Medha Patkar, 55 ans, est l'activiste indienne la plus connue dans le monde pour sa lutte contre l'exploitation sauvage par des multinationales des ressources de l'Inde. Son militantisme lui a valu une trentaine de procès et plusieurs arrestations. Nous l'avons rencontrée au siège de son association, Le Mouvement des Peuples, à Delhi. « El Watan, nous dit-elle, est le nom d'une célèbre chanson patriotique indienne qui fustige la domination britannique. Enfant, je la chantais avec mes parents… » Vous accusez les groupes mondiaux comme ArcelorMittal et Tata d'épuiser les ressources des régions où ils s'installent sans rien apporter aux populations locales… Les multinationales exigent ce qui les arrange : les meilleures terres, les plus proches des autoroutes, pour pouvoir tirer profit des infrastructures publiques. Ce qui est contradictoire avec les arguments présentés par les autorités qui tentent de convaincre les populations que ces grands groupes apportent avec eux le développement social et font sortir leur région de l'isolement. En réalité, ces géants industriels ne font qu'exploiter gratuitement les acquis des habitants sans y apporter aucune amélioration. Ces projets ne profitent pas aux habitants mais aux étrangers venus d'ailleurs, qui engrangent des profits faramineux en quelques mois. Des milliardaires comme Mittal ou Tata étendent de plus en plus leur empire en Inde et dans le monde et brassent des milliards au moment où les richesses du pays sont inexorablement épuisées. Ces grandes sociétés affirment créer des emplois. Comment sauvegarder les intérêts des autochtones sans faire barrage à tous les projets ? Les populations de ces régions doivent être impliquées dans l'élaboration des projets, et la priorité doit être donnée aux villageois directement touchés par ces derniers, parce qu'ils savent mieux ce qui est profitable pour eux et ce qui ne l'est pas. Dans l'est du Bengale, les gens se sont rebellés contre les projets de Tata, et veulent que leurs terres, desquelles ils ont été expropriés, leur soient restituées. Tout un mouvement de prise de conscience est en marche : des intellectuels, des artistes, des syndicalistes et des écologistes s'opposent aux projets qui ruinent des régions entières. La complicité des autorités locales est dénoncée et les multinationales sont souvent battues en brèche, comme Tata qui a dû se retirer du Bengale de l'Est, abandonnant l'usine qu'il avait fabriquée. ArcelorMittal a dû renoncer à deux projets dans les Etats de Jharkhand et de l'Orissa, sous la pression des manifestations des villageois. D'autres Etats comme celui du Maharastra et celui du Madhya Pradesh, riches en ressources minières, et parmi les plus convoitées pour cela, connaissent le même mouvement d'opposition et d'insurrection. Votre combat pour empêcher le détournement du fleuve Narmada, dans le Goujarat, pour construire des méga-barrages est connu de par le monde. Où trouvez-vous la force pour vous opposer aux gouvernements et aux multinationales ? La Constitution indienne protège tous les citoyens et beaucoup de lois faites pour arranger les affaires des gros investisseurs sont anticonstitutionnelles. Les avantages fiscaux accordés à Mittal ou à Tata sont scandaleux. Ces patrons sont si riches qu'ils peuvent offrir un avion comme cadeau à leurs femmes, et pourtant ils exproprient de pauvres villageois et les spolient de leurs droits. Nous nous opposons aux nouvelles lois qui accordant trop de privilèges aux sociétés privées et aux constructeurs, les appelant « le véritable Etat ». Mais pour nous, ce sont des « faux investisseurs ». Ils ne font que multiplier leur propre fortune au détriment de l'environnement et des populations autochtones.