De nombreux magistrats se sont regroupés, hier, devant la cour d'Alger, pour réclamer «une justice libre et indépendante» et «un Etat de droit». Ils sont venus de cette juridiction mais aussi des nombreux tribunaux qui lui sont rattachés. C'es la première fois dans les annales de la justice que juges et avocats manifestent ensemble pour le respect des lois. C'est un rassemblement unique dans l'histoire de la justice. Des magistrats de la cour d'Alger se sont regroupés hier, vers 13h, à l'entrée de cette plus importante juridiction du pays, pour clamer haut et fort «Adala horra moustakila» (justice libre et indépendante). Vêtus de leurs robes, certains drapés de l'emblème national, ils ont hissé de nombreuses pancartes sous lesquelles on pouvait lire : «Lorsque finit la justice commence la dictature» ; «Pour le respect de la séparation des pouvoirs» ; «Non à la violation de la Constitution» ; «Oui à une justice indépendante». Des dizaines d'avocats les ont rejoint avec des drapeaux et les mêmes slogans, sous les applaudissements et les youyous. Une ambiance très particulière, que beaucoup n'hésitent pas à immortaliser, «pour l'histoire», avec des photos et des vidéos. Un des magistrats a pris la parole pour «saluer nos collègues avocats qui nous ont fait sortir de notre silence. Nous faisons partie de ce peuple et nous jugeons en son nom. Nous ne pouvons être en marge de ses revendications. Nous aussi, nous voulons une justice indépendante, qui protège les avocats, les médecins, les universitaires, les journalistes, les policiers, les gendarmes, les fonctionnaires, etc. Une justice forte qui protège tous les citoyens en respectant la loi. Nous voulons des juges qui ne se soumettent qu'à la loi, des juges qui appliquent la loi. Nous voulons un Etat de droit, une nouvelle République où tous les Algériens seront égaux devant la loi.» «L'espoir est permis» Lu d'une voix forte, ce message a été fortement applaudi par une assistance très nombreuse, avant que l'hymne national ne soit chanté en chœur. «Je suis décidé à aller jusqu'au bout, avec mes nombreux collègues, pour faire en sorte que la loi soit au dessus de tous», nous dit un jeune juge du tribunal de Sidi M'hamed. Même déclaration d'un procureur de Bir Mourad Raïs, qui promet qu'«aucun manifestant pacifique ne va être jugé par nos soins. Nous allons imposer le respect des lois et rien que les lois». C'est vraiment l'euphorie. Pour nombre d'avocats, ce moment est historique. «Jamais je n'aurais pensé vivre une telle émotion. Voir les avocats et les juges regroupés dans un rassemblement pour l'Etat de droit était pour moi utopique», lance maître Amine Sidhoum. Maître Chaib est aussi ému que ses confrères : «C'est magnifique. Nous sommes ent rain d'aller vers une nouvelle Algérie. L'espoir est permis…» Maître Mokrane Aït Larbi est lui aussi dans cette euphorie, tout comme les avocats Melah et Haboul, qui voient l'aube d'une nouvelle république se lever. «Désormais, une nouvelle Algérie est en train de se réveiller», lance maître Debouz. En fait, les magistrats ont répondu à l'appel du Club des magistrats, une nouvelle organisation syndicale en voie de création, rendu public à travers les réseaux sociaux et dans lequel les juges ont été exhortés à exprimer leur solidarité avec les manifestations contre le 5e mandat et pour des changements à travers des sit-in dans les cours, mais aussi à refuser tout encadrement de l'opération électorale. Les premiers magistrats à avoir organisé des rassemblements sont ceux de Béjaïa, Tizi Ouzou, Guelma et Khenchela, suivis de leurs collègues de Bouira, Constantine, Sidi Bel Abbès, Ouargla, Boumerdès. C'est la première fois que la corporation des magistrats brise le mur de la peur et du silence, en exprimant sa position par rapport à ce qui se passe dans le pays. Le rassemblement devant la cour d'Alger a été une véritable surprise pour beaucoup et risque de pousser les plus récalcitrants à suivre le mouvement de contestation. Pour sa part, le barreau d'Alger a rendu public un communiqué dans lequel il rejette les décisions contenues dans la lettre attribuée au Président, derrière laquelle se trouvent des cercles occultes : «Nous considérons ces mesures comme une grave dérive dans l'exercice du pouvoir dans la mise en œuvre de mécanismes non constitutionnels pour détourner les revendications du peuple qui consistent à refuser la continuité du régime.» De ce fait, le conseil de l'Ordre d'Alger a appelé au «respect de la volonté populaire, à la poursuite des marches de protestation pacifiques et à soutenir les revendications du peuple à aller vers une période de transition, un gouvernement de consensus représentatif de toutes les couches de la société».