ceux qui n'aiment pas le cinéma le disent moribond. Ceux qui voudraient, à des fins de pouvoir, la mort du spectacle culturel collectif au profit de la mainmise sur des individus transformés en foules solitaires par la télévision ; ceux qui craignent le cinoche pour sa capacité à faire rêver et à susciter une pensée alternative ; tous ceux-là président depuis un demi-siècle la disparition du film. Cinquante ans après l'avènement de la télévision, le cinéma est plus vivant que jamais. Non seulement la télévision ne l'a pas relégué, comme certains le prédisaient, au musée des antiquités, mais on imagine aujourd'hui difficilement la télé sans les films qui aident si bien à vendre le message politique du 20 Heures. Puis vint la cassette VHS qui, au lieu d'asséner le coup fatal, a élargi le marché cinématographique au home cinéma. Avec la dernière application qu'est le DVD, les pilleurs de culture sont venus au secours des oligarchies pour le transformer en DVC, ersatz piraté mais si piètre que l'image du cinéma s'en est trouvée grandie. En vérité, le cinéma ne s'est jamais aussi bien porté dans le monde, du moins dans celui qui est régi par l'Etat de droit. La piraterie a toujours existé et existera encore, mais les producteurs de films gagnent plus d'argent aujourd'hui à travers le DVD qu'ils n'en perdent dans les pays régis par une vraie économie de marché. D'autres exemples peuvent venir à l'esprit, mais on peut citer à cet égard le cas de quatre pays démocratiques, dont deux du Sud qui sont l'Inde et la Corée du Sud et deux du Nord, les USA et la France. Ce dernier pays bat depuis quelques années tous les records de son histoire, en termes de fréquentation des salles et du nombre de films produits. Les pays totalitaires peuvent connaître des périodes d'embellie pendant lesquelles leur cinéma a pu prospérer pour un temps en profitant d'espaces de liberté vite verrouillés. L'exemple le plus frappant reste le cinéma égyptien dont la production de longs métrages a chuté de 120 en 1950 à moins de 20 actuellement, avec la qualité en moins et un Chahine qui cache la forêt de médiocrité ambiante. Il y a aussi le cas de notre cinéma national, mort avec salles et création au champ d'honneur de la pensée unique. Plus récemment, les cinématographies tunisiennes ou marocaines ont suivi le chemin du déclin tracé par nous. Car au fond, qu'avons-nous besoin d'un cinéma de rêve dans une région où les pétro-channels se passent de films pour déverser des flots de mots pouvant presque tous se passer des images. Pourquoi développer un imaginaire collectif qui pousse à la diversité de pensée lorsque ces chaînes, au prétexte d'informer, servent d'alibi à un « zaïmisme » dévastateur et à une fausse liberté médiatique détachée de tout réel politique. La liberté réside dans un contrôle des institutions par le peuple basé sur l'alternance, pas sur un discours dominant et à sens unique. Même si ce discours sert d'exutoire à des individus arabes pris dans la fatalité des échecs militaires et culturels engendrés eux-mêmes par des choix de société qui ne pouvaient que mener à l'impasse. Par sa capacité à placer dans une salle obscure l'individu au centre d'un groupe qui partage des émotions, le cinéma libère l'imagination du spectateur et son goût pour la liberté. Les Grecs pensaient que la fonction de l'art était de rendre l'individu meilleur. Leur conception de l'esthétique regroupe l'amour du beau et de l'éthique. Cela ne veut pas dire que la télévision, art de l'information par excellence, ne puisse pas apporter du savoir et du bien-être intellectuel, lorsqu'elle est dirigée vers la satisfaction du public qui paie (par le biais de la redevance ou de la publicité qu'on lui fait ingurgiter) pour la regarder. Les premières décennies de l'âge d'or de la radiodiffusion visuelle dans le monde, sont encore là pour le prouver. Aujourd'hui encore, et même si elles se disqualifient dans le triste spectacle des realityshows, les télévisions des pays régis par les règles du marché ont le mérite de participer activement au financement de la production cinématographique dont elles ont un besoin vital pour continuer à faire de l'audimat et vendre de l'info. Dans les pays où le marché ne dicte pas sa loi, la télévision a été déviée de ses missions éducatives, puis peu à peu domestiquée par les pouvoirs en place pour servir d'instrument de contrôle sur les foules qui finissent toujours par voter comme on leur montre. La confiscation de la parole à longueur d'année ne peut être atténuée par de courtes périodes de campagne pendant lesquelles les challengers partent avec un retard et un handicap insurmontables. L'asphyxie du cinéma provoquée par la disparition des lieux de projection et d'un marché favorable à une production indépendante des commémorations, est une situation qui (consciemment ou inconsciemment), empêche la clientèle politique de se trouver ailleurs que devant son poste de télévision pour le 20 Heures. Une étude réalisée à l'échelle maghrébine par des chercheurs tunisiens tend à prouver que beaucoup d'hommes, quel que soit leur nomadisme télévisuel aux heures tardives, se retrouvent régulièrement devant la bonne chaîne publique pour le journal du soir. Ils viendraient renouveler en quelque sorte leur acte d'allégeance à des systèmes politiques avec lesquels le lien ombilical passe par le spectacle de l'immobilisme. Selon ces chercheurs, ce sont aujourd'hui les femmes qui au Maghreb revendiqueraient l'accès à l'espace public et qui tentent d'entraîner leur famille vers le cinéma. Avec les flux considérables qu'offre la société de l'information technologique, les choses changent rapidement. La demande culturelle est en hausse. Le cinéma est encore vivace et ceux qui défient les obstacles les plus fous pour continuer à faire des films en sont la preuve. Un jour viendra bientôt où les réformes amèneront avec elles des financiers qui ne compteront plus à l'envers, mais à l'endroit, c'est-à-dire pour le bonheur et la prospérité des citoyens et des citoyennes. Alors, vive le cinéma !