La plus remarquable des œuvres de ce panorama résidait dans le très beau « Les secrets » de la discrète Raja Amari, cinéaste tunisienne déjà distinguée en 2001. La mémoire ne peut faire de faux bonds surtout quand elle s'accapare la géographie des cinémas. Thématique omniprésente dans cette 5e édition du Panorama des cinémas du Maghreb, qui titilla l'image en lui offrant des perles considérables. 4 jours de projections à foison, un public toujours à l'écoute (3500 personnes) et une conclusion remarquable et fondamentalement réussie. A l'année prochaine ? Assurément ! Le phénomène Raja Amari La plus remarquable des œuvres de ce panorama résidait dans le très beau Les secrets de la discrète Raja Amari, cinéaste tunisienne déjà distinguée en 2001, avec son coloré et jubilatoire Satin rouge. Les Secrets, titre impérial qui étonne d'emblée par un dépouillement du cadre dans lequel évoluent des visages majoritairement féminins. Amari part d'un concept, celui de travailler un personnage pour l'emmener dans des contrées inexplorées. Cette écriture du désir est très vite sacralisée par une musicalité due à un montage qui resserre les boulons de la médiocrité. Divisée en deux parties volontairement bancales, la narration, chez Amari, exploite le silence imperturbable d'une crise en mouvement. Trop de non-dits dans une société engendre le désir inassouvi d'exploser la face intime qui se terre parfois en soi. Sans dévoiler une intrigue qui se rachète faussement avec la logique de la chute finale, Les Secrets tire irrémédiablement sa force de ne jamais faire de concession au public, car l'intelligence d'un esprit est plus radical que celui d'une justification verbale. Encore Sektou Parmi les nombreuses projections et autres tables rondes, se trouvait une compétition courts métrages dont le jury, un groupe d'étudiants du lycée Suger de Saint-Denis, encadré par la réalisatrice Dalila Ennadre (J'ai tant aimé, présenté l'année dernière), décerna le prix au jeune réalisateur algérien, Khaled Benaïssa, pour Sektou. Auréolé d'une dizaine de prix, dont celui du Fespaco en 2009, Sektou continue de promener une réussite méritée dans laquelle un talent certain émane de cet instantané de vie, traduit par un rythme qui entraîne le film vers des allées hautement dynamiques. On peut toutefois regretter une construction narrative qui amorce progressivement une forme d'ennui définie par un troublant problème d'identification. A aucun moment, le protagoniste de cette histoire (joué par le tonitruant Hichem Mesbah) sert de point de repère aux intentions du réalisateur. Cette rupture de ton peut parfois créer une distanciation entre le sujet filmé et celui qui assiste inconsciemment à cette mascarade visuelle. Sektou dégage finalement un sentiment d'inachevé, qu'il faut peut-être mettre sur le compte d'une envie délibérée de tout vouloir exprimer. Parfois le temps file plus vite qu'une cinémathèque en construction, donc attendons avec impatience la prochaine proposition d'un réalisateur exigeant qui fait des films comme on enfile une nouvelle paire de Ray-Ban, avec délicatesse ! Harki, je n'aime pas ce mot ! Toujours ce travail autour de la mémoire afin d'en retirer les artefacts qui parfois traversent nos peaux de chagrin. Mammar Benranou, l'un des jeunes réalisateurs de ce panorama, a écrit le plus beau texte qu'il m'ait arrivé d'entendre dans un court métrage, et ce depuis des années. Embelli d'une voix-off posée et déterminante (la sienne, en l'occurrence), Le chant des invisibles est une ode émouvante à la tolérance du verbe. Benranou est un français d'origine algérienne. Il est aussi fils de harki et dans la foulée, « n'aime pas ce mot ». Dénigrement d'une identité multiple ? Certainement pas, juste une rupture dans l'assimilation de codes qui pourrissent une société en pointant du doigt les incompris et les justes. Benranou, en une trentaine de minutes, clame haut et fort qu'il n'est ni un assassin, ni un voleur en fuite, juste un poète qui tente de poser un souffle dans une image gonflée à bloc. Le Chant des invisibles ne regorgent aucunement d'images d'archives, mieux que cela, il tire sa force d'une caméra expérimentale, partiale et discrète, fouillant les désillusions intérieures, les cris d'agonie de ces hommes et femmes (ici sa famille) qui ont perdu leur dignité dans leur propre patrie. Juste entreprise de réhabilitation de la condition humaine sans pour autant passer par le cahier des charges académique des films à thèse. Somptueux ! La comédie... stop et fin ! Calquer une thématique telle que la mémoire dans une comédie peut parfois irriter les conformistes de la pellicule. Deux cinéastes, lors de ce panorama, ont apporté une vision radicale d'une société en pleine possession de ses moyens, donc aussi critique que belle. La marocaine, Zakia Tahiri, pour Number one et le franco-algérien, Lyès Salem, qui présentait à cette occasion ses trois films : deux courts, le sublime Jean-Farès et Cousines ainsi que le long, Mascarades (lire interview ci-contre). Number one, au fil des minutes, tend vers une farce complètement assumée autour de la Moudawana, réforme marocaine du code de la famille donnant plus de droits à la femme. Nouvelle situation écrite qui aurait dû logiquement chambouler les mentalités d'une société conservatrice, amalgame filmé par une sincère Zakia Tahiri. Malheureusement, Number one s'effiloche en raison d'une construction humoristique trop poussive pour emporter le spectateur dans son délire verbale. La déroute provient essentiellement d'un manque de rigueur dans la mise en propos, ce qui donne des saynètes sincères mais joliment formatées donc utiles pour esquisser des sourires gênés. On a tout dit sur Lyes Salem et sa Mascarade. La plus belle des idées du film, fut de faire adhérer son entourage à un mensonge conséquent. Plus la situation vire au gigantisme, plus l'aspect comique sera amplifié. Mounir, le frère aîné de Rym, fait croire à tout le village que sa sœur va épouser un riche homme d'affaires. Tout respire le toc et cette bêtise aurait pu être désamorcée, mais Salem est un personnage qui aime rire des situations complexes, donc son film va prendre une route problématique où se côtoieront grand dadais (Mourad Khan, toujours aussi bluffant), amant fougueux, épouse lucide (grande Rym Takoucht) et chef d'orchestre, le lointain cousin d'Omar Gatlato (Mounir, le personnage mi-romantique mi-conformiste). Salem adore malmener ses personnages, il les dorlote par la même occasion, mais refuse de leur donner une raison de pleurer. Pas besoin, l'attitude en dit bien plus long qu'un monologue discordant. Deux films du patrimoine Comme tous les ans, les organisateurs des panoramas insistent sur le passé pour mieux cerner le présent. En cela, Aziza du tunisien Abdellatif Ben Ammar et Premiers pas du regretté Mohamed Bouamari, cinéaste algérien, ne pouvaient que soulever un problème toujours aussi d'actualité : l'émancipation de la femme. Thématique qui d'ailleurs fit l'écho d'une table ronde où parmi les invitées (Fettouma Bouamari et Zakia Tahiri), se trouvait la comédienne Nadia Kaci qui très justement clamait : « On en parle autant car il y a un véritable problème. Personnellement, le fait d'être comédienne fut quelque chose de très dur à supporter. Mon père ne m'adressa pas la parole durant une vingtaine d'années et je me souviens que lorsqu'un de mes films était diffusé à la TV, je me sentais pris d'une irrésistible envie de quitter l'Algérie pour quelques jours ou bien d'aller dans le Sud afin de ne pas subir les regards des autres ». Quelle conclusion tirer de cette accablante situation ? Celle de Fettouma : « Pour arriver au bonheur, il faut scandaliser donc être libre ! » Deux œuvres du patrimoine donc, qui se ressemblent tant par l'imposante personnalité des deux comédiennes principales (Yasmine Khlat dans Aziza et la troublante Fettouma Bouamari dans Premiers pas) qui d'un regard, fustige la médiocrité d'un entourage ancré dans une vision passéiste. Deux cinéastes pointant du doigt une vérité dérangeante par un filmage classique et renforcé par un montage intrigant. Alors que Ben Ammar cloisonnera ses personnages pour en extraire une folie dévastatrice, Bouamari aérera ses plans par une force picturale qui les poussera tous dans un retranchement fédérateur. En cela, Premiers pas suscite un intérêt conséquent, car son discours politique ne prend pas le dessus sur l'émotion cinématographique. Défaut premier dans Aziza qui se déréalise par un trop-plein de dramaturgie excessive. Le désir de tout changer se trouve imperturbablement dans la précision du geste de Yasmine Khlat et non dans les ruptures de ton de Ben Ammar. Au détour d'un plan de Premiers Pas se faufile discrètement la stature d'un comédien immédiatement reconnaissable : Boudjemaâ Karèche. L'ancien directeur de la cinémathèque algérienne, à la retraite, promène sa nonchalance exquise ainsi que sa roublardise légendaire et Il m'est difficile de (re)voir cette silhouette qui me disait : « Si tu n'as pas vu de film aujourd'hui, ce n'est pas la peine de m'adresser la parole ». Boudj, tu nous manques !