Le barreau d'Alger a rejeté, hier, «toute forme d'atteinte aux libertés et droits fondamentaux des citoyens, notamment le droit de manifester pacifiquement et la liberté d'expression». Dans une déclaration publique, signée par le bâtonnier, Me Abdelmadjid Sellini, le Conseil de l'Ordre des avocats de la capitale a d'abord «réitéré» son «soutien aux revendications du mouvement populaire pour un Etat de droit et l'indépendance de la justice», avant de dénoncer «les arrestations qui ont ciblé des manifestants pacifiques». Et d'affirmer que celles-ci «constituent une violation flagrante des droits et libertés consacrés par la Constitution et les conventions internationales». Le barreau d'Alger s'est déclaré «surpris et choqué par certains procédés répressifs utilisés lors des manifestations pacifiques» avant de rejeter «énergiquement ces pratiques» qui, d'après lui, «risquent de rendre plus complexe la situation». Les avocats de la capitale ont affirmé, par ailleurs, avoir enregistré, «avec regret, de nombreuses violations de la procédure et de la loi, qui touchent aux droits et aux libertés les plus élémentaires ainsi qu'aux droit de la défense dans le traitement des dossiers devant les instances sécuritaires et judiciaires, depuis le droit légal de contacter la famille ou l'avocat jusqu'à l'abus du recours aux mandats de dépôt dans les poursuites engagées malgré le caractère pacifique des manifestations, ce qui est contradictoire avec les aspirations des citoyens à construire une justice indépendante en laquelle ils ont confiance». En conclusion, le barreau d'Alger a exprimé son refus d'être partie prenante en assurant la légitimité à ces violations et atteintes qui, dans le cas où elles se poursuivent, l'obligent à «boycotter toutes les procédures de poursuites qui mènent vers des procès fictifs». La réaction du Conseil de l'Ordre des avocats de la capitale est intervenue au moment où le tribunal de Sidi M'hamed, celui de Bainem, la cour d'Alger et le tribunal de Constantine examinaient de nombreux dossiers de manifestants arrêtés durant les marches populaires et estudiantines depuis le 14 juin dernier. Au moment où des jeunes répondaient aux questions des magistrats instructeurs de Sidi M'hamed et de Bab El Oued, le cas des 27 jeunes manifestants arrêtés le 15 septembre à Alger était examiné par la chambre d'accusation, qui, après une journée, a décidé de rejeter les demandes de mise en liberté de 15 d'entre eux et de placer sous contrôle judiciaire le jeune Adel Ziane, souffrant d'un cancer, et une autre étudiante, qui était en liberté. Adel Ziane retrouve sa famille après des jours de campagne sur les réseaux sociaux pour sa libération, afin qu'il puisse faire ses séances de chimiothérapie. Au cours de la même journée, Karim Tabbou, chef du parti UDS (Union démocratique et sociale), a été présenté devant le tribunal de Sidi M'hamed pour une seconde affaire (après avoir bénéficié de la mise en liberté provisoire lors de la première), qui l'a placé sous mandat de dépôt pour les mêmes chefs d'inculpation retenus contre la plupart des manifestants arrêtés, à savoir «atteinte à l'intégrité territoriale», «attroupement et incitation à l'attroupement». A la chambre d'accusation près la cour d'Alger, les magistrats devaient trancher le sort de deux détenus arrêtés lors des marches de vendredi à Alger, alors qu'à Constantine, le procureur a requis des peines allant de 3 à 5 ans de prison ferme contre des manifestants, et à Bordj Bou Arréridj, des membres du hirak arrêtés lors des marches devaient comparaître devant le magistrat instructeur. Selon le CNLD (Comité national pour la libération des détenus), ils sont près d'une centaine de manifestants à croupir en prison depuis le début du mois de juin et certains d'entre eux vivent un drame. C'est le cas de Adel Ziane, mais aussi de plusieurs autres étudiants, qui risquent de perdre leur année universitaire. Tous les avocats, constitués pour défendre les détenus, s'accordent à relever la facilité et la rapidité avec lesquelles les magistrats instructeurs du tribunal de Sidi M'hamed – devant lequel a été déféré la majorité des manifestants arrêtés – recourent à la détention, une mesurer exceptionnelle selon le code de procédure pénale, transformée en règle dans la pratique. Dans toutes leurs déclarations, les avocats n'ont cessé, depuis les arrestations des porteurs de l'emblème amazigh, au début du mois de juin, de dénoncer le traitement de ces affaires par la justice, marqué, selon eux, par de «nombreuses» violations de la procédure. On peut citer plusieurs cas, à commencer par les méthodes d'arrestations brutales, souvent en dehors des heures prévues par le code de procédure pénale, sans que les mis en cause ne bénéficient de leur droit d'informer leurs familles ou leurs avocats du lieu où ils sont détenus. Les cas de Karim Tabbou, incarcéré moins de 24 heures après sa libération par la chambre d'accusation près la cour de Tipasa, sans que sa famille ni lui ne soient au courant des faits, de Lakhdar Bouregaâ, ancien combattant de la Guerre de Libération, âgé de 87 ans, en prison depuis près de trois mois, du général à la retraite Hocine Benhadid, gravement malade, qui attend depuis plus de 90 jours un procès qu'on tarde à programmer, ainsi que des deux jeunes militants du RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse), arrêtés dans un café au centre-ville et inculpés pour des photos du hirak, trouvées dans la galerie de leurs téléphones. Les professionnels du droit ont dénoncé cette exception judiciaire du tribunal de Sidi M'hamed, l'un des rares, pour ne pas dire le seul, à privilégier l'instruction et la détention pour des semaines, voire des mois, alors que d'autres procédures, comparution immédiate ou citation directe, utilisées ailleurs, auraient pu accélérer le traitement de ces dossiers et surtout limiter le recours à la détention devenu systématique.