Bahreïn, petit archipel d'à peine un million d'habitants, coincé entre l'Arabie saoudite et le Qatar, n'a pas été épargné par la folie des grandeurs qui a envahi les pays du Golfe. Bahreïn. De notre envoyée spéciale Bien que les Bahreïnis aiment définir leur pays comme « l'anti-Dubaï », la frénésie de la construction de buildings aux lignes futuristes ainsi que de fastueux centres commerciaux y est flagrante. C'est que Bahreïn, à l'exemple d'autres pays du Golfe, se voit déjà en l'an 2030. Plusieurs partenariats ont été signés en ce sens entre les responsables de l'entreprise de réseaux informatiques Cisco et ceux du royaume de Bahreïn, lors de la rencontre « Cisco networkers 2010 », qui s'est tenue à El Manama, du 28 au 31 mars dernier. Le royaume de Bahreïn a ainsi signé, entre autres, une convention pour l'introduction des solutions de réseau internet de troisième génération (CRS 3). Un vaste programme de réformes (éducatives notamment), intitulé « Bahreïn 2030 », est déjà en marche. « Notre gouvernement veut rentrer de plain- pied dans la modernité, mais il aimerait prendre son temps pour ne pas faire d'erreurs », explique Nada, jeune bahreïnie, au caractère bien trempé. Au milieu des gratte-ciel et des mails, les femmes bahreïnies, drapées dans de longues abayas noires serties de strass et de paillettes, flânent en laissant échapper des effluves de Gucci et de Guerlain. « Des femmes très courtisées » Elles ont à cœur de montrer à quel point l'image qu'on veut donner des femmes du Golfe est tronquée. « Les gens qui croient que ces pauvres femmes drapées dans des abayas noires sont dominées et n'ont que peu de droits se trompent lourdement. Ceux-là ne connaissent pas le caractère des femmes arabes. Nous sommes beaucoup plus fortes que vous ne le pensez. Ici, c'est la femme qui domine ». Elle ajoute : « Si mon mari choisissait de prendre une seconde épouse, je le couperai en mille morceaux et je le jetterai à la mer, en friandise pour les poissons ». Les femmes bahreïnies, susurre-t-on à El Manama, sont très courtisées par les jeunes et beaux millionnaires des pays limitrophes. « Les bahreïnies sont réputées pour leur gentillesse et leur loyauté. C'est le genre de femme qui se tiendra aux côtés de son mari, quels que soient les problèmes. C'est la raison pour laquelle les hommes du Golfe cherchent à contracter mariage ici. Ils savent que les épouses bahreïnies resteront à leurs côtés dans la richesse ou dans la pauvreté », explique Nada, qui devrait elle-même se marier cet été avec un homme d'affaires habitant Dubaï. « Les gens sont très riches là-bas et ils veulent être sûrs que leurs épouses resteront avec eux jusqu'au bout, même s'ils venaient à perdre leur fortune du jour au lendemain », dit-elle. Et d'ajouter : « Les bahreïnies ne demandent pas grand-chose pour la dot. Nous sommes, en fait, très intelligentes, nous savons que ce n'est pas là l'essentiel, contrairement aux filles des autres pays du Golfe. » Mais la modernité ne se mesure pas à la hauteur des buildings. Le gouvernement bahreïni a mis en place une batterie de mesures pour permettre une plus grande liberté à ses citoyens. Le pays s'est mué en une monarchie constitutionnelle en 2002, dirigée par le roi Hamad ben Issa el Khalifa. Même si la démocratie bahreïnie en est encore à ses balbutiements (le premier ministre élu fait partie de la famille royale), les habitants sont relativement satisfaits de ces changements. « Le roi et le prince héritier sont des gens bien. Les habitants de Bahreïn apprécient leur simplicité. Bien sûr, les Bahreïnis peuvent être en désaccord avec leur politique, mais ils les respectent énormément. Nous ne payons pas d'impôts, nous avons droit à l'enseignement et aux soins gratuitement. Les couples mariés bénéficient de logements qui seront en leur nom au bout de 10 ans. Si le mari décède, l'acte sera automatiquement au nom des enfants », nous explique-t-on. Le spleen de Djeddah En se montrant plus ouvert que ses voisins, Bahreïn espère attirer plus de touristes et d'investisseurs étrangers. Le débat qui se tient actuellement sur une probable interdiction de la vente d'alcool est l'exemple le plus édifiant. « Nous ne voulons pas notre vision vers le futur avec des décisions et des législations non étudiées, qui ne prennent pas en compte grand nombre de données liées à l'économie et à la société dont jouit Bahreïn, juste parce que quelques personnes veulent changer le mode de vie des autres », plaidait, il y a une semaine, Khaled El Mouayid, président de l'association bahreïnie des hommes d'affaires dans les journaux nationaux. Il poursuit : « Il est clair que les libertés politiques et économiques se sont nettement améliorées depuis le lancement des réformes, mais il ne faudrait pas que les libertés individuelles soient victimes de cette démocratie qui doit encore grandir et se développer. Il ne faudrait pas que notre définition de la liberté soit appliquée aux autres. Il est important que Bahreïn préserve ses acquis et en premier lieu, la tolérance, qui a toujours été l'une des vertus de Bahreïn et qui en faisait une destination commerciale et économique importante dans la région ». Le fait est que Bahreïn, qui passe pour un pays libéral et progressiste dans la région, est tout proche de l'Arabie saoudite, connu pour ses restrictions religieuses. Les Saoudiens qui veulent goûter à la volupté des plaisirs interdits y séjournent régulièrement. A la veille du week-end (dès le mercredi) commence un impressionnant défilé de berlines et de 4x4 aux immatriculations saoudiennes dans les rues d'El Manama. « Pour exister en Arabie Saoudite, il faut avoir une famille. Il n'y a pas d'individus en Arabie saoudite, il n'y a que des familles. Je ne m'y sens pas très à l'aise », nous confie Abdullah, originaire de Djeddah, qui séjourne à El Manama pour le week-end. Mais, au-delà de la belle vitrine qu'aime offrir Bahreïn à ses visiteurs, le plus petit etat de la péninsule arabique se voit dans l'obligation de regarder vers l'avenir, tant il paraît fragile du fait de sa double tutelle. D'une part, l'Arabie saoudite qui lui cède les revenus du champ pétrolier d'Abou Saâfa, situé entre les deux territoires, de l'autre, les Etats-Unis qui y ont installé une base militaire pour leur Cinquième flotte.