Au moment où la gauche au pouvoir échoue à trouver des solutions à la crise économique qui pénalise la France depuis 2008, caractérisée par l'explosion du taux de chômage, l'opinion publique française semble, de plus en plus, séduite par les thèses de l'extrême-droite qui renvoient tous les maux de la société à ces étrangers qui «envahissent» la Gaule, «chipent» le travail aux Gaulois et «imposent» leurs cultures et religions. Propagé par les médias, via les voix des nouveaux lepénistes et quelques écrivains engagés, le discours raciste décomplexé est devenu, ces quelques dernières années, une opinion dans la «patrie des droits de l'homme». Tous les sondages et les élections, depuis 2012, affirment une percée de l'extrême-droite et de la droite dure. Dans ce contexte, la nouvelle théorie raciste, dite «le grand remplacement», pénètre dans les mœurs sociales et politiques françaises. Renaud Camus est l'inventeur de ce concept. D'autres intellectuels en font la promotion comme Eric Zemmour et nos confrères de Valeurs Actuelles. L'étoile et le croissant dérangent toujours ! En effet, dans son numéro 4072, du 11 au 17 décembre 2014, cet hebdomadaire confirme qu'il a viré de la droite républicaine pour épouser les valeurs du moyen-âge européen, baigné dans la guerre civile, le racisme et la xénophobie. Depuis jeudi dernier, «l'enquête» publiée par Valeurs Actuelles scandalise l'ensemble de l'immigration en France et provoque davantage la communauté algérienne. La Une de ce numéro en dit beaucoup. Elle est floquée d'un photomontage représentant un drapeau algérien accroché au monument parisien l'Arc du Triomphe, et une grande manchette intitulée : «Immigration, enquête sur le Grand remplacement», ne laissent aucun doute sur l'objectif malsain de la soi-disant enquête journalistique. Le fond du dossier publié n'arrange pas les dérapages de la forme. Au-delà des images d'illustration (drapeau algérien partout, femmes voilées, etc.), on y trouve des commentaires et des articles qui maltraitent la réalité et torturent les chiffres officiels pour leur faire dire exactement le contraire de leur interprétation rationnelle. On peut citer par exemple l'article de Mickael Fonton, avec son titre ironique : «Coût : ces très chers immigrés !» Le journaliste y réfute catégoriquement les études publiées récemment, qui indiquent que l'immigration rapporte à la France plus d'argent qu'elle ne lui en coûte. Lui, il préfère se référer à Jean-Paul Gourévitch (auteur de Migrations pour les nuls). Ce dernier, important à préciser, considère que les enfants d'immigrés (près de 2 millions) sont des étrangers, alors qu'ils sont nés et vivent en France. L'auteur de l'article cite ensuite des sources politiques de droite affirmant que «l'asile politique a explosé», et ses coûts avec. Jusque-là, malgré les interprétations farfelues des chiffres, le dossier de Valeurs Actuelles peut rentrer dans une simple lecture «droitière» des choses. Néanmoins, la liberté d'expression et d'opinion ne suffiront pas pour justifier une pure apologie du racisme dans l'article principal «Immigration : le tabou du ‘‘grand remplacement''», signé par Fabrice Madouas. Il fait tout simplement la promotion de valeurs qui n'ont rien d'actuel. Il valide la «théorie du Grand remplacement démographique», remise à jour par l'essayiste Renaud Camus, nouvelle source «biblique» de l'extrême-droite française. «Communautarisme. A-t-on raison de parler d'immigration massive ? Quelles en sont les conséquences sur la société française ? Valeurs Actuelles répond à ces questions : la combinaison du regroupement familial et du «droit à la différence» a conduit à une périlleuse fragmentation de la nation. Le fantasme du Grand Remplacement Le «Grand remplacement». L'expression est devenue si polémique qu'elle est désormais taboue. C'est ainsi que Madouas attaque son sujet, se donnant dès le début bonne conscience d'une plume chevaleresque qui «casse» les tabous au nom de liberté. C'est ce que font d'ailleurs Zemmour, Alain Finkielkraut, ou encore Ivan Rioufol, notamment en évoquant l'immigration, l'identité et l'Islam. Cette histoire de «Grand remplacement», pleine de fantasmes refoulés de racisme anti-immigration afro-maghrébine, se propage depuis septembre 2013 avec la publication du manifeste «Non au changement de peuple et de civilisation», rédigé par Renaud Camus, très proche de Marine Le Pen, présidente du FN. Dans son texte, l'alarmiste Renaud met en garde ses compatriotes : «Le Grand remplacement est le choc le plus grave qu'ait connu notre patrie depuis le début de son histoire puisque, si le changement de peuple et de civilisation, déjà tellement avancé, est mené jusqu'à son terme, l'histoire qui continuera ne sera plus la sienne, ni la nôtre». Se cachant derrière une posture de démographe et économiste antimondialisation, Renaud publie même un livre sur ce sujet : Le Changement de peuple. Il y explique, à sa manière, le phénomène du remplacement démographique en affirmant que les Français de souche «seront remplacés rapidement» par une «colonisation de peuplement», originaire notamment du Maghreb et de l'Afrique noire. Une «louche» à voix FN ! Comme dans la pensée de Renaud Camus, l'enquête erronée de Valeurs Actuelles amalgame volontairement plusieurs phénomènes (immigration légale et clandestine, asile politique, pratiques religieuses, célébrations d'événements sportifs, taux de natalité, etc.) et extrapole des interprétations fausses des chiffres officiels. La messe est dite aussi brusquement par le père de cette théorie : «(En France) les nourrissons sont arabes ou noirs, et volontiers musulmans», «la vieille population blanche meurt plus et se reproduit trop peu» au moment où «la fécondité afro-maghrébine est plus élevée». Les même têtes pensantes de la nouvelle extrême-droite française et sa jumelle de la droite réactionnaire réalisent des acrobaties statistiques afin d'allonger la proportion des immigrés en France. Leur chiffre se stabilise souvent autour de 20% de la population totale, alors que ce chiffre ne dépasse pas 5% selon le chiffre officiel de l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques). Malheureusement, ces thèses fantasmatiques sont reprises par certains hommes politiques comme le député UMP, Pierre Lellouche, pour qui près de 93% des immigrés dans son cher pays sont potentiellement des assistés. «Sur les 200 000 entrées légales, seules 7% sont liées au travail, tout le reste de ces personnes vivant de revenus d'assistance divers», a-t-il déclaré mardi dernier lors du débat à l'Assemblée nationale française autour de la réforme de la loi régissant le droit d'asile politique. Comme le fait Marine Le Pen dans ses discours et Eric Zemmour dans ses fameuses analyses, Lellouche se base dans son argumentation sur le chiffre d'entrées annuelles légales, sans prendre en compte le nombre de sorties, afin d'établir un nombre grotesque des immigrés en France. Avec sa naïve équation de multiplication, on obtient 2 millions d'immigrés supplémentaires en 10 ans. «Deux millions de personnes ; multipliées par quarante ans, cela fait huit millions de personnes, sans compter les enfants de ces dernières», a-t-il persisté. Huit millions d'immigrés de plus depuis 1975 !? Plus intelligent en politique qu'en mathématiques, Lellouche voulait certainement pêcher quelques voix dans la mare nationaliste qui ne cesse de s'élargir en Hexagone. L'INSEE affirme, dans son étude la plus récente sur ce sujet, que 5,8 millions d'immigrés, en tout, vivent en France, au début 2013 !