C'est parce que le métier de bottier est en voie de disparition que nous sommes allés à la rencontre de l'un des doyens de cet art. C'est dans sa belle demeure au niveau d'El Biar que l'homme -âgé de 82 ans- à la modestie inégale et à l'amabilité déconcertante, nous a reçus, en compagnie de sa fille Anissa. Cette dernière travaille de concert avec son papa puisqu'elle réalise les pochettes de mariées. Confortablement assis dans son fauteuil, Méziane Attrouche se lance dans de poignants souvenirs . Il revient avec beaucoup de nostalgie sur ses débuts professionnels. Il a acquis ce métier, il y a une soixantaine d'années alors qu'il avait tout juste 16 ans, auprès d'un grand chausseur bottier espagnol, Guillom Perez qui possédait un atelier à El Biar. Amoureux, il faut l'être pour embrasser un métier d'artisanat, plus particulièrement dans le domaine de la chaussure sur mesure. Mais cela ne suffit pas, nous dira, Méziane Attrouche. « Il faut de la créativité, de l'exigence et de la rigueur ». Des qualités qu'il a perfectionnées essentiellement auprès de son premier employeur durant une vingtaine d'années. Un homme qui était intransigeant, perfectionniste, professionnel d'un autre temps. C'était l'un des plus grands bottiers de son temps qui se plaisait à réaliser uniquement des séries de chaussures de soirée pour femmes. La vie de Méziane prendra une autre tournure avec le départ du bottier espagnol de l'Algérie. « M. Perez voulait m'emmener avec lui mais comme je n'avais pas de carte d'identité à l'époque, j'ai dû temporiser. Mais après mûre réflexion, j'ai préféré ne pas m'exiler » se souvient-il. Il a continué un laps de temps à travailler avec quelques grands confectionneurs de chaussures sur la place d'Alger avant de décider de s'installer à son propre compte. Il aménage, ainsi, un petit atelier atypique et intime à la fois où le client peut circuler pour voir évoluer sa commande. Car tout le concept réside dans ce rapport de proximité, dans cet esprit d'échange ayant lieu entre le professionnel et le client. « Il faut être à l'écoute du client et décrypter son envie » explique Méziane Attrouche. C'est ainsi que débute une aventure formidable, doublée du plaisir d'avoir à ses côtés l'un de ses fils. Une clientèle des plus éclectiques y défile. Cet artiste des temps anciens et modernes à la fois, a toujours mis son savoir- faire à la disposition des mariées d'Alger et même d'autres régions, en leur créant des chaussures de soirée sur mesure, modernes et traditionnelles, très souvent tissées et brodées sur le même tissu d'un karakou, d'un caftan ou autres tenues souhaitées. C'est selon la demande de la cliente. Les pochettes sont confiées à sa fille informaticienne, Anissa Attrouche. De l'avis de cet artiste hors pair, parmi les divers métiers du cuir, le soulier est sans conteste, le plus riche confirme-t-il. De plus il demande une gamme de cuirs de premier choix très variée. « Pour la semelle, le talon, les coutures jusqu'à la peausserie qui le recouvre et que l'on sculpte à partir d'une bûche de bois. L'effluve de la cire d'abeille tiède, le bruit du cuir que l'on travaille, toute cette ambiance revêt un aspect presque religieux »,0 nous dit-il d'une voix douce.Si le « sur mesure » s'adresse aux esthètes du soulier, aux amoureux inconditionnels et aux collectionneurs, il n'en demeure pas moins que notre interlocuteur déplore que le métier de bottier soit à l'agonie du fait que les produits chinois, turcs et syriens inondent le marché algérien. Ils annoncent la mort de l'industrie textile nationale. A la question de savoir si la relève peut-être sauvée, le bottier ne mâche pas ses mots pour affirmer que les jeunes d'aujourd'hui préfèrent le gain facile à défaut de commencer par une bonne formation. En dépit de cette situation peu reluisante et de la fermeture de son magasin il y a plus de dix ans, Méziane Attrouche continue de répondre aux besoins d'une clientèle restreinte. Alors pour les amatrices du « sur mesure », plus aucune hésitation. Vous trouverez forcément chaussures à vos pieds... en allant chez Améziane Attrouche !