-Le dernier remaniement ministériel a touché principalement les secteurs économiques, notamment l'énergie et l'industrie, avec également la disparition de la prospective. Chaque ministre arrive avec une nouvelle feuille de route. Quel impact sur les dossiers économiques de l'heure et sur la prise en charge des urgences liées à la double crise ? Avant de parler d'impact sur les dossiers économiques, il me paraît utile de s'interroger sur les fondamentaux et sur les principales orientations de la politique économique du pays. Les questions sur les déterminants de la gouvernance économique et de sa nécessaire agilité deviennent lancinantes ; elles interpellent plus que jamais les gouvernants sur la clarté de la vision, la pertinence des mécanismes et la cohérence des démarches, mais aussi la compétence des hommes. Les réponses à ces préoccupations nous permettront d'apprécier l'impact de ces réajustements sur les dossiers économiques. Cependant, de manière globale, deux optiques se profilent comme des pistes de compréhension de ce qui caractérise ce contexte particulier de notre pays sur fond de la double crise qui pèse lourdement sur la stabilité des fondamentaux. Ce sont donc deux phénomènes qui s'enchâssent ; d'une part, l'instabilité des déterminants de la gouvernance économique et, d'autre part, l'instabilité managériale. Concernant la gouvernance économique, les multiples ajustements suggèrent que celle-ci relève d'une instance qui se situe au-dessus de la sphère gouvernementale, et les turbulences enregistrées dans les diverses dimensions de l'environnement politique et socio-économique sont appréhendées par des actions en guise de réponses aux exigences de cet environnement tout aussi turbulent. C'est du moins ce qui explique la disparition du département ministériel en charge de la prospective, car notre lecture est plutôt orientée vers une probable révision de la stratégie en faveur de la création d'une instance au-dessus de l'exécutif – si cette instance n'existe pas déjà – donc détachée du gouvernement, et ce, dans une optique d'asseoir une approche globale susceptible de réunir tous les départements ministériels autour d'une démarche coordonnée. Ensuite, l'instabilité managériale apparaît résolument comme une conséquence inévitable, une sorte d'effet miroir qui reflète justement la turbulence dans les choix décisionnels majeurs et les choix des hommes appelés à accompagner les changements entrepris.En tout état de cause, la double crise et les mouvements opérés sur l'exécutif amènent à penser que l'instabilité est symptomatique de la situation globale qui prévaut depuis 2013 et qui ne parvient pas encore à trouver l'issue salutaire escomptée. -Cette instabilité ne risque-t-elle pas de porter préjudice à l'image de l'Algérie vis-à-vis de ses partenaires économiques et commerciaux ? Dans l'état actuel des choses, il serait présomptueux de suggérer une analyse prospective sur les effets de cette instabilité. Cette image est ternie depuis déjà plus d'une décennie et les signaux envoyés au reste du monde – aussi bien les autres Etats que les investisseurs et les partenaires potentiels – ne recouvrent pas assez d'assurance et de signes de renouement avec la stabilité aussi bien politico-juridique que socio-économique. Les processus de réformes économiques ne valent que par leurs indicateurs de performance, or, à l'échelle nationale, ces processus qui ont pour caractéristique de s'étaler dans le temps et de s'étendre dans leurs projections, ne fournissent que peu d'indicateurs sur les nouvelles orientations du contexte économique qui, faut-il le rappeler, enregistre un net recul en termes de croissance. Certes, la pandémie est un facteur indéniable, mais l'opacité sur les perspectives économiques de l'Algérie de 2030 constituent à notre juste mesure des signaux édifiants quant à l'approche adoptée pour l'édification de nouvelles relations de partenariat. Nous pensons notamment aux choix stratégiques en matière d'investissements, de consistance des transferts sociaux, d'optimisation des ressources et de rationalisation des dépenses, mais aussi aux priorités sectorielles en termes de reprise de la courbe de développement et aux actions de redressement les plus urgentes à entreprendre pour renouer avec la croissance. -Les réformes pourraient également être retardées. Qu'en sera-t-il à ce sujet, selon vous ? Les turbulences que connaissent les institutions de l'Etat ont en effet pesé sur un contexte déjà chargé de tiraillements entre les décisions pour le moins impopulaires et les attentes de la société. Il n'y a pas de réformes sans décisions courageuses qui toucheront inexorablement les fausses subventions et les transferts sociaux sans ciblage ni visibilité. Il n'y a pas non plus de réformes sans un diagnostic profond, exhaustif et objectif. En d'autres termes, les réformes ne sont pas retardées ; elles n'atteignent jamais la phase cruciale de leur mise en œuvre ; elles sont vite réorientées ou recadrées en fonction des nouveaux contextes établis à chaque mouvement de remaniement. Elles sont peut-être convenablement conçues et opérationnalisées, mais un tel processus de changement commande de manière impérative que toutes les conditions préalables de conduite du changement soient réunies, à commencer par la communication, la sensibilisation, d'implication et de responsabilisation des acteurs à tous les niveaux ; de l'instance de gouvernance jusqu'au simple agent de l'entreprise ou de l'entité concernée par ce processus. Chez nous, tout le monde dit : «Ils paraît qu'ils ont décidé ceci ou cela, il paraît qu'ils vont dissoudre l'entreprise ou la vendre à un privé ou à un étranger...» ; un climat de doute, tantôt de révolte et tantôt d'inertie naissent et se développent. Chez nous, le changement n'est pas l'affaire de tous, c'est l'affaire du gouvernement ; il n'existe aucune approche inclusive et c'est, de notre point de vue, l'un des principaux obstacles à la conduite judicieuse et pertinente des réformes. -Au final, comment opérer pour instaurer une gouvernance économique efficace ? Le comment est justement la question la plus difficile dans tout le processus. Nous sommes tous conscients des retards et des insuffisances, nous sommes également convaincus de la nécessaire réforme, mais, au lieu de planifier, de se projeter sur l'avenir et de penser aux meilleures approches et meilleures pratiques, nous cherchons toujours à trouver des remèdes aux symptômes. Nous faisons donc du sur-place. Une gouvernance économique performante est d'abord subordonnée à la pertinence des mécanismes mis en place et à la cohérence des actions coordonnées entre les différents secteurs. A l'évidence, sur le plan macroéconomique, il est une nécessité impérieuse que de renforcer la cohérence et l'uniformité du tissu industriel et des systèmes financiers, monétaires et commerciaux qui doivent l'accompagner, car ce sont des mécanismes qui permettent de donner plus de visibilité, de légitimité, de responsabilité et de cohérence. La relation entre les gouvernants et les acteurs effectifs du changement (nous pensons aux opérateurs économiques, aux investisseurs, aux salariés et aux citoyens des différentes franges) devrait emprunter une voie plus transparente, plus fluide et plus claire. Et là, c'est le rôle des dirigeants opérationnels et des managers des entreprises publiques, car ce sont les relais en mesure d'assurer un caractère opérationnel des choix retenus. Toutefois, la classe actuelle des managers publics, tous secteurs confondus, y compris dans les administrations centrales, est en grande partie composée de hauts cadres dont les profils sont loin des exigences de leurs postes en termes de pilotage, de planification, de commandement, de communication, d'animation des équipes, de coordination, de suivi et de contrôle. Placer un non spécialiste au top management sans lui assurer une formation conséquente préalable d'au moins 24 mois conduit inévitablement à ce que nous appelons «le système d'apprentissage par subordination». En effet, ce manager qui ignore les fondements même des systèmes interactifs d'aide à la décision, des systèmes financiers et comptables et des autres mécanismes de l'organisation en général ne fait que reproduire ce que ses subordonnés veulent bien lui apprendre. Un excellent ingénieur ou juriste ou chirurgien n'est pas forcément un bon manager. C'est à la fois un métier, une profession et un domaine disciplinaire à part entière. Donc, l'efficacité et l'efficience des liens interactifs entre ces trois paliers el la clarté des missions et des responsabilités de chaque palier conditionnent la réussite des orientations de gouvernance économique. Ceci devrait être nécessairement soutenu par une coordination dynamique constante et en amélioration continue entre ces paliers qui permettrait d'opérer les ajustements nécessaires en tant que de besoin, mais aussi et surtout par des engagements clairs et fermes susceptibles de recouvrer la relation de confiance, ainsi que par un choix judicieux des approches les plus courageuses, des hommes qualifiés et d'un système d'évaluation et de sanction contractuel, basé sur la performance économique et managériale qui doit impérativement se substituer au couperet de la pénalisation de l'acte de gestion. Advertisements