Le professeur et expert financier Mourad Goumiri pense qu'en Algérie, il n'y a pas de pouvoir mais plutôt plusieurs centres de pouvoir. Lors de son passage hier au forum du quotidien Liberté pour débattre de la thématique «Crise financière : quelles causes ? Quels remèdes ?» M. Goumiri confirme l'existence d'une crise économique et surtout d'une crise du dinar et explique que dans tous les pays, l'économie prime sur le politique, mais étant à la veille d'une échéance particulière qui est l'élection présidentielle d'avril 2019, la donne en Algérie s'est inversée dès lors que c'est le politique qui domine l'économie. Il donne pour preuve l'élaboration d'une loi de finances 2019 dénuée de toutes nouvelles taxes. «Toutes les taxes qui risquent de rendre les Algériens nerveux ont été évacuées de la loi de finances 2019. Le but est d'acheter la paix sociale et de franchir cette étape dans le calme. Pour moi, il s'agit d'une fuite en avant, car les choses vont s'accumuler et par la suite nous allons le payer très cher», s'inquiète M. Goumiri, rappelant que le système actuel n'est pas fait pour arranger les choses, car le Président étant malade mais ayant tous les pouvoirs de décision entre ses mains pose un véritable problème. A la question de savoir si la crise économique est due à l'incompétence du gouvernement ou à son refus d'écouter la vérité des chiffres et la logique économique, ou alors s'il est contraint d'écouter d'autres voix, M. Goumiri est persuadé que le gouvernement n'est nullement incompétent, il est plutôt dans la logique de rester et de se maintenir coûte que coûte au pouvoir et d'ailleurs, c'est la raison pour laquelle certains responsables sont en poste depuis plusieurs années. «La rationalité économique est le dernier des soucis de ce gouvernement. Est-ce que vous connaissez la couleur politique du gouvernement actuel. Personnellement, je n'en ai aucune idée. En Algérie, ce n'est pas l'appartenance idéologique qui fait qu'un individu soit nommé ministre, mais son appartenance au clan. C'est la relation de proximité au pouvoir qui importe. Ils sont dans cette logique», résume M. Goumiri. Un hold-up anticonstitutionnel Face à la crise qui secoue le pays et l'absence de réformes économiques, quelles sont les perspectives pour 2019 et comment appréhender l'avenir ? A cette question, M. Goumiri est plus que certain qu'avant l'élection d'avril 2019, aucune décision majeure ne sera prise. Il affirme toutefois que l'événement de la présidentielle va structurer toutes les prochaines décisions que l'Algérie aura à prendre. M. Goumiri déplore ce retard inéluctable que vient d'accuser notre pays en raison de ces joutes électorales. «Nous sommes en train de reculer d'une échéance. Si nous avions commencé depuis longtemps, nous aurions atténué l'onde de choc, maintenant c'est trop tard», affirme M. Goumiri. Pour redresser l'économie, il est convaincu qu'après la présidentielle, les contraintes extérieures vont s'imposer à notre pays, et de ce fait l'Algérie sera restructurée de l'extérieur et non de l'intérieur. Le pays en a fait l'expérience en 1988. Il rappelle à cet effet l'époque où l'Algérie était passée à la «trappe» avec pour un lot des réformes bloquées et surtout la mise en place de l'ajustement structurel qui était la protection des bailleurs de fonds. «Qu'importe le futur Président. Ces questions vont se poser avec acuité au mois de mai prochain. Comment notre pays va-t-il intégrer l'économie mondiale et européenne ? Il est inconcevable qu'en 2019, seule l'Algérie et deux autres pays, notamment la Libye et la Syrie, n'ont pas adhéré à l'OMC.» Dans la foulée, cet expert financier a dénoncé ce qu'il qualifie de hold-up anticonstitutionnel opéré en 1999 avec l'arrivée de Bouteflika au pouvoir. «En 1999, nous avions eu un Président qui a été installé par l'armée, on lui a fait un programme économique qu'on appellera plus tard le programme du Président. Ils ont sollicité pour sa mise en application Chakib Khelil, Temmar, Benachenhou. Par la suite, ils ont décidé de créer un compte spécial, nommé le Fonds de régulation des recettes», rapporte le professeur précisant que ce fonds ne rentre pas dans le cadre de la comptabilité, c'était en somme une caisse noire. «Il est interdit dans la comptabilité d'avoir des ressources sans affectation. Le pouvoir législatif vote la LF sur la base d'un prix de référence de 19 dollars des recettes de l'Etat et le reste des recettes est logé dans ce compte, laissé sous l'emprise du pouvoir discrétionnaire du Président», note M. Goumiri. S'agissant de la planche à billets, cet expert souligne que l'Algérie en a imprimés sans aucune contrepartie de productivité, ce qui est un désastre. «Nous ne sommes pas dans une situation de mauvaise gestion, car cela a des solutions, nous sommes dans une situation de non-gestion»,réplique-t-il.