Les médecins et des citoyens de la wilaya d'Oran mettent en garde contre les conséquences du non-respect des gestes barrières l Ils appellent le wali à intervenir et imposer un confinement «plus strict». Comme bon nombre d'autres wilayas du pays, Oran fait face à une recrudescence alarmante des cas de Covid-19. Si les chiffres annoncés journellement sont en dents de scie, suivant au fil des jours une tendance tour à tour baissière ou haussière, jusqu'à jeudi dernier, la wilaya a totalisé en tout 1827 personnes atteintes du coronavirus. Les médecins, paramédicaux et autres citoyens consciencieux ont beau tirer la sonnette d'alarme, il semblerait que certains réflexes ont la peau dure, et même si la volonté y est, il est difficile, au commun des mortels, de respecter à la lettre la distanciation physique et les gestes barrières à même d'endiguer cette pandémie qui endeuille chaque jour de nombreuses familles. «J'étais ce jeudi avec un ami au centre-ville. On croise une de ses connaissances qui lui sert la main. J'ai beau le tancer, lui disant qu'il ne prend pas ses précautions, mon ami me réplique qu'on en fait un peu trop. Je sors mon portable et lui montre l'image d'un homme qui circulait sur les réseaux sociaux. Je lui demande s'il le connaissait, il me répond que oui. Je lui explique alors que cet homme est mort ce matin même du coronavirus ; là son visage blêmit, il s'est rendu compte que ce mal existe bel et bien, que ce n'était pas du ‘‘pipeau''», témoigne Fethi, un manutentionnaire. Khaled, habitant de la commune balnéaire de Aïn El Turk, nous explique que plusieurs petits foyers de coronavirus sont apparus à Bousfer, El Anseur ou à Aïn El Turk même. Il incombe cela aux marchés de fruits et légumes qui connaissent chaque jour une affluence importante. «Le pire, nous dit-il, c'est que des personnes, après s'être rendues à l'hôpital, se sont avérées être des porteurs saints. Les médecins les ont conjurés de rester confiner chez elles et de prendre leur traitement. Or, je les vois se balader tous les jours le plus normalement du monde. C'est vraiment égoïste de leur part !» Dans cette crise, qui touche le pays de plein fouet, ce sont les médecins, et d'une manière plus générale le personnel hospitalier, qui sont les plus exposés. Chérifa K., travaillant au service infectieux d'un EPSP d'une petite commune de l'Oranie, nous livre son témoignage : «Actuellement, on est livrés à nous-mêmes, explique-t-elle. On réceptionne tous les malades, on a affaire à une explosion de cas, des familles entières arrivent contaminées.» Elle se désole du fait que rien ne soit fait en amont afin de limiter la contamination. «Il faut interdire les regroupements» «On devrait instaurer des mesures restrictives, obligeant la population à porter le masque et respecter la distanciation. Cela limiterait considérablement la contamination. Interdire le regroupement des personnes, surtout dans les espaces confinés. Il faut savoir que le personnel soignant est dépassé et épuisé, ça ne peut plus continuer ainsi.» Pour elle, il est également impératif de changer de discours, et qu'il ne faille plus «rassurer» les gens, car cela les pousse à prendre leurs aises et donc à se relâcher complètement. Au-delà des médecins qui se trouvent «au front», à batailler pour l'élimination de la Covid-19, les praticiens exerçant d'autres spécialités dans leurs cabinets sont eux aussi exposés aux risques de contamination. Les témoignes du Dr Asmahane B., qui a exerce dans un cabinet médical, nous indiquent à quel point certaines personnes ignorent les risques de se faire contaminer ou de contaminer les autres : «Deux patients, le père et la fille, viennent régulièrement pour des soins. La fille a raconté à l'assistante que son amie intime a contracté le coronavirus récemment, et qu'elle était en contact avec elle régulièrement ces derniers jours. La patiente prétend se sentir bien mais qu'elle a quand même fait un scanner pour être rassurée – même si le scanner n'indique pas qu'elle soit elle-même porteuse du virus. Mon assistante m'informe de cela. Je les ai convoqués pour leur expliquer qu'ils vont devoir arrêter leurs soins – qui ne sont d'ailleurs pas urgents – pour une durée de 14 jours. Le père s'est mis en colère à propos du fait que la quatorzaine n'allait pas soigner sa fille en cas de problème et m'a reproché de l'abandonner à son sort. J'ai dû lui expliquer que si même le résultat du scanner était négatif – à savoir pas de lésions pulmonaires, sa fille étant hors de danger et sa santé n'étant pas menacée – cependant, le virus était dans son organisme, elle pouvait le transmettre, même s'il n'avait causé aucune perturbation chez elle. Elle devait donc aussi s'isoler à la maison.» Plus grave, certains, bien que conscients du danger encouru, considèrent le coronavirus comme une «maladie honteuse», et hésitent à en parler, comme le rapporte ce deuxième témoignage du Dr Asmahane B. : «J'ai aussi reçu une dame âgée qui toussait durant les séances. Une toux quinteuse et sèche, selon elle. En la recevant dans mon bureau, elle m'explique qu'elle a mal et qu'elle ne se sent pas bien, chose qui était normale s'étant cassé la hanche deux mois auparavant. Je l'examine et je constate que j'arrive à la mobiliser sans trop de mal par rapport à sa première consultation. Après cela, elle commence à tousser une toux productive, chargée. Je lui demande depuis quand elle tousse, elle me répond juste aujourd'hui, puis d'un ton catégorique, elle me déclare qu'elle n'a pas de fièvre. Je l'autorise à continuer ses séances en lui donnant un bulletin pour une téléthorax qu'elle devra faire le plus vite possible. Mais ensuite, elle se confie à l'assistante, et lui dit qu'elle a perdu le goût et l'odorat. Mon assistante vient me le raconter, et du coup, je décide d'interrompre ses séances jusqu'à ce qu'elle fasse sa radio.» On l'aura compris, la situation est des plus inquiétantes, et au-delà des efforts des médecins, la société civile, avec ce qu'elle comporte d'associations et de citoyens consciencieux, s'implique elle aussi pour sensibiliser autant que faire se peut. «Situation effrayante» C'est le cas de deux jeunes Oranaises, Kawter G. et Farah B., qui dès le début de la pandémie ont créé une page Facebook, «Covid-19 info Oran», qui a pour but à la fois d'informer et de sensibiliser sur tout ce qui se rapporte, de près ou de loin, au virus. Kawter G., l'initiatrice du projet, nous a expliqué sa démarche : «Au début, quand le virus est apparu en Chine, je me disais qu'on est loin et que ça ne touchera jamais les autres continents. Mais je m'informais quand même, je me posais plein de questions comme : d'où vient le virus ? Comment se propage-t-il ? Comment s'en protéger ? En mars dernier, quand l'Europe est devenue le premier foyer du coronavirus devant les autres régions, je me suis dit qu'on doit réagir, on doit sensibiliser les gens, leur parler du virus et comment se protéger avant qu'il soit trop tard. Le seul moyen que j'avais, c'était les réseaux sociaux vu qu'on a été confinés peu après l'apparition des premiers cas en Algérie. J'ai tout de suite décidé de créer un groupe Facebook ‘‘Covid-19 info Oran'', je le gère depuis avec mon amie. Ce que je fais est simple : je partage des informations importantes qui ont un lien avec la pandémie en Algérie et dans le monde, je répète souvent qu'il faut se laver les mains plusieurs fois par jour avec une solution hydroalcoolique ou du savon, éviter le contact avec les personnes malades, éviter de se toucher les yeux, le nez et la bouche, couvrir la bouche lorsque on tousse avec un tissu jetable, etc. Je parle de l'importance du port du masque et pourquoi on doit le porter. On partage des vidéos et textes de médecins infectiologues qui sont sur le terrain. Dernièrement, des malades ont accepté de témoigner. On a publié afin de sensibiliser les citoyens et leur montrer que c'est vrai ce qui se passe, qu'on ne nous ment pas. Au début du confinement, beaucoup de bénévoles ont travaillé durement (restaurateurs, pharmaciens, etc.) on partageait souvent pour inciter les gens à aider, maintenant il y a surtout des appels aux dons de sang. Aujourd'hui, la situation est effrayante, les hôpitaux sont pleins, chaque jour l'Algérie atteint un nouveau record de nombre de cas, Oran inquiète avec une explosion des contaminations, les gens sont inconscients, ils organisent encore des mariages en pleine pandémie, assistent aux funérailles, les marchés sont pleins et, depuis quelques jours, les marchés de bétail ont ouvert à Oran. Je pense qu'il faut instaurer un confinement total dans la wilaya et se préparer au pire. Je propose que les associations collaborent avec les médecins et le wali pour créer des Centres de consultation (le CCO, par exemple) pour alléger la pression sur les hôpitaux, comme cela va se faire à Setif. Il y aura une meilleure organisation et les cas graves seront hospitalisés, les autres se confineront dans des hôtels, qui leur sont déjà réservés. L'heure est grave, faites attention à vous !» Son amie, Farah B., nous raconte elle aussi son travail de sensibilisation. «Loin du groupe, je sensibilise mon entourage. Mes voisins, quand je les croise sans masques, j'interviens et je fais la remarque en ‘‘appuyant''toujours sur la peur ; des phrases telles que : ‘‘Vos parents peuvent trépasser si vous les contaminer !'' Et le virus anéantit facilement ceux qui ont des maladies chroniques ! On me répétait que les masques étaient chers, alors dès qu'on m'a fait un don de 100 masques, je les ai distribués dans mon quartier, entre Seddikia, Point du jour et les HLM. J'ai fait un appel au don sur le groupe pour les hôpitaux qui manquaient d'eau et des membres ont participé… Même un appel au don de sang pour le EHU a marché. Ce qui m'a poussée, c'est ma conscience. Tant que je peux informer, apporter une aide quelconque ou orienter mes compatriotes pour qu'ils évitent toute contamination, je le ferai selon mes moyens et Facebook en est un (...). En ce moment, la situation est alarmante à Oran : d'un côté les services sont pleins, le corps médical épuisé, humilié ! Les donateurs se sont affaiblis. Et d'un autre côté, il y a les citoyens qui ne prennent pas leurs précautions et profitent de leurs journées avant 20h, les week-ends ils vont à la plage alors que c'est strictement interdit… C'est un réel désarroi ! J'ai remarqué dernièrement dans le groupe que tous les jours les gens appellent le wali d'Oran à changer l'heure du confinement ou à appliquer un confinement total et ils disent que les policiers doivent être plus sévères avec les jeunes regroupés. Je partage leur avis car la situation risque de dégénérer et d'empirer. Je reste réaliste face à cela… La seule chose que j'espère en ce moment, c'est que le wali s'en charge et qu'il intervienne. Un autre souhait est que nos médecins puissent tenir encore longtemps.»