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« Un vrai débat national sur l'avenir énergétique de l'Algérie est indispensable » Mohamed Benhaddadi. Professeur-associé à l'Ecole polytechnique de Montréal
Une conférence sur le GNL16 se tiendra à Oran du 19 au 21 avril. D'après vous, quelle est l'importance de cette rencontre ? Cette rencontre se tient à un moment opportun pour les pays producteurs : le prix du gaz n'a jamais été aussi bas depuis huit ans, la reprise économique (et le besoin en gaz) est encore modeste, le développement du gaz non conventionnel est devenu une réalité qu'on n'a pas vu venir et qui a renversé le marché gazier en Amérique du Nord, alors que le marché du GNL est désormais obstrué par l'offre surabondante. Cette rencontre offre aux protagonistes l'occasion d'avoir des échanges sur la meilleure stratégie et organisation à adopter pour faire face aux écueils actuels et à ceux à venir. Les enjeux à l'avenir semblent très importants et pour les pays producteurs de gaz et pour les pays consommateurs. Pensez-vous que le rendez-vous d'Oran pourrait conduire à une réflexion autour d'un mécanisme de concertation et d'influence à l'image de l'Opep ? D'après plusieurs sources, l'Algérie s'apprête à présenter pour débat un avant-projet d'une stratégie de coordination pour une meilleure organisation du marché gazier, ce qui est de bon augure, eu égard à l'état actuel de ce même marché. Reste maintenant à obtenir le quitus des autres membres, ce qui n'est pas acquis. De par son poids et celui de ses réserves gazières, la Russie est tentée par un leadership du FPEG, ce qui est redouté par les autres membres qui la soupçonnent de vouloir utiliser le forum pour ses desseins, un peu à l'image de l'Arabie saoudite au sein de l'OPEP. L'Algérie est en mesure de jouer un rôle de premier plan et de convaincre les autres membres que ce serait se tirer une balle dans le pied que de ne pas s'entendre. L'épisode du prix de pétrole qui a dégringolé à 8 dollars/baril en 1998 à cause de la guéguerre entre certains pays de l'OPEP doit être encore vivace dans les esprits. Ainsi, bien plus que la formalisation de l'existence du FPEG, c'est surtout l'harmonisation des démarches et la coordination des politiques qui doivent être passées au révélateur. Faudrait-il penser à un prix juste du GNL, puisque les prix du gaz demeurent bas sur les marchés internationaux de l'énergie ? Oui, plus que jamais. Ce qui caractérise le secteur gazier, c'est qu'il nécessite de faramineux investissements et que son transport constitue une partie importante de son coût, donc le tout amortissable uniquement si le prix du gaz dépasse un certain seuil. Quel est alors le juste prix de ce gaz ? A priori, il peut paraître facile à déterminer si on se base sur son indexation totale sur le pétrole : à contenu énergétique égal, le baril de pétrole actuel de 82 dollars/b est censé induire un prix du gaz supérieur à 11 dollars/MBtu. Dans la vraie vie, c'est plus complexe. Contrairement au pétrole qui domine totalement le secteur des transports, la spécificité du gaz est qu'il n'a pas d'usage captif exclusif. En règle générale, le gaz est le concurrent du charbon dans la production d'électricité et le concurrent du mazout dans le chauffage. Il faut savoir qu'à l'échelle de la planète, depuis plus de 40 ans, 40% de l'électricité est générée à partir du charbon et que dans les 40 prochaines années, cette situation ne risque pas trop de changer. Les centrales thermiques au charbon produisent de l'électricité en base à moins de 4 euros |kWh, ce que ne peut concurrencer le gaz malgré les avantages de la production décentralisée qu'il offre, car même dans les centrales à cycle combiné, le prix du gaz représente 75% du prix de revient du kwh d'électricité générée. A mon avis, le bas prix actuel est dû essentiellement à deux facteurs : l'un est structurel et est occasionné par la nouvelle donne que constitue l'exploitation de gaz non conventionnel massivement répandue. L'autre est conjoncturel et lié à la faible demande en gaz. Aujourd'hui, même s'il n'est pas facile de démontrer lequel de ces deux facteurs est prédominant, un regard sur le marché gazier nord-américain montre que le marasme de l'économie a induit une surabondance du gaz et des stocks, surtout que l'extraction du gaz non conventionnel piégé dans la roche par des forages horizontaux requiert encore des coûts excessifs que certains évaluent dans la fourchette 4-8 dollars/MBtu. Aussi, le prix du gaz a connu un creux de 2.94 dollars/MBtu durant l'été 2009, contre un sommet de 13.57 dollars/MBtu durant l'été 2008. Cette volatilité est néfaste pour tous. Il n'est pas insensé de penser qu'une certaine analogie peut être extrapolée de l'expérience vécue avec le prix du pétrole. Après moult creux et pics, aujourd'hui les pays de l'OPEP tout comme ceux de l'OCDE disent s'accommoder d'un prix du pétrole à 70-80 dollars/b. Eu égard à son abondance, le prix conséquent du gaz pourrait, à moyen terme, se situer à 6-7 dollars/MBtu. Une vision de long terme requiert une stratégie conséquente et, pour cela, un léger retour en arrière s'impose. A la veille du sommet de Copenhague, se basant sur une étude de l'AIE (Agence internationale de l'énergie), le ministre algérien de l'Energie a déclaré que l'imposition d'une taxe carbone sur le pétrole et le gaz allait représenter pour l'OPEP un manque à gagner de 4000 milliards d'ici 2030. Cette information est biaisée, car elle est incomplète puisque la même étude de l'agence AIE stipule qu'« …on peut le voir comme un simple ajournement de revenus car les réserves plus importantes laissées dans le sous-sol seront une source de revenus pour les générations futures ». Aussi, mettre le pétrole et le gaz dans le même sac est inapproprié, car toute part de marché gagnée par ce dernier est une contribution positive à l'environnement puisqu'il est deux fois moins polluant. Demain, quand l'inévitable taxe carbone sera instaurée, le gaz pourrait retrouver sa vertu et son véritable pouvoir calorifique, avec des cours qui dépasseraient alors amplement 12 dollars/MBtu. Sauf que c'est aujourd'hui qu'il faut avoir cette vision de demain pour y adopter la bonne stratégie. Le ministre de l'Energie et des mines a reconnu récemment que le scandale qui a éclaboussé Sonatrach a terni l'image de l'entreprise à l'international. Faudrait-il comprendre que cette donne est en mesure de mettre l'Algérie, pays organisateur, dans une position de faiblesse face aux participants qui sont d'ailleurs, bon gré mal gré, des concurrents directs à Sonatrach ? Si cela ne tenait qu'à notre ministre, on arrête de parler de corruption, car cela a l'air de le mettre dans la gêne. Pourtant, c'est quand même lui qui détient les clefs pour que se mette en place un vrai débat national sur l'avenir énergétique de l'Algérie. Ce débat est indispensable pour l'Algérie et, pour le pays, il serait au moins aussi prolifique que le sommet GNL 16. Pour revenir à votre question, je suis d'avis que c'est sain pour une société de s'attaquer à ce phénomène de corruption qui la gangrène. Au demeurant, ce phénomène de corruption existe aussi dans les pays développés, y compris au Canada. La différence est que dans ces pays, on ne mène pas des campagnes ponctuelles, mais une politique de tolérance zéro, avec comme garde-fous l'indépendance de la justice et celui de la presse. Pour ce qui est de Sonatrach, elle ne peut être qu'à l'image du pays et ne peut donc avoir un microclimat. A mon avis, le scandale qui a éclaboussé Sonatrach aurait même pu être avantageusement retourné en montrant qu'on ne conjugue pas avec la corruption. C'est l'opacité dans la gestion de ce dossier, tout comme dans celui de la gestion des ressources naturelles, qui constitue la faiblesse de l'Algérie.