La réforme agricole doit tenir compte de ce qui se passe sur le terrain pour apporter des correctifs et des ajustements en fonction des insuffisances constatées. Apporter du nouveau sans établir un diagnostic sérieux au préalable constitue sans aucun doute une source de perturbation et de désordre. En 1963, les terres agricoles coloniales ont été étatisées et gérées selon le modèle de l'autogestion qui correspond à un modèle de gestion « bicéphale » : l'Etat représenté par le directeur du domaine devait gérer en « collaboration » avec le président qui représentait le collectif des travailleurs. En réalité, ce modèle de gestion des domaines était dirigiste : le plan de cultures élaboré au niveau du domaine devait être avalisé par le ministère de l'Agriculture, et la commercialisation des produits était sous le contrôle de l'Etat par le biais des offices d'approvisionnement et de commercialisation. Ce modèle a engendré des résultats financiers insatisfaisants. Ce n'est qu'en 1987, que des changements significatifs ont eu lieu. Ceux-ci se caractérisent essentiellement par le démembrement des ex-Domaines agricoles socialistes (ex-DAS) en Exploitations agricoles collectives (EAC) et en Exploitations agricoles individuelles (EAI). Ce système a permis ainsi le désengagement de l'Etat de la gestion directe du secteur public agricole. Du point de vue juridique, cette loi a introduit le droit de jouissance perpétuelle moyennant le paiement d'une redevance. La terre demeure propriété de l'Etat. Ainsi, la loi 87-19 a établi une nouvelle relation institutionnelle entre les nouveaux attributaires et l'Etat, mais cette loi visait aussi la limitation de la spéculation foncière en imposant le mode de faire-valoir direct et la limitation du morcellement en obligeant les attributaires à exploiter collectivement avec des quote-parts égales entre chacun des membres du collectif. Mais, juste après cette réforme, des problèmes sociaux et économiques se sont posés. Face aux difficultés, la majorité des attributaires n'a pas trouvé d'autres solutions que de céder la terre sur une période courte et de façon conjoncturelle, ou encore pour une durée plus ou moins longue. Les preneurs sont des intervenants privés, et parfois ce sont des attributaires qui ont plus de moyens et d'aptitudes à relever les défis. Cette solution a permis la redynamisation de l'agriculture par des apports financiers, économiques et techniques au secteur agricole. Aujourd'hui, une réflexion est engagée pour tenter de trouver des solutions aux problèmes qui se posent sur le terrain. L'idée du changement du statut juridique du foncier a été avancée, elle consiste à changer le droit d'usufruit perpétuel et à le substituer par la concession, d'où la question : faut-il conserver le droit d'usufruit ou opter pour la concession agricole ? Avant de répondre à cette question, il faut observer et comprendre ce qui se passe sur le terrain. Aujourd'hui, ce qui pose problème est tout simplement l'interdiction du mode de faire-valoir indirect qui a ouvert la porte à des comportements informels et illégaux. Pourtant, le mode de faire-valoir indirect a permis de redynamiser le secteur de l'agriculture. Cependant, son caractère informel et illégal a engendré l'insécurisation foncière et in fine des procédures judiciaires entre les preneurs et les bailleurs. Par conséquent, la gestion du foncier agricole devra s'orienter vers l'ouverture du marché foncier de la location pour permettre aux agriculteurs les plus performants, et qui disposent de plus d'aptitudes, d'accéder au foncier agricole et de créer une dynamique économique. Si ce marché foncier est organisé et sécurisé, il permettra sans aucun doute d'attirer des capitaux vers l'agriculture. La question fondamentale est donc de permettre aux agriculteurs performants d'accéder au foncier agricole par le biais du marché foncier sans pour autant provoquer des perturbations. Mais en plus, le marché foncier est en mesure d'apporter des changements socio-économiques importants sans faire impliquer directement l'administration. Par ailleurs, la concession agricole suppose le contrôle administratif de l'activité agricole suivant un cahier des charges. Ce contrôle est délicat pour deux raisons essentielles : d'une part, l'activité agricole est spécifique du moment qu'elle dépend non seulement de l'effort, mais aussi des aléas climatiques et autres facteurs naturels (maladies et autres), mais aussi des aspects économiques (surproduction) qui peuvent influencer considérablement la performance agricole et financière. D'autre part, la concession ouvre la porte aux pratiques administratives douteuses dans le contrôle de l'activité économique, et l'expérience de la GCA est encore fraîche dans les esprits et dévoile encore une fois l'inefficacité de l'administration dans la mise en œuvre des politiques. Une donnée dont il faut désormais tenir compte. Mais en plus, introduire une nouvelle réforme ne veut nullement dire qu'il faut tout revoir et remettre en cause. Il s'agit ici d'un danger qui accompagne toute idée de réforme. La réforme agricole doit tenir compte de ce qui se passe sur le terrain pour apporter des correctifs et des ajustements en fonction des insuffisances constatées. Apporter du nouveau sans établir un diagnostic sérieux au préalable constitue sans aucun doute une source de perturbation et de désordre. Mais en plus, une réforme doit tenir compte aussi bien des aspects sociaux que des mentalités des acteurs économiques afin de les aider à surmonter les difficultés. Or, si on prend en considération les observations du terrain, on relève que ce n'est pas la question du statut juridique du foncier qui pose problème, mais plutôt la question de l'interdiction du marché foncier agricole de la location. Alors, pourquoi s'acharner à changer des règles qui ne posent pas de problèmes et de conserver certaines règles qui sont la source du blocage et du désordre ? Il semble donc que l'urgence est de réglementer le marché du foncier agricole de la location. Il est à rappeler que l'économie est l'œuvre des acteurs économiques et non de l'administration. Celle-ci devra se limiter à des apports réglementaires pour corriger des insuffisances et inciter l'activité économique, en tenant compte des observations sur le terrain et des comportements des acteurs économiques. Par conséquent, changer le statut juridique du foncier agricole du secteur privé de l'Etat n'a aucune pertinence, du moins pour le moment. Bien au contraire, cette tentative risquerait d'entraîner le monde agricole et rural dans une perturbation et une instabilité qui creuseraient davantage le fossé entre les acteurs économiques et les pouvoirs publics. Aujourd'hui, ce qui pose problème est tout simplement l'interdiction du marché foncier de la location qui a ouvert la porte à des comportements informels et illégaux ayant conduit à des procès judiciaires entre les bailleurs et les preneurs. Il est à noter qu'une finalité qui se termine par des procès judiciaires reflète, sans aucun doute, un échec qu'il faut absolument cerner et lui trouver les solutions appropriées. Or, changer le statut juridique du foncier agricole ne constitue nullement la solution à cet échec.