Le prévenu a comparu pour «diffamation, injures et menaces de mort» contre son bâtonnier, maître Abdelmadjid Sellini. Des faits pour lesquels il a été placé, au mois de mars dernier, en détention provisoire, durant près d'une vingtaine de jours. Dès l'ouverture du procès, son avocat, maître Mokrane Aït Larbi, se lance dans une bataille de procédure, visant à faire annuler la poursuite en axant surtout sur «les conditions dans lesquelles le prévenu, de surcroît avocat, a été arrêté, placé en garde à vue, présenté au parquet d'Alger, puis mis sous mandat de dépôt, juste sur une instruction du procureur général». Me Aït Larbi rappelle que son mandant a été arrêté chez lui à 22h, alors que «le code de procédure pénale interdit toute interpellation entre 20h et 5h du matin…». Son confrère, maître Yahia Cherif, s'offusque de l'absence du plaignant au procès et lance à la présidente : «Dans cette affaire, la seule victime est l'Ordre des avocats dont fait partie le prévenu.» La présidente se tourne vers le prévenu. Elle lui demande de répondre des faits qui lui sont reprochés. Il récuse la présence de certains avocats du bâtonnier auxquels il reproche leur parti pris. Il refuse également la liste des témoins à charge, tous des avocats, présentée par le plaignant, les qualifiant de «garde rapprochée» du bâtonnier. «Ils n'ont pas été entendus par le juge d'instruction, pourquoi aujourd'hui veut-il les faire témoigner…», dit-il avant que la présidente ne le rappelle à l'ordre. «Le tribunal n'a pas refusé d'entendre les témoins, mais a estimé qu'il se contentera d'interroger ceux qui sont présents.» La défense de Amara prend acte de la décision du tribunal. Le prévenu rejette tout sur le bâtonnier, qui, selon lui, «est le seul à utiliser des propos malveillants et injurieux». La présidente lui demande de revenir aux faits. «Il m'a suspendu et j'ai été réhabilité par la commission nationale de recours, mais lui m'a interdit l'accès à l'assemblée générale et m'a insulté devant toute l'assistance…» La présidente : «Pourquoi toutes ces insultes ?» Le prévenu : «En fait, c'est lié à l'affaire Sonatrach 1. Depuis que j'ai été constitué par l'ex-PDG et ses deux enfants, Sellini, qui défendait la partie adverse, a tout fait pour m'enlever le dossier et m'écarter totalement de la corporation (…) Sellini a été constitué par la partie civile et moi je défendais l'ancien directeur général de Sonatrach et ses enfants…», crie Amara, avant que la présidente ne lui dise : «Revenez à votre affaire, ces détails ne nous intéressent pas.» Le prévenu : «Lorsque j'ai présenté ma candidature pour l'élection des membres du barreau, un confrère m'a dit que j'étais toujours suspendu par le bâtonnier. J'ai été le voir à son bureau et il m'a dit que je devais lui notifier la décision de réhabilitation. Je lui ai répondu que son mandat en tant que bâtonnier avait expiré et qu'il n'avait pas le droit de me parler ainsi. Il m'a insulté et injurié devant tout le monde. Le procureur général est devenu partie prenante. Ma maison a été encerclée par de nombreux policiers qui m'ont enlevé de chez moi en dehors des heures légales d'interpellation sur simple instruction du parquet général (…) après le dépôt de plainte du bâtonnier. Tout le quartier était assiégé, comme si c'était Pablo Escobar qui allait être arrêté. Ce qui est grave, c'est que les policiers n'avaient même pas mon nom complet. Ils ont demandé la carte nationale à leur arrivée (…) Je ne suis pas du genre à insulter en public. Je vous dis que Sellini a promis de mettre les avocats sous la coupe du procureur général, en contrepartie, ce dernier a promis de lui régler ses affaires.» Des propos qui poussent le procureur à réagir : «Ce que vous dites est très grave. Ou vous nous donnez les preuves de ce que vous avancez ou vous allez en être comptable.» La présidente : «Vous êtes en train de porter atteinte à la dignité des personnes.» Le prévenu : «Ce ne sont pas juste des atteintes. J'ai déposé des plaintes auprès du procureur général avec des copies aux plus hautes autorités du pays.» Le procureur : «Je demande de prendre acte des graves propos non avérés du prévenu.» La présidente accepte et demande au greffier de mentionner que le prévenu a mis en cause le procureur général et le bâtonnier. Ce qui suscite la réaction de Me Aït Larbi : «Nous avons mis près d'une heure pour arracher un acte, alors que le procureur l'a obtenu en quelques minutes seulement.» La tension monte entre avocats de la partie civile, la présidente et la défense du prévenu. Deux des trois témoins sont appelés à la barre. Le premier, Me Ouarda Medjahed, raconte avoir vu le prévenu entrer avec nervosité et une violence inouïe. «J'ai entendu un énorme bruit et quand je suis entré dans le bureau du bâtonnier, j'ai vu Amara immobilisé par ses confrères, qui tentait de tirer quelque chose de sa poche. J'ai eu très peur. Je pensais qu'il avait une arme, mais ce n'était pas le cas.» Le deuxième témoin, Me Khadraoui, déclare avoir vu le prévenu en colère contre Sellini, mais sans utiliser des menaces de mort. Le procureur requiert contre le prévenu une peine de six mois de prison ferme. Lors des plaidoiries, la défense de Amara demande la relaxe. Me Mokrane Aït Larbi commence par relever : «Cette affaire aurait dû être réglée au niveau de la commission de discipline et jamais par la justice. J'ai tenté d'arranger les choses en faisant appel à d'anciens bâtonniers comme Abbèche, Brahimi et Belloula, mais sans résultat (…)», avant de mettre en exergue les «violations de la procédure» qui ont caractérisé le dossier. Il s'offusque contre le fait qu'un avocat «soit poursuivi et mis en prison avec une facilité déconcertante, sans qu'il y ait une quelconque réaction. Un simple appel téléphonique aurait suffit pour convoquer le prévenu au parquet, comme cela est de coutume. Pourquoi avoir envoyé de nombreux policiers pour l'arrêter, chez lui, en dehors des heures légales ?» Les plaidoiries se sont poursuivies très tard dans la journée avant que l'affaire ne soit mise en délibéré, le verdict sera connu dans deux semaines.