les ministères en quantités plus importantes », a souligné Fadwa El Boustany. Selon elle, les livres religieux sont toujours en tête du hit-parade des meilleures ventes. « Il n'y a pas de censure, mais nous refusons les livres qui n'apportent rien au lecteur », a-t-elle noté. Azazil, le dernier roman de Youcef Zidane, qui raconte une histoire sur les coptes, est l'actuel best-seller des éditions El Boustany. « C'est un roman agréable à lire avec un style particulier d'écriture. C'est le sujet qui a attiré les lecteurs. C'est un mélange de fiction et d'histoire », a-t-elle relevé. Youcef Zidane est chercheur à la célèbre bibliothèque d'Alexandrie. L'espagnol Juan Castilla Brazalès, directeur de l'Institut d'études arabes de Grenade, est, pour sa part, venu au Sila présenter un livre basé également sur l'histoire, Il était une fois en Andalousie (Erase une vez al andalus). Ce grand spécialiste de la philologie sémitique (comme le fut l'allemand Gotthelf Bergsträsser) a écrit un ouvrage illustré par des photos du Palais de l'Alhambra et narrant l'histoire de deux familles, l'une marocaine et l'autre espagnole. « C'est un livre destiné aux jeunes et à un public qui ne connaît pas ce qu'a été la période andalouse. Je me suis rendu compte que même les adultes ignoraient beaucoup de choses de cette période historique. J'ai conçu mon livre comme une histoire. Il y a un côté anecdotique dans le titre », a précisé Juan Castilla Brazalès. A-t-on voulu effacer une présence arabo-musulmane de huit siècles de la mémoire des espagnole ? « Il y a eu un peu de tout. Les espagnols avaient parfois honte de certains aspects historiques de leur pays. Ils ont tenté d'effacer les aspects liés à la présence arabe. Certains se sentaient moins européens en raison de l'Andalousie. Ce sentiment négatif a été dépassé. Il y a eu d'autres espagnols qui ont loué, avec beaucoup d'affection, les bienfaits de la période andalouse qui représente un tiers de l'histoire de l'Espagne », a indiqué le chercheur. Juan Castilla Brazalès reconnaît que l'Inquisition espagnole est une partie sombre de l'histoire du pays. « Mais il faut l'assumer. Je ne veux pas faire de similitude, mais parler de l'inquisition, c'est comme si on demandait à un allemand s'il avait honte du régime nazi », a-t-il dit. Pendant quatre siècles, à partir 1480, l'inquisition menée par une juridiction ecclésiastique et protégée par les rois, allait réprimer avec cruauté les musulmans, les protestants, les juifs, les sectes, bref tous ceux qui ne n'étaient pas catholiques. L'histoire, la mémoire et légendes nourrissent la littérature. Le jeune Abderrazak Boukoba a puisé la matière de son premier roman La peau de l'ombre, qui a dit à la bougie ouf ? paru aux éditions Alpha dans les chroniques de son village natal de Ouled Djehiche à Bordj Bou Arréridj. Rencontré au stand de son éditeur où il faisait une vente-dédicace, le romancier, qui écrit en arabe, nous a parlé de ce premier acte d'une trilogie qui passe au crible les tourments de l'Algérie. « C'est que j'ai voulu fructifier ma propre expérience de villageois accueilli par la ville. Je ne sais si elle m'a accueilli ou rejeté. Je narre le vécu d'un village qui ne connaît pas son histoire. Le meilleur de nous connaît son quatrième ancêtre. Il y a une période obscure. Tantôt ils disent que nous sommes originaires du Sahara occidental, tantôt du Yémen et parfois de l'Andalousie. Donc, j'ai imaginé une histoire pour ce village en l'écrivant avec un arabe correct, pas forcément oriental, ‘‘la balagha'' algérienne », a raconté Abderrazak Boukoba, la passion dans la voix. L'histoire du roman commence en 1847, la date de la capitulation de l'Emir Abdelkader devant l'armée coloniale française. « Les vieux du village voulaient que tous les jeunes jurent sur le Coran de ne pas partir. Ils jurèrent, sauf Dhiab qui ne voulait pas rester. Selon lui, personne ne maîtrise son destin. Cela a été perçu comme un rébellion. Dhiab a été alors attaché à un caroubier.... », a détaillé le romancier. Abderrazak Boukoba vient de décrocher le prix de Beyrouth 39, un concours organisé par la fondation High Festival et le ministère libanais de la Culture pour son récit, Ailes pour l'humeur du loup blanc. « C'est un concours pour sélectionner 39 auteurs arabes ayant moins de 39 ans, pour mettre en valeur leur travail et traduire leurs œuvres », a-t-il expliqué. En fin de journée, dans une table ronde, a été abordé, par les romanciers, le personnage historique de l'Emir Abdelkader. Elle a été animée, entre autres, par l'écrivaine algérienne Dalila Hassaïn-Daouadji qui vient de publier un essai, Abdelkader, Emir au-delà du temps, paru aux éditions Casbah, où elle évoque la polémique relative au « passé maçonnique » de l'émir. Une polémique toujours d'actualité...