Le Conseil des ministres a adopté dimanche un projet d'ordonnance visant à «renforcer la protection et la sécurité des informations et des documents classifiés de l'Etat et des institutions». Le texte de loi, dont le communiqué du Conseil des ministres n'a évoqué que l'exposé des motifs, prévoit d'«incriminer et de réprimer pénalement» toute divulgation qui en sera faite, quels que soient le support et le vecteur d'information et de communication. «L'instrumentalisation des réseaux sociaux» est citée nommément dans ce nouveau texte de loi – une première en l'espèce – comme un des canaux d'information qui sera soumis, désormais, à une surveillance étroite pour couper, à la source, les fils de la transmission de ce genre d'informations. L'anonymat qu'offrent les réseaux sociaux à leurs utilisateurs pousse des fonctionnaires, à différents échelons, parfois de grands commis de l'Etat, bien ou malintentionnés, à faire fuiter des documents, des informations censés être confidentiels. Pour leur part, les journaux et les journalistes téméraires ayant bravé la peur et l'interdit non déclaré que vient de combler la nouvelle loi dans sa formulation répressive se sont retrouvés, dans leur traitement de ce type d'informations, partagés entre l'évaluation du risque à encourir et le devoir d'informer. Si la pratique de la protection des documents classifiés de l'Etat est un principe universel régalien du fonctionnement de l'appareil de l'Etat, en revanche, dans les pays autocratiques, elle renvoie à un désir de mettre sous contrôle et hors de portée de la presse et de l'opinion les documents et archives de l'administration révélant des défaillances dans le fonctionnement des institutions et de l'administration publiques, pour ne pas écorner l'image des gouvernants. Le risque de la systématisation de l'approche de la confidentialité et des documents classifiés de l'Etat pourrait conduire à des situations ubuesques pouvant aller jusqu'à toucher une banale note de service d'une administration publique. Dans les années 1990, le journal El Watan avait été suspendu pour avoir publié l'organigramme de la présidence de la République. Avec ce nouvel arsenal juridique criminalisant la divulgation des documents classifiés de l'Etat, le pouvoir se bunkérise en ne laissant aucun interstice pouvant laisser s'externaliser des informations et des documents officiels ne relevant pas du domaine public dans l'entendement des décideurs. Il faudra attendre la promulgation des textes réglementaires d'application de l'ordonnance en question pour connaître la typologie des documents visés par la mention de la classification. Mais d'ores et déjà, il apparaît clairement, à travers l'exposé des motifs du projet d'ordonnance, que le souci des autorités est moins de protéger la mémoire archivistique de l'Etat que de se protéger. Après l'imprimatur instauré sur les informations sécuritaires, la loi sur la pénalisation des fake news, dont il faudra craindre un usage abusif dans le sens d'un plus grand verrouillage de la presse électronique, la boucle est bouclée avec ce nouveau texte de loi, qui suscite des craintes légitimes auprès des professionnels des médias et de l'opinion publique d'une manière générale quant à la libre circulation de l'information dans la société. Dans le monde globalisé d'aujourd'hui, tout cet activisme paraît décontextualisé quand on pense que même la plus grande puissance mondiale n'a rien pu faire pour protéger ses câbles diplomatiques, comme on l'a vu dans le scandale WikiLeaks. Advertisements