A quelque dix mètres du portail du campus en question, un groupe d'étudiants est soudainement hélé par un énergumène dont la mine ne dit rien de bon. «Pourquoi me regardez-vous ainsi ?», apostrophe-t-il l'un des étudiants, assez agressivement. Ce dernier lui répond qu'il n'en est rien et lui demande de s'écarter et de les laisser tranquilles. L'énergumène, poussant la provocation plus loin, profère un chapelet d'injures et est vite rejoint par son acolyte qui, sans autre forme de procès, assène un violent coup de pied à l'étudiant et l'atteint en plein ventre. Le pauvre se plie en deux, fou de douleur et ne comprend rien à ce qui lui arrive. Comme si cela ne suffisait pas, un troisième voyou — puisqu'on ne peut pas les appeler autrement — surgit d'on ne sait où, armé d'un sabre et fonce dans le tas en voulant, visiblement, achever le malheureux. Le reste des étudiants, solidaires avec leur camarade, l'ont tiré vers un magasin voisin dans une tentative de fuir la bêtise aux intentions de meurtre. Des riverains sont également intervenus pour mettre fin à l'agression. Quelques minutes plus tard, et bizarrement, les agresseurs reviennent vers le groupe d'étudiants et… s'excusent. L'agression de trop Dimanche 11 mai 2014. Les étudiants rentrent de leur week end et reprennent leurs études. Ceux du comité du Département des sciences de la nature et de la vie, sciences de la terre et de l'univers, préparent, en parallèle, une semaine culturelle. Il est 10h30. Un groupe d'entre eux sort du campus et se dirige vers un buraliste du coin pour imprimer les affiches. Ils sont huit, dont trois filles. «Tout à coup, le frère du voyou qui nous a hélés jeudi, un dealer notoire et, il faut le dire, est celui-là même qui s'est introduit, ivre, dans l'enceinte de la cité universitaire de jeunes filles en 2010, vient vers nous et empoigne notre ami agressé jeudi et le gifle. Quand un autre étudiant est intervenu, le dealer a sorti un sabre et a asséné un violent coup que notre ami a esquivé de justesse», raconte Salim, très en colère contre ce qu'il qualifie de l'agression de trop. Mais ne dit-on pas qu'un malheur ne vient jamais seul ? Comme s'ils étaient tapis dans l'ombre à l'affût de leur proie, une quinzaine d'individus, armés de couteaux, de barres de fer et de manches à balai encerclent le groupe et commencent à frapper dans le tas. Les malheureux étudiants, abasourdis, livrés à eux-mêmes et choqués par tant de violence gratuite tentent de s'abriter dans un café. Mal leur en a pris. Le café est rempli de voyous qui repoussent les étudiants vers l'extérieur et commencent à les tabasser. L'un d'eux, un certain Farid, que les étudiants agressés affirment qu'il n'est autre que l'adjoint du chef des agents de sécurité de la cité universitaire de garçons Tamda 2, est parmi les agresseurs. Pire, il est armé d'un manche à balai avec lequel il frappe sauvagement à la tête Idir, un étudiant qui a failli perdre un œil suite à cette barbarie. N'était l'intervention des commerçants, beaucoup de sang aurait coulé ce jour-là. Traumatisés, indignés et emplis d'un sentiment d'injustice flagrante, les étudiants se dirigent vers la sûreté de wilaya de Tizi Ouzou pour déposer plainte. On leur explique que Tamda ne relève pas du secteur de leurs compétences et qu'ils doivent plutôt se diriger vers la gendarmerie de Fréha. Un bain de sang évité in extremis Après un dépôt de plainte, des proches et des amis des victimes, ayant appris l'horreur vécue par les leurs le matin-même, affluent de Michelet, de Tigzirt, d'Azzazga, de Larbâa Nath Irathen et d'autres régions encore, armés de gourdins, de pelles et de barres de fer pour «régler leur compte à ces voyous qui font la loi et agressent des étudiantes et des étudiants sans défense». Lâches, ces voyous se sont terrés quelque part, alors que les étudiants ont déployé des trésors de persuasion pour convaincre leurs proches de rentrer chez eux et empêcher un bain de sang qui aurait endeuillé de nombreuses familles. «Vous savez, ces agressions, ce n'est pas nouveau. On vit ça depuis l'ouverture du campus de Tamda en 2008. On le vit au quotidien. Les filles sont tout le temps agressées verbalement, voire même physiquement. Quant aux garçons, si ce n'est pas le bâton, c'est le couteau, sans parler des menaces de mort et autres intimidations. Nombreux sont ceux qui ont changé d'université ou ont carrément abandonné leurs études. On a tout le temps peur. On est tout le temps sur les nerfs et on n'arrive pas à se concentrer sur nos études», explique Mohand. Idir, l'étudiant qui a failli perdre un œil, est encore sous le choc. Perdu, hébété, il répond comme un automate. «Je ne sais pas si j'ai peur. Je ne sais pas ce que je fait ici. Je ne comprends plus rien», indique-t-il, peiné, amer, mais digne dans sa douleur. Comme des caïds dans un territoire conquis Les voyous en question se comportent, en effet, comme des caïds en territoire conquis. Ils accèdent comme bon leur semble à l'intérieur de l'université et aux trois cités universitaires, dont deux d'étudiantes. Outre les témoignages d'étudiants, cela a été constaté de visu. «On ne peut pas surveiller toute cette superficie. Ils escaladent les murs d'enceinte et on ne peut pas les voir», tente de se justifier un des agents de sécurité du pôle universitaire de Tamda. Et ceux qui y accèdent par la porte ? Et ceux qui y pénètrent au volant de leur voiture, d'où la musique fuse à fond ? Et ceux qui mangent chaque jour au resto universitaire, comme si c'était un quelconque fast-food, menaçant et harcelant étudiantes et étudiants ? Pourquoi ne contrôle-t-on pas leur identité ? Pourquoi ne les dénonce-t-on pas ? Si certains dont le salaire, signalons-le au passage, ne dépasse pas les 15 000 DA ont peur des représailles et disent qu'ils ne souhaitent pas risquer leur vie, d'autres sont bel et bien complices de cette mafia qui sème la terreur au sein de la communauté universitaire de Tamda. «Même à la cité universitaire où nous sommes censées être en sécurité, on est tout le temps sur nos gardes. On ne fait pas confiance aux agents. C'est impossible. On les voit chaque jour en train de papoter avec ces mêmes voyous devant l'entrée de la cité. Ils les laissent même y accéder, et gare à nous si l'envie de protester nous prend», affirme Samia, une résidente de la cité universitaire Tamda 3. Beaucoup d'autres résidentes dont celles de la cité Tamda 1 rapportent les même propos. «Si ce n'est pas à l'extérieur, c'est à l'intérieur. Des voyous garent leur voiture juste sous les fenêtres des chambres, mettent de la musique à fond jusqu'au petit matin, picolent et jettent les bouteilles et les canettes à l'intérieur de la cité. Hélas, il y a des filles qui sont de mèche avec eux et avec certains agents puisqu'elles se mettent à leur fenêtre à moitié nues, dansent et parlent avec ces énergumènes, mais c'est nous qui payons les pots cassés», renchérit Nassima, très en colère. La bêtise ne s'arrête pas là. «En avril dernier, lors de la campagne électorale, un meeting que voulaient animer des élus RND juste devant l'un des portails de l'université a été empêché de se tenir. Très en colère mes pesant bien leurs mots, ces élus ont menacé les étudiants des pires représailles. Ils font appel à ces voyous pour étouffer tout mouvement de protestation. Des fois, je me dis que tout est politique. Des gens du pouvoir qui craignent l'opposition de la masse étudiante font tout pour déstabiliser l'université», accuse Amine. Dans le même contexte, il est utile de soulever certaines interrogations. En effet, comment ces gredins au chômage arrivent-ils à louer régulièrement des voitures, acheter des molosses tels que les pitbulls et les rotweiller qui coûtent des millions de centimes ? Par qui sont-ils financés ? Mieux, qui les protège, au point où ils agissent en toute impunité ? Des point d'interrogation qui demeurent posés. «Il n'y a pas d'insécurité, c'est du mensonge» Pour M. Metahri, le vice-doyen chargé de la pédagogie à la Faculté des sciences biologiques et agronomiques, «là où il y a le miel, il y a des abeilles et, hélas, là où il y a des universités et des cités universitaires, il y a des charognards.» M. Metahri, qui a pris part, mercredi dernier, à une assemblée générale qui a regroupé des étudiants, leurs parents, des enseignants, des représentants de différents comités de villages ainsi que des représentants de la Ligue des droits de l'homme afin de mettre un terme au règne de cette mafia, a énergiquement condamné la énième agression dont ont été victimes les étudiants. «On souffre énormément de cette insécurité et les étudiants ont entièrement raison. L'Etat, qui a dépensé beaucoup d'argent pour construire ce pôle universitaire, ne doit pas laisser aujourd'hui les étudiants en pâture à ces délinquants. Après l'AG, des mesures ont été prises par le recteur pour recruter plus d'agents de sécurité. Ces derniers doivent procéder à un filtre très strict et étanche, assurer la sécurité des franchises universitaire. Quant aux revendications de l'AG, il a été appelé au redéployement du barrage de la gendramerie de Tamda, ainsi qu'à des patrouilles de la police en attendant la livraison du commissariat qui a été construit à côté de l'université», a-t-il résumé. Toutefois, si ce responsable a confirmé les témoignanges des étudiants, ce n'est, hélas, pas le cas du Directeur des œuvres universitaires et des directeurs des deux résidences d'étudiantes. «La sécurité à l'intérieur de l'université est de la responsabilité du recteur. Seule la sécurité au sein des cités universitaires est notre responsabilité. Et je vous affirme qu'elle est assurée, la preuve : jusqu'à présent, on n'a reçu aucun rapport», soutient Ali Amri, le DOU. «C'est normal, on ne fait pas de rapport parce qu'on n'a confiance en personne. On a peur des représailles», expliquent, de leur côté, les étudiants. Même son de cloche chez Khellaf Achir, directeur de la cité de jeunes filles Tamda 1. «A l'intérieur de la cité, il n'y a pas de rapport ni de réclamations. Je ne m'occupe pas de ce qui se passe à l'extérieur», a-t-il dit. Kamel Daoud, lui, est directeur de la cité de jeunes filles Tamda 3. Il réfute en bloc les accusations des dizaines d'étudiantes qui ont témoigné. Pour lui, ce ne sont que «des spéculations de gens malinentionnés qui manipulent les étudiants pour avoir un poste de responsablité». Et rien que ça ? Comment expliquer donc qu'une journaliste — moi, en l'occurrence — ait pu accéder à cette cité universitaire six fois, sans qu'aucun agent me demande mes papiers ? Ne déduit-on pas que n'importe qui peut donc entrer à cette cité comme dans les deux autres ? Kamel Daoud, n'appréciant pas qu'on lui dise cette vérité, n'a pas trouvé mieux que de m'accuser de perturbatrice, me menaçant de poursuites judiciaires et me raccrochant au nez. Si le comportement du directeur est tel, quel serait donc celui des agents ? La Sûreté de Wilaya rassure Le lieutenant Nabil Mokhtara, de la sûreté de wilaya de Tizi Ouzou, a avancé que le secteur de Tamda ne relève pas de la police mais de la Gendramerie de Fréha. Il a ajouté qu'un commissariat a toutefois été construit près de l'université de Tamda, et que sa mise en fonction n'est qu'une question de temps. «Toutes les mesures pour inaugurer ce poste de la sûreté urbaine sont en cours. Les travaux de construction d'un célibatorium pour la police avancent à pas de géant. Il ne faut pas oublier qu'un poste de police exige des ressources humaines et matérielles dont il en sera doté dans un très proche avenir. Quant aux patrouilles, elles relèvent des prérogatives de la gendramerie. Cependant, elles peuvent être effectuées par les brigades mobiles de la Police judiciaire, mais uniquement après autorisation du procureur de la République.» Parlant au nom du chef de la sûreté de wilaya, il a tenu à rassurer que le commissariat en question entrera en fonction incessament.