L'ouvrage regroupe huit poèmes, dont une majorité d'inédits, en arabe, en transcription latine et en traduction française. Les œuvres sont accompagnées de nombreuses notes explicatives et d'un glossaire de la langue du poète. Resté à l'état de manuscrit, l'ouvrage est redécouvert par le chercheur spécialisé en poésie populaire, Ahmed Amine Dellaï, qui en signe une présentation du contexte historique. Il évoque un moment «où une convergence d'intérêt pour la poésie melhoun (…) se traduira par la coopération entre l'autorité politique coloniale, l'institution académique et l'élite musulmane bilingue». En encourageant les recherches sur la poésie populaire, notamment par le prix de traduction, les autorités coloniales espéraient détourner les esprits des revendications de réformes et des aspirations révolutionnaires. Mais cette stratégie ne produira pas les résultats escomptés. En effet, en parallèle à ses recherches sur le melhoun, Ahmed Tahar militera à l'UDMA aux côtés de Ferhat Abbas, avant d'être arrêté en 1959 pour avoir manifesté son soutien au combat du FLN et de s'exiler au Maroc où il poursuivra sa carrière d'enseignant d'arabe et son engagement militant. Ahmed Tahar a été le premier à réunir les textes de ce grand poète de Mascara que fut El-Habib Benguenoun (XVIII et XIXe siècles). L'une de ses qacidate les plus connues fut immortalisée dans le genre malouf de Constantine sous le titre Al-Dhalma. Preuve, s'il en faut, que les textes circulaient à travers tout le pays parmi les amateurs du beau verbe (il existerait une version de cette qacida éditée par l'imprimerie de Abdelhamid Ben Badis en 1932 !). L'œuvre de Benguennoun a en effet été chantée non seulement dans le genre bédouin mais aussi dans le hawzi et le aroubi. En son temps, l'élite du melhoun se lançait même des joutes poétiques d'une région à l'autre et des académies veillaient à jauger la qualité des œuvres. Il existait au XVIIIe siècle, à Mazouna, un «parnasse de la poésie populaire», présidé par le grand fsih de Sidi Bel Abbès. Ce dernier envoya le poète Benssaouda provoquer Benguennoun dans un duel d'énigmes poétiques dont ce dernier sortit avec les honneurs. Notre poète était un maître reconnu avec de nombreux disciples, à l'image de Mustapha Ben Brahim qui reconnaissait : «Benguennoun est une mer (de poésie) débordant sur les poètes de toutes les régions.» S'il a touché à divers sujets, l'amour reste la principale source d'inspiration du poète. De Saadiya à Fatma, Benguenoun a chanté les femmes, leur beauté, la douleur de la séparation, la joie des retrouvailles et le vœu du repentir. Peu prolifique, Benguennoun était «semblable à l'autruche, il donnait un œuf par an». Mais chaque poème ciselé avec raffinement confirmait sa place au panthéon du melhoun. Ahmed Tahar, «Benguennoun, poète de la plaine du Ghriss», CRASC, Oran, 2013.