A présent que la citoyenneté est reconquise par la société, la mobilisation populaire ne peut souffrir d'aucun aléa de la nature ni être réduite par aucune forme de menace ou de répression. L'extraordinaire détermination affichée lors des manifestations de vendredi dernier, démentant tous les pronostics et les craintes de démobilisation en raison du début du mois du jeûne, a fini par apporter la preuve définitive que le changement n'est plus un projet mais une décision et un verdict populaires sans appel. Cette dynamique citoyenne irréversible ne laisse aucune marge de manœuvre pour les partisans du statu quo ou de la régression. Elle n'est pas dictée par un agenda étranger ou un complot intérieur, comme le prétend un pouvoir en pleine décomposition, pour reprendre le terme d'une femme politique incroyablement réduite au silence, mais l'expression de la colère d'un peuple qui ne rejette pas seulement l'Exécutif en place, ou la «bande» qui l'avait précédé, mais tout un système qui a maintenu le pays depuis l'indépendance sous l'hégémonie politique et dans une détresse sociale insondable. Les naufrages en haute mer, emportant de jeunes candidats à l'exil, étaient annonciateurs d'un soulèvement citoyen sans précédent dans l'Algérie profonde. Une manifestation sous un soleil de plomb, en plein jour de Ramadhan, n'est rien devant le calvaire au quotidien subi par des employés payés à deux millions de centimes par mois dans un pays où des milliards de dollars, produits des richesses nationales, sont placés sur des comptes personnels dans les paradis fiscaux. Le mouvement populaire né en février dernier, point de départ de la désacralisation d'une présidence omnipotente et prédatrice et du démantèlement de tout le système qui l'a générée, porte un véritable projet de société, basé sur l'équité sociale et les principes de citoyenneté pleine et entière. Les autorités actuellement aux commandes du pays, tout en prétendant accompagner cette volonté populaire, sont en train de s'y opposer dans les faits par des moyens plus rudimentaires et plus violents que ceux usités par l'équipe précédente. Le nouveau pouvoir affiche lui-même qu'il s'inscrit à contre-courant de l'histoire et qu'il a pour seule préoccupation de préserver ce qui reste des intérêts claniques. La mobilisation lors du 12e vendredi n'était pas seulement une démonstration de courage et de détermination, elle délivrait un double message en direction des tenants du pouvoir mais aussi des porte-parole du mouvement de contestation, recadrés sur les exigences populaires véritables. Le rejet de toute alternance clanique a été réitéré avec force dans toutes les manifestations à travers le pays. Le débat autour de la tenue ou pas de la présidentielle prévue le 4 juillet est dépassé aux yeux d'une population dont la participation aux élections, même en temps de normalisation de la vie politique, était dans le registre de la défiance et du rejet. Le boycott des scrutins est intégré par les Algériens depuis de nombreuses années. Les exigences citoyennes actuelles font écho aux principes du Congrès de la Soummam et la primauté du politique sur le militaire.