Dans le même rapport annuel du MROS, les communications de soupçons émanant du secteur bancaire restent majoritaires. Après celui de 2011, essentiellement provoqué par le printemps arabe, c'est un autre non moins retentissant record, en termes de communications de soupçons, qui aura marqué l'année 2018, à en croire les toutes dernières statistiques du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent -Money Laundering Reporting Office Switzerland- MROS, le gendarme de la finance suisse. Avec 6126 communications de soupçons, dont 132 portaient sur des cas de financement du terrorisme présumé, et plus de 17,5 milliards de francs suisses de valeurs patrimoniales signalées, la somme la plus élevée jamais enregistrée en un an depuis 1998, date de création du MROS, 2018 est, pour la troisième fois consécutive, une année record, fait ressortir le rapport du MROS, publié le week-end passé. S'il a bondi de 31% par rapport à 2017, le nombre de cas où a été suspectée l'origine criminelle des fonds, signalé par la puissante mais très controversée place financière helvétique a, ainsi, plus que doublé en deux ans, passant de 2909 en 2016 à 6126. De nombreuses communications concernent des cas complexes de portée internationale. De telles «performances» étaient inattendues. Mieux, le MROS, service central du Département fédéral de police et justice (DFJP), n'en a jamais connu depuis sa création en 1998 et il les doit, essentiellement, à la collaboration active des intermédiaires financiers, les banques en particulier. Collaboration des banques En effet, est-il relevé dans le même rapport annuel, les communications de soupçons émanant du secteur bancaire restent majoritaires. Outre les banques, faut-il le souligner, interviennent essentiellement sur la place financière des entreprises fiduciaires, sociétés de transfert de fonds, négociants en devises, casinos, fondations, avocats, notaires, négociants en valeurs mobilières, gérants de fortunes/conseillers en placement, courtiers en matières premières et métaux précieux, etc. Ainsi, 89% des communications reçues ont été adressées par des banques, soit 5440 sur 6126. Le nombre de communications ne provenant pas des banques s'est élevé de près de 62%, passant de 422 à 686. Les signalements adressés par d'autres intermédiaires financiers et par des prestataires de services de paiement ont connu une hausse marquée, une évolution au moins en partie imputable au nombre élevé de communications de soupçons dans le domaine des monnaies virtuelles. S'agissant de l'origine des fonds objets d'annonces de suspicion de recyclage, la corruption à grande échelle a été, une fois encore, l'infraction préalable au blanchiment la plus répandue en 2018. Mieux, la part des communications de soupçons mentionnant la corruption comme infraction préalable a encore fortement augmenté (1639 signalements, contre 1076 en 2017). Ces communications ont représenté près de 27% de l'ensemble des signalements. Pas que: 45% des valeurs patrimoniales signalées provenaient de communications de soupçons indiquant la corruption comme infraction préalable. L'escroquerie occupe le deuxième rang des infractions préalables avec 1253 communications, soit une hausse de 27 % par rapport à l'exercice précédent. En termes relatifs, le volume des cas d'escroquerie est resté presque inchangé (20 %, contre 21 % en 2017). Avec 826 communications, la catégorie blanchiment d'argent arrive à nouveau en troisième position. Le nombre de communications fondées sur un lien supposé avec des organisations criminelles a fortement reculé (de 427 à 126 cas) au cours de l'exercice sous revue, une évolution qui s'explique par le fait qu'en 2017, quelques cas complexes d'envergure avaient généré de nombreux signalements. Le blanchiment n'est pas une spécificité suisse Est-ce à dire que les délinquants en col blanc, de tous horizons, ont fait de la Suisse, où le mythe du secret bancaire n'est pas près de se déconstruire entièrement, un point de chute idéal ? Pour les organismes helvètes anti-blanchiment d'argent, le marché secret de la finance n'est pas une spécificité suisse. Attachés à la préservation de la sérénité de leur pays, ces organismes veillent scrupuleusement à ce que l'image de marque de la plus célèbre place financière ne soit écornée davantage. «Il ne faut pas déduire de cette tendance que le blanchiment d'argent est en augmentation. La Suisse ne compte d'ailleurs ni plus, ni moins de cas de blanchiment que d'autres places financières de même type», se défend l'Office fédéral de la police (Fedpol). Cette institution à laquelle est rattaché le MROS et dont peut disposer le Ministère Public de la Confédération (MPC) pour les enquêtes pénales internationales qu'il a la charge d'exécuter dans le cadre de l'entraide judiciaire avec l'étranger, mettra plutôt en avant le sentiment de responsabilité et la prise de conscience progressive des intermédiaires financiers, de plus en plus perceptibles. Aussi, comme le soulignait dans une précédente déclaration à El Watan Economie, Stiliano Ordolli, le désormais ex-boss du MROS, la tendance haussière du nombre de dénonciations de soupçons de blanchiment d'argent est le fruit des récentes modifications apportées par le législateur en matière, à la fois, d'obligation de communiquer et de droit de communication. A la demande de la place financière qui recommandait son maintien, ce droit de communication avait fait l'objet d'une opposition de suppression lors de la consultation de 2013 de la loi sur la mise en œuvre des recommandations révisées du Groupe d'actions financières (GAFI) dont la mission est de promouvoir des politiques internationales de lutte contre la grande délinquance financière, précisait le Dr Ordolli. Au nombre de 40, ces recommandations ont été formulées et revues dans la perspective de lutter contre l'usage abusif de systèmes financiers à des fins de blanchiment de capitaux. Parmi ces recommandations, la plus importante, celle portant extension des prérogatives du MROS, et ce, au même titre que les 127 autres cellules de renseignements financiers (CRF) dont la CTRF algérienne, toutes membres du Groupe Egmont, réseau de bureaux de communication centralisés (ou cellules de renseignements financiers, CRF) spécialisés dans la détection et la lutte contre le blanchiment d'argent, ses infractions préalables et le financement du terrorisme. Ainsi, outre le partage sécurisé, rapide et juridiquement admissible avec ses homologues étrangers d'informations se rapportant aux numéros de comptes bancaires, renseignements sur les transactions de capitaux ou aux soldes de comptes, le renforcement des capacités d'analyses a, ainsi, permis à l'Organe suisse d'approfondir le filtrage des communications de soupçons réfutables. Ce qui expliquerait, en partie, la tendance haussière, ces dernières années, des communications transmises aux autorités de poursuite pénale. Faible collaboration internationale Le nombre total de communications de soupçons transmises aux autorités de poursuite pénale entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2018 est de 15 585, 8181 (52,5%) d'entre elles n'avaient pas fait l'objet d'une décision à fin 2018. Dans près de 5% des cas (774 cas), un jugement a été rendu en Suisse. Les communications de soupçons transmises ayant ainsi débouché sur des condamnations dans 4,97 % des cas. Dans 21 % des cas (3348 cas), une procédure pénale a été ouverte, puis classée en raison des éléments réunis au cours de l'enquête judiciaire. Dans 19 % des cas (2913 cas), aucune procédure pénale n'a été ouverte en Suisse au terme de l'enquête préliminaire. Dans 369 cas, soit un peu plus de 2 %, la procédure pénale a été suspendue, soit parce qu'elle s'est poursuivie à l'étranger, soit parce qu'une procédure pénale était déjà en cours à l'étranger pour la même affaire. Pour ce qui est des raisons, et elles sont nombreuses, susceptibles d'expliquer les 52% de communications encore pendantes auprès des autorités de poursuite pénales, les limiers du MROS en ont énuméré les plus pesantes : «Les cas de blanchiment d'argent et ceux de financement du terrorisme comportent souvent des liens avec l'étranger et les enquêtes internationales prennent en règle générale beaucoup de temps, l'expérience montre que les procédures d'entraide judiciaire que ces enquêtes impliquent sont longues et coûteuses, parmi les cas en cours, certains ont été réglés par un jugement qui n'a toutefois pas été communiqué au MROS, parce qu'aucune sentence n'a été rendue… l'obligation pour les autorités de poursuite pénale d'annoncer leurs décisions au bureau de communication en vertu des dispositions de LBA (loi anti-blanchiment d'argent) n'est toujours pas observée systématiquement.» Sur le plan international, les rapporteurs du MROS, organe jouant le rôle de relais et de filtre entre les intermédiaires financiers et les autorités de poursuite pénale, ont implicitement admis leur hésitation à s'ouvrir à leurs collègues étrangers. Les évaluateurs du GAFI avaient d'ailleurs relevé cette «faiblesse concernant la collaboration internationale du MROS». D'où le projet d'arrêté fédéral «portant approbation et mise en œuvre de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme et de son Protocole additionnel et concernant le renforcement des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé» qui prévoit notamment de modifier la loi sur le blanchiment d'argent (LBA) de manière à conférer au MROS les compétences qui lui manquent encore pour être en adéquation avec les standards internationaux.