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Les victimes du printemps noir, entre amertume et impuissance
Publié dans El Watan le 16 - 04 - 2010

Rancœur. Désespoir. Sentiment d'injustice et d'impuissance. Les familles des victimes du printemps noir de 2001 ainsi que les blessés qui y ont laissé une partie de leur vie n'arrivent toujours pas à faire le deuil. Neuf ans plus tard, le mal reste profond dans une Kabylie portant les signaux d'une bombe à retardement.
Cent vingt-six morts et des centaines de blessés dont beaucoup de handicapés à vie. Difficile d'oublier ce printemps noir de 2001. Des familles heurtées par la réalité d'une injustice frappante, et des blessés criant à « la trahison de leurs défenseurs » et au « mépris des pouvoirs publics ». Tout suggère que la Kabylie est mal en point. « Si j'ai choisi de faire des études en droit, ce n'est pas par hasard, mais c'est pour régler mes comptes, tôt ou tard avec le gouvernement algérien », menace Sofiane, 25 ans. Le 26 avril 2001, alors qu'il n'a que 17 ans, Sofiane participe à une marche pacifique à Akbou, dans la wilaya de Béjaïa, pour réclamer la libération de ses amis détenus par la gendarmerie. En une fraction de seconde, l'adolescent reçoit une balle au niveau de l'abdomen.
Quelques heures plus tard, il se retrouve à l'hôpital, où son frère Noureddine le rejoint deux jours après, lui aussi blessé à la jambe. Les deux frères ne prononcent pas un mot pendant un mois. Le choc est dur. A leur sortie de l'hôpital, Sofiane s'en sort miraculeusement, mais avec des blessures qui lui coûtent beaucoup de temps et d'argent. Son frère Noureddine se fait amputer d'une jambe alors qu'il n'a que 18 ans. Aujourd'hui, il poursuit ses études en sciences de gestion à l'université de Béjaïa. Le cas des deux frères Ikken n'est pas isolé. Neuf ans après les événements qui ont ébranlé la région de Kabylie, suite à l'assassinat du jeune lycéen Massinissa Guermah, le 18 avril 2001, par le gendarme Mestari Merabet dans une brigade à Beni Douala, dans la wilaya de Tizi Ouzou, la rancœur reste entière.
« Ces gendarmes n'auraient jamais osé tirer à balles réelles s'ils n'avaient pas reçu l'ordre de le faire. S'ils n'étaient pas sûrs de leur impunité », explique Salah Hannoun, membre du collectif d'avocats chargé de l'affaire des familles des victimes. « Pendant la durée des tirs nourris des gendarmes, soit presque une semaine, on n'a pas entendu une “voix autorisée“ s'élever contre un tel massacre. »
Son propre sang
La Kabylie s'enflamme pendant plus de deux mois par des affrontements entre jeunes manifestants et assassinats commis par la Gendarmerie nationale. Les familles des victimes, elles, ne sont pas près d'oublier leurs morts et surtout « l'impunité dont jouissent les assassins ». « Les auteurs de l'assassinat de mon fils doivent être jugés », crie presque Djouhra, mère de Kamel Irchène, décédé le 27 avril 2001 à l'âge de 27 ans. En pleines manifestations, Kamel est atteint de deux balles devant la gendarmerie d'Azazga, à Tizi Ouzou. Mais avant de mourir, il écrit avec son propre sang le mot « Liberté » sur le mur d'un café de la ville. « Je ne peux faire le deuil de mon fils sans que la vérité soit établie, même si rien ne me le rendra », lâche le père, Ahcène, d'une voix tremblante par le chagrin.
Beaucoup de questions restent en suspens en dépit des indemnisations qu'ont perçues ces familles : pourquoi a-t-on tué ces jeunes et pourquoi personne n'est encore jugé ? Pour Ahcène, « l'argent ne fait pas taire les parents. Cet argent est notre droit, mais ne signifie pas la fin de notre quête de vérité ». En 2002, l'Etat algérien décide d'octroyer des indemnisations (1,2 million de dinars pour chaque parent dont l'enfant a été tué et une pension mensuelle pour les blessés) aux victimes des événements de Kabylie sur la base du décret présidentiel n° 02-125 du 7 avril 2002 fixant les droits des victimes ayant accompagné le mouvement pour le parachèvement de l'identité nationale.
Pour Me Hannoun, ce décret n'est pas du tout à l'avantage des familles. « Rien que dans son intitulé, les rédacteurs de ce texte nous offrent la reconnaissance de la responsabilité politique de l'Etat. Le pouvoir reconnaît avoir assassiné et blessé des centaines de personnes et, de par son pouvoir régalien, s'autorise le droit de les indemniser sans faire cas des procédures judiciaires qui n'ont pas abouti. Pire, dans son article 29, ce décret refuse aux “personnes ayant obtenu des réparations par voie de justice de prétendre à l'indemnisation prévue par ce décret''. C'est un chantage en bonne et due forme : si vous suivez la voie judiciaire, vous ne serez pas indemnisés », dénonce-t-il.
Retenir ses larmes
Faire la lumière sur ces faits sanglants relève de l'utopie pour certains, et c'est le père de Massinissa qui le constate. « A quoi bon en parler aujourd'hui ? Mon fils restera toujours mon fils et personne ne peut certifier que j'ai abandonné le combat pour la vérité et la justice, mais concrètement, je sais que rien ne sera fait. Son assassin est en liberté. On m'a même appris qu'il n'avait même pas purgé sa peine, confie Khaled Guermah, toujours avec le même regard perdu et le visage portant les traits de neuf années de combat. Pire encore, il a reçu une promotion. Voilà de quoi est capable le gouvernement algérien ! Peut-on juger réellement les auteurs de toutes les victimes, pas uniquement Mestari, l'assassin de mon fils. Peut-on demander de rendre justice aux parents meurtris comme moi ? Nous sommes faibles face au pouvoir algérien. Neuf ans après l'assassinat de mon fils, j'avoue que j'en veux moins au tueur qu'au ‘‘système''.
Aujourd'hui, ce qu'il me reste à faire est de prier chaque soir avant de fermer les yeux pour Massinissa et pour tous les martyrs de l'injustice. » Saïd Mokrab n'est pas du même avis. A 64 ans, le père de Azzedine, assassiné le 28 avril 2001, dans le village Thaourirt Amokrane, à Larbaâ nath Irathen, wilaya de Tizi Ouzou, est déterminé à relancer la justice. Atteint d'une balle au niveau de la gorge, le chauffeur de bus de 23 ans meurt sur le coup. Son père Saïd, qui n'a pu retenir ses larmes, pleure son fils comme s'il venait de l'enterrer. « Il me manque de plus en plus. Chaque mois d'avril, ma famille est en deuil, chacun de nous pleure en cachette. Si mon fils était un malfrat, qu'on le juge et qu'on le condamne, je lui mettrais moi-même des barreaux sur sa tombe. A-t-il mérité de mourir de la sorte ? »
Instrumentaliser les victimes
La perte cruelle de son fils n'est pas l'unique source de sa souffrance. Pour Saïd, certains ont profité de cette situation d'amalgame pour instrumentaliser les victimes. « J'en veux à ceux qui se sont servis des parents des victimes. Les Aârouch nous ont utilisés à fond ! », dénonce-t-il vigoureusement, avant de continuer : « Pour légitimer leur mouvement, ils ont profité de la détresse des parents de victimes. Combien de fois ai-je participé aux conclaves des Aârouch ? Combien de fois m'ont-ils promis de combattre pour la vérité et la justice ? Aujourd'hui, je suis abandonné, et je ne suis pas le seul à l'être », déplore-t-il. Même son de cloche chez Abdennour Sidhoum, père de Karim, mort à l'âge de 17 ans à Akbou (Béjaïa).
« En 2001, j'étais soutenu par les membres du mouvement des Aârouch qui ont pris notre affaire en main. Après la division du mouvement entre dialoguistes et intransigeants, nous, parents de victimes, nous nous sommes retrouvés livrés à nous-mêmes face à un pouvoir arbitraire qui fait tout pour clore le dossier du printemps noir », regrette le père de Karim d'une voix entrecoupée de sanglots, témoignant d'une succession de malheurs qui s'abat sur sa vie et celle de sa famille. En effet, le jour où nous avons rencontré A. Sidhoum, il préparait la commémoration du 40e jour du décès de son deuxième fils qui portait le prénom du martyr du printemps noir, Karim. « Mon “deuxième'' Karim est né trois mois après la mort du “premier''. C'était un cadeau du ciel, pour qui j'ai donné le prénom de Karim à la mémoire de son grand frère assassiné.
Aujourd'hui, je pleure les deux, mais la perte du premier Karim est plus cruelle, car elle est injuste », confie Abdennour. En Kabylie, une ambiance de méfiance, de malaise et de morosité semble endeuiller sans cesse la région. Nul ne se souvient du printemps noir sans évoquer la crainte de revivre le même scénario.
Nadia, la femme martyre
« La Kabylie ne supportera pas une autre épreuve, elle a perdu beaucoup de ses enfants, ça suffit ! », s'exclame le beau père de Nadia Aït Aba, l'unique femme victime du rintemps noir. Cette enseignante de Aïn El Hammam rend l'âme chez elle le 28 avril 2001, à l'âge de 34 ans, laissant deux jeunes garçons. La mère de famille a été visée par un gendarme qui lui tire deux balles, dans le cœur et au poignet. Ses deux orphelins Akli, 19 ans et Amine 14 ans, vivent avec leurs père, belle-mère et grands parents paternels. Leur belle-mère essaie tant bien que mal de combler le vide qu'a laissé la défunte. « Neuf ans après le drame, Akli, qui a assisté à l'assassinat de sa mère, est toujours traumatisé. Je les fais suivre par un psychologue, lui et son jeune frère, mais leur cas est délicat et nécessite un suivi chez un psychanalyste à Alger, ce qui n'est pas à notre portée, vu les charges du voyage, plusieurs fois par mois », regrette-t-elle.
Amine, timide, serre contre son cœur le portrait de sa mère et se cache derrière sa belle-mère pour éviter de répondre à nos questions. Son père non plus n'arrive pas à s'en remettre. « Je me retrouve prise en otage entre mon mari et mes deux enfants, car la communication entre les trois n'est pas toujours facile. Le grand arrive parfois à se confier à moi, mais pas à son père. La petite famille de mon mari est déchirée depuis la mort de Nadia », témoigne-t-elle courageusement. Après avoir raté son bac, Akli a entamé une formation dans le secteur du tourisme à Boumerdès. Sa belle-mère ne cache pas sa fierté. Quant à Amine, la situation est plus difficile à gérer.
« Il souffre de troubles psychologiques et cela se répercute sur ses résultats scolaires, soupire-t-elle en prenant le petit dans ses bras. Ils ne partent plus dans leur ancienne maison, ils revoient toujours l'image de leur mère gisant dans une mare de sang. » Les plus âgés ne sont pas non plus épargnés par ces souvenirs atroces. De son côté, Mustapha, 43 ans, célibataire, tient un bureau de tabac à Azazga. Blessé au bras gauche par une balle, il décide de quitter son travail dans le Sud d'Algérie pour rentrer dans son village. Aujourd'hui, il consulte toujours un psychologue. « Je ne pensais pas qu'un jour, j'aurais besoin d'un suivi psychologique, mais ça devient indispensable quand à mon âge je ne supporte pas de dormir dans le noir », révèle-t-il.
En quittant la Kabylie, les portraits des martyrs érigés dans leurs villages respectifs en stèles, peints sur les murs aux côtés des slogans hostiles tels que « Jugez les gendarmes assassins » interpellent les consciences. Impossible de rester indifférent face à ces regards qui rendent l'oubli invraisemblable. En leur mémoire, d'autres ont choisi d'écrire. Comme Akli, réfugié dans un poème adressé à sa mère : « Pourquoi tu es partie, dans le silence, on t'a oubliée, ça me fait mal, mais c'est ainsi… »


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