Même avec une demi-journée de libre, les enfants n'ont pas la chance de renouer avec le peu de loisirs qui leur sont dédiés à travers le pays, en cette journée du 1er juin, consacrée chaque année à la protection de leurs droits. Vivant dans l'angoisse des résultats scolaires et des examens qui arrivent, ils terminent une année très difficile, marquée par de nouvelles mesures imposées par la crise sanitaire liée à la Covid-19, après un arrêt des cours durant plus de 8 mois. Nombre d'associations de protection de l'enfance expriment leur inquiétude face à cette situation qui vient s'ajouter, disent-elles, aux nombreuses violences auxquelles les enfants sont exposés. Directrice du Ciddef (Centre d'information et de documentation sur les droits des enfants et des femmes), Me Nadia Aït Zaï estime que «durant le confinement, les enfants étaient des victimes collatérales des violences contre leurs mères. Ils sont obligés de se taire et n'expriment pas leur souffrance et leur refus de ces agressions. Cela n'est pas le cas des femmes, qui pouvaient utiliser les réseaux sociaux ou le téléphone lorsqu'ils sont disponibles pour parler, s'exprimer. Mais pas l'enfant. Il faut un contact direct pour le faire parler. Avec le confinement, cela n'était pas possible. Nous avons repris les consultations au mois de juin 2020. Nous n'avons pas reçu grand monde». Me Aït Zai fait remarquer, par ailleurs, que le confinement «a quelque part protégé l'enfant des violences à l'extérieur de sa maison familiale, mais aggravé celles dites domestiques. Les statistiques ne reflètent pas la réalité. Nous avons un grand problème avec les chiffres. Il faut des enquêtes nationales pour nous dire ce que nous ne disons jamais. Aussi bien pour les femmes que pour les enfants, les stratégies de lutte contre les violences reposent sur des enquêtes nationales. Les dernières ont été faites en 2014 et, depuis, on attend toujours le plan d'action national qui n'arrive pas. Rien ne se fait sur le terrain. Tout est théorique, alors que nous étions bien partis». Membre du réseau Wassila, Mme Louisa Aït Hamou abonde dans le même sens. Elle aussi affirme que le confinement a coupé le réseau du contact direct avec les victimes de violence. Et d'expliquer : «Cependant, à travers nos lignes vertes, nous savons que la pandémie a aggravé la situation déjà pesante des familles, notamment les femmes et les enfants. Des maris ont perdu leur emploi, des enfants qui ne vont plus à l'école faute de moyens, des femmes qui subissent les contrecoups de la baisse des revenus, etc., Mais ce sont les enfants qui ont été le plus impactés par cette crise sanitaire, à travers l'arrêt des cours, une reprise avec un protocole sanitaire assez strict et de nouvelles pratiques auxquelles il est difficile de s'habituer. Des effets qui se traduisent par un trouble psychique et du comportement. La situation est inquiétante et appelle à des actions.» «Les enfants n'expriment pas leurs souffrances» La militante exprime sa crainte devant l'absence de moyens de loisirs pour les enfants en disant : «Un enfant a une énergie qu'il doit dépenser dans les loisirs, les jeux… Le priver de ces activités, c'est le rendre malade. Les colonies de vacances qui étaient pour eux une bouffée d'oxygène sont fermées.». Un constat «dramatique», souligne notre interlocutrice, ajoutant : «Malheureusement, sur le terrain, je ne vois aucune politique de prévention de la violence, basée sur une enquête nationale. Nous pouvons, en tant que mouvement associatif, avoir des données, mais elles ne peuvent être que sporadiques. Il faut trouver rapidement des réponses aux déperditions scolaires, à l'absence des espaces de loisirs, aux conséquences économiques et sociales de la pandémie sur la famille, particulièrement les enfants.» Les mêmes propos sont tenus par Djerrah Zaidi, président de l'association de protection de l'enfance Ikhoulaf de Béjaïa, qui évoque les difficultés à rencontrer les victimes durant le confinement. Cependant, dit-il, «nous nous sommes déplacé sur les lieux, dans les villages, par nos moyens et nous avons aussi pu être contactés par téléphone. Nous avons constaté que pendant la crise sanitaire les besoins ont beaucoup augmenté et concernent surtout la baisse du niveau de scolarité et les troubles du comportement», précisant, toutefois, que «la violence n'est jamais signalée par téléphone mais plutôt par le contact, en remarquant les traces physiques, lorsqu'elles existent, l'isolement volontaire de l'enfant ou ses résultats scolaires». Notre interlocuteur relève que la pandémie a fait augmenter le nombre de familles démunies et la perte de l'emploi, mais aussi la violence et les accidents domestiques, dont les enfants sont souvent victimes. «Nous avons travaillé dans une petite commune à Boudjellil, où nous avons pris en charge 191 enfants de la 5e année primaire, qui souffrent de troubles psychologiques et du comportement, de manque de concentration en classe et des faibles résultats scolaires, conséquences des effets de la pandémie. Nous avons lancé une campagne pour la prise en charge des élèves et en quelques jours nous avons enregistré l'inscription de 46 enfants. A Béjaïa, nous enregistrons beaucoup de cas de maltraitance des enfants, de déperdition scolaire dans leurs rangs, de troubles de scolarité, de mendicité et de travail forcé. Le constat est inquiétant, malgré une avancée dans les lois relatives à la protection de l'enfance depuis 2015. L'Etat doit être attentif aux dommages collatéraux de la crise sanitaire et intervenir par des actions concrètes en direction des enfants, ces adultes de demain.» Porte-parole du réseau Nada de défense des droits de l'enfant, Me Fouad Ghoulamallah affirme que la crise sanitaire a été «très difficile pour nos activités sur le terrain, mais aussi pour les familles, soumises à la baisse de leurs revenus, à l'angoisse de la perte de l'emploi, au stress lié à la contamination, etc. Ce qui s'est traduit par une hausse de la violence intrafamiliale, et les premières victimes sont les enfants». L'avocat explique que les «enfants en général n'expriment pas leur souffrance. Celle-ci est souvent signalée par de tierces personnes ou des membres de la famille, notamment par un des parents en cas de divorce». Il regrette que malgré les efforts en matière de loi protégeant les enfants, l'institution d'un délégué et d'un Office, dédié à cette protection, «il n'en demeure pas moins que durant cette dernière année, les phénomènes du travail et de la mendicité des enfants ont pris de l'ampleur. Il en est de même pour la déperdition scolaire».
Les chiffres clés 2453 enfants ont été victimes de violence, parmi lesquels 1035 ont subi des coups et blessures volontaires, durant les quatre premiers mois de l'année en cours, selon la commissaire Yasmina Khouas, chef du bureau central de la protection des personnes vulnérables, près la Direction générale de la Sûreté nationale. Parmi ces enfants, 871 ont entre 14 et 15 ans, 397 autres sont âgés de 10 à 13 ans et 333 ont moins de 10 ans 6099 enfants ont fait l'objet de violence en 2020, dont 4342 durant la période de confinement, étalée du 1er avril au 31 décembre. Advertisements