– Vous avez dénoncé dans un communiqué la situation des enfants scolarisés dans des écoles sans chauffage. Les conditions de scolarité des enfants des régions les plus isolées sont connues. Comment expliquez-vous que l'on en parle tous les hivers sans que rien ne semble s'arranger ? La situation ne s'arrange jamais, tout simplement parce qu'il n'y a pas de suivi. De nombreux facteurs font que le problème persiste. A titre d'exemple, le problème des chauffages n'est pris en considération qu'en hiver, alors que les responsables devraient s'en occuper en été, lors des vacances scolaires. Ajouter à cela le manque d'entretien des machines existantes à mettre en relation avec le manque de techniciens spécialisés. Par ailleurs, il faut savoir que les nouveaux établissements scolaires ne sont pas raccordés au gaz (le raccordement au gaz ne figure pas dans le cahier des charges), ce qui complique encore plus la situation. Et si ce n'était que le problème du chauffage ! Il y a aussi les problèmes d'isolation : des fissures dans les plafonds, des fenêtres cassées et des problèmes de sécurité : les vieux appareils ne sont plus conformes aux normes. Dans de telles conditions, les enfants ne peuvent pas suivre une scolarité normale. Dans certaines classes, les enfants doivent rester assis pendant plusieurs heures sous une température de 5°C ! – Selon vous, 25% des écoles de Chlef sont touchées. Mais d'autres wilayas sont aussi concernées. Avez-vous des retours des autres bureaux de la Ligue qui vous permettent de dresser un état des lieux national ? Vous savez qu'en Algérie, il est très difficile d'obtenir des données. Nous avons beaucoup de mal à collecter des informations d'autres wilayas. Dans tout le pays, on estime à 20% le taux d'écoles concernées par les problèmes de chauffage. Certaines ne sont pas chauffées, car il n'y a pas d'installation, d'autres manquent de mazout. Pour l'instant, nous disposons des chiffres suivant : à Tissemsilt, 20% des écoles ne sont pas chauffées ; à Aïn Defla, environ 27% ; à Annaba 17% et à Tlemcen, on est a 10%. Pour obtenir ces chiffres, nous avons procédé à une étude d'échantillons dans les trente wilayas où la Ligue est implantée. – Quelles sont les incidences du froid sur les enfants ? Vous dites que les plus petits se font pipi dessus. Que vous racontent les parents ? Les parents sont nombreux à se plaindre des conditions dans lesquelles sont scolarisés leurs enfants, mais nous avons des difficultés à obtenir d'eux une réclamation écrite. Nous avons recueilli des témoignages selon lesquels certains enfants, c'est vrai, ne parviennent pas à retenir leur vessie. D'autres attrapent des angines. Les parents se plaignent aussi du fait que leurs enfants ratent les cours, car ils ne veulent plus aller à l'école. Ils nous disent qu'ils couvrent au maximum leurs enfants mais cela ne suffit pas. Le 26 janvier dernier, des élèves du collègue Hassiba Ben Bouali ont fait grève pour dénoncer leurs conditions de scolarité, en particulier le manque de chauffage. Ils n'ont pas voulu rejoindre leur classe malgré l'insistance du directeur. – Le ministère de l'Education nationale, mais aussi celui de la Solidarité et les communes attribuent pourtant un budget pour le chauffage, l'achat de gaz, la maintenance, etc. Vous parlez de 7200 milliards de centimes en 5 ans. Où est passé cet argent ? Si seulement on le savait ! Le ministère de l'Education nationale a alloué un budget considérable pour remédier au problème du chauffage, cependant rien n'a été fait. En théorie, c'est aux mairies et aux directions de l'éducation de s'en occuper, car ce sont elles qui reçoivent les budgets pour prendre en charge les travaux d'entretien en général et de chauffage en particulier. En pratique, on ne sait pas comment cela se passe. – Vous dénoncez la situation, mais est-ce que ce n'est pas aussi aux syndicats de prendre cette revendication en charge ? Malheureusement, les syndicats sont trop occupés à revendiquer des hausses de salaires pour les professeurs. Ils ne pensent pas à l'intérêt de l'élève — le maillon le plus faible de la chaîne de l'éducation — je dirai même que c'est la dernière de leurs préoccupations. Les syndicats devraient faire un diagnostic des conditions de scolarité et de tout ce qui peut faire barrage entre l'enfant et l'école. Le plus désolant dans cette histoire, c'est l'absence totale de mobilisation de la part des associations des parents d'élèves : elles n'existent que pour revendiquer un seuil des cours pour les classes d'examens. – Vous parlez aussi d'amiante, de toits fissurés, de vitres cassées, d'infiltrations d'eau… Est-ce que le problème n'est pas finalement dans le manque d'entretien général des établissements ? Que disent les directeurs concernés ? Je vous le disais, le manque de chauffage entre dans quelque chose de plus global, qui est le problème d'entretien. Pour les lycées et les collèges, cet entretien est de la responsabilité de leur directeur : il en va de leurs responsabilités de s'assurer que leurs établissements soient bien équipés et ne manquent de rien. Je ne parle pas là des écoles primaires, qui, elles, n'ont aucune prérogative puisque c'est aux mairies de s'en charger. Non seulement les directeurs ne font pas tous correctement leur travail, mais quand on les sollicite, ils refusent de nous recevoir prétextant des rendez-vous professionnels. Quand ils s'expriment, c'est pour rejeter la responsabilité de l'entretien sur le ministère. Pour eux, la mission de la direction d'une école se limite aux tâches administratives. C'est désolant et cela devrait faire l'objet d'enquêtes et de surveillance. – Que comptez-vous faire ? Nous prévoyons d'appeler le ministère de l'Education nationale pour que soit ouverte une enquête qui permette d'établir une traçabilité de l'argent avancé pour remédier au problème du chauffage. Nous tiendrons une réunion le mois prochain pour décider des actions à mener.