La crise politique que traverse le pays constitue-t-elle un blocage à l'investissement dans le secteur de l'énergie ? La question vaut la peine d'être posée, sachant tout le poids que représente ce secteur vital pour l'économie nationale en ces temps de chute des prix du baril de pétrole. D'autre part, l'instabilité managériale au sein de Sonatrach n'est pas source de quiétude et d'assurance. L'Algérie avec une économie de rente par excellence, cette question fait débat ces dernières semaines. Les interrogations sur l'impact de la situation politique marquée par l'incertitude et alourdie par ce retard dans le passage à une phase de transition ne manquent pas. Certes, elles concernent tous les secteurs, mais elles sont plus intenses pour ce qui est de l'énergie, notamment du côté des principaux partenaires de l'Algérie, surtout que Sonatrach s'est retrouvée ces dernières années — c'est-à-dire, bien avant le déclenchement de la mobilisation populaire — au centre de scandales de corruption et d'instabilité sur le plan managérial avec le changement de PDG et d'autres responsables centraux (vice-présidents), dont le dernier a eu lieu justement en plein «Hirak» avec la nomination de Rachid Hachichi comme PDG par intérim. Si, sur le terrain, le groupe public poursuit ses activités d'exploration, de développement, d'exploitation, de transport, de transformation et de commercialisation des hydrocarbures tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Algérie avec des annonces de nouvelles découvertes, le climat d'incertitudes se fait toutefois ressentir. D'où justement, ces tentatives d'assurance émanant de la part du ministre de l'Energie, Mohamed Arkab. Intérêt Des sorties imposées par la conjoncture, notamment depuis la décision d'Anadarko de céder ses actifs en Algérie à Total et la polémique qui s'en est suivie. Pour rappel, la compagnie pétrolière française a conclu début mai un accord pour 8,8 milliards de dollars avec l'américain Occidental Petroleum pour le rachat des actifs en Afrique, dont en Algérie, de la compagnie américaine Anadarko dans le cadre de l'acquisition de cette dernière par Occidental Petroleum pour un montant de 57 milliards de dollars. Une décision que le gouvernement actuel a contestée avant de tergiverser. Le PDG de Total s'est même déplacé en Algérie fin mai pour s'entretenir avec le ministre de l'Energie sur cet épineux dossier. Auparavant, précisément le 26 du même mois, Mohamed Arkab a affiché l'opposition de l'Algérie à une telle opération faisant valoir le droit de préemption. «Dans le cas où il y a confirmation de cet accord, nous interviendrons en temps voulu et nous userons de tous les moyens juridiques pour préserver l'intérêt de Sonatrach et celui de l'Algérie en général», a estimé le ministre, et ce, avant d'avancer le lendemain à partir de Tindouf que Sonatrach cherchait «un bon compromis» sur ce dossier. Trois jours plus tard, la visite du numéro un de Total en Algérie n'apporte rien de nouveau à cette question. Avant de statuer sur ce dossier, il «serait sage de s'assurer que juridiquement en fonction de la forme que prendra la transaction, en cas d'aboutissement, l'Algérie puisse faire jouer la préemption», selon Nazim Zouioueche, ancien PDG de Sonatrach qui expliquera : «Au cas où la forme juridique de la transaction le permette, il faudra s'assurer de la manière claire si le rachat des parts d'Anadarko en Algérie serait d'apport positif pour l'Algérie.» Et de rappeler : «Evitons les décisions à chaud et à l'emporte pièces, pour laisser la place à une décision mûrement réfléchie qui apporterait avec certitude un plus. Rappelons que nous possédions un paquet d'actions Anadarko (environ 07%) qui ont été vendues il y a quelques années pour nous rapporter quelques sous. Aujourd'hui, ces actions encore en notre possession auraient donné une meilleure position.» La conjoncture mondiale est de plus en plus difficile dans ce domaine avec l'apparition de nouveaux acteurs, conjuguée à ce qui se passe dans le pays, la situation pourrait se corser pour l'Algérie, surtout que le risque politique que prennent généralement en premier rang les compagnies étrangères dans leurs évaluations commencent à peser sur l'énergie. Déjà en berne depuis quelques années, notamment en raison de l'instabilité juridique avec les changements opérés dans la loi sur les hydrocarbures dont la dernière mouture se fait attendre, les investissements étrangers dans l'énergies pourraient encore décliner, même si pour l'heure les projets en cours continuent de fonctionner normalement, selon le ministre qui précisera dans un entretien accordé à l'APS qu' «aucun désengagement» des partenaires de l'Algérie n'a été enregistré. Une manière de répondre aux rumeurs circulant ces derniers temps sur d'éventuels retraits de partenaires de l'Algérie dans ce secteur stratégique. Appréhensions Mais l'inquiétude est bien là et elle est de surcroît légitime. «Nous n'ignorons pas une certaine inquiétude de la part des investisseurs présents en Algérie de par la situation politique, néanmoins, nous pouvons rassurer tout le monde, les données chiffrées sur les investissements dans le secteur des hydrocarbures durant la dernière décennie sont parlantes, avec une moyenne annuelle de plus de 12 milliards de dollars», a-t-il fait répondu à ce propos. Parallèlement, le nombre de partenaires activant en Algérie dans les activités recherche et exploitation des hydrocarbures s'élève à 26 entreprises et sont issus de 18 pays, toujours selon Arkab. Ces indicateurs suffisent-ils justement à rassurer les partenaires de l'Algérie dans la conjoncture actuelle ? A ce propos, Nazim Zouioueche, ancien PDG de Sonatrach nous dira d'emblée : «La première façon de rassurer les partenaires de l'Algérie est de poursuivre les activités de SH sans désemparer et de maintenir tous les engagements pris sans retard et sans modification profonde.» Et d'ajouter : «Pour rassurer ce que l'on appelle le marché, il est impératif de continuer à maintenir nos livraisons à la manière d'un partenaire fiable que nous avons toujours été jusqu'à présent.» Aussi, pour M. Zouioueche, toute tentative de débrayage même limitée – faisant allusion aux appels lancés au début du Hirak pour de large mouvement de protestation dans le monde du travail – «serait un signal néfaste pour l'avenir», et ce, d'autant que d'autres signaux positifs se font attendre du côté des investisseurs étrangers comme c'est le cas pour la nouvelle loi sur les hydrocarbures. «Le monde pétrolier attend la promulgation d'une nouvelle loi plus conforme à créer une certaine attractivité. Il serait peut-être correct d'annoncer que les processus lancés depuis un certain temps sont toujours d'actualité.» A ce sujet justement, le ministre a annoncé que le projet de texte a été finalisé selon les orientations du Conseil interministériel et a été remis aux différents départements ministériels pour d'éventuels enrichissements alors qu'il était attendu pour rappel en juillet 2018. De retard en retard, il se fait toujours désirer. Avec tout le processus à suivre, il risque encore de tarder avant d'être mis en œuvre, et par ricochet, de retarder l'élan de l'investissement dans ce secteur. Motivée par la tendance baissière des réserves du pays malgré le nombre de découvertes réalisées, l'importante croissance de la demande intérieure et pour le gaz et pour les carburants, La nouvelle loi ambitionne aussi de faire face au «ralentissement enregistré dans la conclusion de nouveaux contrats de recherche et d'exploitation dans le cadre du partenariat, ainsi que la tendance baissière des marchés pétroliers au cours des dernières années», a expliqué le ministre. Or déjà, la procédure n'a pas été bouclée à temps. Même constat pour le développement des énergies renouvelables, un dossier pour lequel les engagements n'ont pas manqué pour finir aujourd'hui par examiner lors du dernier conseil interministériel la création de l'instance nationale des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique. Encore une annonce de la part d'un gouvernement contesté dont le Premier ministre parle de transition énergétique «qui n'a pas encore atteint la cadence escomptée et la coordination efficace». Nourredine Bedoui a peut-être omis de préciser que cette faible cadence est le résultat de la gouvernance économique adoptée au cours de ces dernières années. Donc, le temps est plutôt à la transition politique pour espérer mettre les jalons d'une stratégie économique dont dépend justement la réussite de la transition énergétique.