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Un superbe biopic qui doit rencontrer son public
Mohamed Larbi Ben Mhidi, de Bachir Derraïs
Publié dans El Watan le 19 - 06 - 2021

De tous les biopics réalisés à ce jour par la cinématographie nationale, des films lestés pour la plupart par le souci de coller à une vérité officielle et à ses poncifs, Ben M'hidi fera date tant en matière de vérité historique que de vérité esthétique.
Pourtant, depuis plusieurs mois, ce long métrage a maille à partir avec la censure exercée par le ministère des Moudjahidine. Sa faute ? Avoir fait preuve d'originalité en focalisant, entre autres, sur un des conflits majeurs entre dirigeants de la Révolution, dont Ben M'hidi était un conflit qui hypothèque à ce jour l'évolution du pays pour avoir fait que sa souveraineté nationale, une fois reconquise à l'indépendance, a été confisquée.
En effet, ce sont les séquences relatives au Congrès de la Soummam qui sont l'objet d'un bras de fer entre les censeurs et Derraïs. Ce dernier, désirant prendre à témoin l'opinion, a sollicité trois titres de presse nationale, face à l'impossibilité d'organiser une première pour l'ensemble des confrères faute d'un visa d'exploitation.
Casting de premier ordre
Alors, que dire après l'ultime image du film ? Modérons quelque peu notre éloge mis en exergue. En effet, la première séquence, un flash-back, risque de rebuter le spectateur exigeant. Elle enfourche un manichéisme héroïsant, celui d'une obligée marque de fabrique du cinéma algérien lorsqu'il est question de la lutte de Libération nationale. Toutefois, revenant plus loin, mais contextualisée cette fois, cette séquence passe mieux.
Le récit proprement dit commence par une image d'Epinal embrassant un vaste paysage bucolique balayé par d'amples et caressants mouvements de caméra. C'est une riante ferme, propriété de Ben M'hidi père. Cette séquence de présentation déroule en fait la fin d'une heureuse préadolescence de Mohammed Larbi Ben M'hidi.
Le basculement de situation qui s'ensuit happe le spectateur dans l'entame d'une chaotique adolescence du personnage consécutivement à l'exil forcé de sa famille vers d'autres horizons impécunieux.
Par la suite, et à l'instar de tous les biopics traitant d'une personnalité historique, le film s'en tient à un parcours de vie corrélé aux moments charnières de l'histoire nationale plutôt qu'à ceux de l'individu singulier que fut Ben M'hidi. Sur ce registre, Derraïs se laisse parfois aller à la démonstration mais il préserve son film de l'emphase habituellement servie pour livrer une image censée édifiante de ses héros.
Il n'oublie surtout pas de mettre de l'émotion sur ses images, évitant de réduire ses personnages à des icônes ou à des héros d'airain. Son film les humanise, respire leurs caractères et leurs fragilités et s'écarte des obligées œillères patriotardes chères à un cinéma algérien se voulant «révolutionnaire». Cependant, autre originalité dans un biopic algérien, l'indicible y palpite, notamment par la mise en relief de la vie affective de Ben M'hidi, dans ce qu'elle a de plus intime.
Une relation passionnelle, résultat d'un coup de foudre partagé, est succulemment rapportée. Idylle sans lendemain, le film a la pudeur de la rendre sans verser dans le pathos. Les émois et les déchirements qui remuent Ben M'hidi ainsi que celle qui, en d'autres circonstances, aurait pu devenir sa campagne, sont traduits par un jeu tout en intériorité. La puissance d'interprétation de Khaled Benaïssa et celle toute en nuances de Aïcha Adjroud crèvent l'écran.
En ce sens, le film vaut aussi pour son casting de premier ordre et par une notable direction d'acteurs, ses principaux comédiens insufflent à leurs personnages densité et épaisseur psychologique. Les talentueux et solides Youcef Sehaïri, Niddal El Mellouhi, Abdelhalim Zreybi, Fri Mehdi, Fethi Nouri et Lidya Larini, réalisent un abattage digne d'éloges. Quant à Nacereddine Djoudi en Mohamed Tahar Ben M'hidi, il est comme à son habitude un époustouflant caméléon dans ses personnages à chaque fois très différents de film en film.
Samir El Hakim, qui s'impose de plus en plus dans les premiers rôles, est indéniablement, de tous les comédiens qui ont campé Boudiaf au cinéma, celui qui lui a rendu justice dans sa composition. Idir Benaïbouche, lui, casse sympathiquement l'image taciturne d'un Krim Belkacem que laissent penser de lui ses photos d'époque. Mourad Oudjit, en Ben Boulaïd, tire élégamment son épingle du jeu.
Frères d'armes mais pas toujours khawa/khawa
Et, pour ne pas être en reste de sa distribution, Derraïs s'offre une très brève apparition hitchcockienne au moment où l'on s'y attend le moins, c'est-à-dire à la manière du grand maître.
Il rend par ailleurs hommage à un autre immense cinéaste, Gillo Pontecorvo, à travers quelques plans qui rappellent son La battaglia di Algeri dans des séquences en rapport à l'implication de Ben M'hidi dans cette «bataille». Sur un autre plan, celui de la scénographie, parce que film d'époque oblige, sa somptuosité est dans le rendu des atmosphères tout comme dans celui bluffant d'une époque malgré des moyens loin d'être ceux d'une superproduction.
Pour ce qui est du scénario, bien qu'il ne comporte pas de véritable intrigue, Abdelkrim Bahloul, sur un texte original de Mourad Bourboune, a su y injecter le liant d'une serrée dramaturgie. Concernant son contenu en rapport aux rivalités autour du pouvoir au sommet de la révolution, contenu qui braque la commission de visionnage du ministère des Moudjahidine, d'aucuns n'ignorent aujourd'hui que les chefs historiques, bien que frères d'armes, n'ont pas toujours fait «khawa/khawa».
Cela n'est-il pas naturel, après tout ? Leurs prises de position respectives sur des questions qui ont divisé leurs rangs ne doivent plus être appréhendées en termes de querelles de personnes.
Elles sont à relier à leurs différences d'appréciation des situations, à leurs origines sociales, économiques et culturelles ainsi qu'à leurs orientations idéologiques et aux rapports de forces du moment au sein des instances dirigeantes. Sur ce point, il n'est que de se référer aux très instructives mémoires filmées d'un acteur de la lutte de libération nationale récemment mises en ligne, celles de l'éminent historien Mohammed Harbi. En ce sens, Derraïs a eu raison de ne rien lisser.
Ses personnages ont des caractères trempés, car comment ne le pouvaient-ils être pour avoir déclenché l'une des plus grandes révolutions anti-coloniales du XXe siècle ? Ils sont parfois sans concession au point que leurs paroles peuvent être brutales d'où d'ailleurs les dialogues percutants du film. Mais ces considérations sont hélas loin des appréciations d'une censure qui ne peut être qu'obtuse dans un pays dont l'histoire est un fonds de commerce au service des pouvoirs successifs depuis 1962.
On sait que sous toutes les latitudes, un producteur se réserve toujours un droit de regard sur un film qu'il a financé avant sa mise sur le marché. Il peut, cela dépendant des rapports de force avec le réalisateur, imposer un nouveau montage pour engranger de meilleurs dividendes au box-office ou tout simplement parce qu'il n'adhère pas à certains propos du film.
Censure et dérive autoritariste
Sachant cette pratique, le ministère des moudjahidine serait alors dans son droit sauf qu'il n'est pas le producteur exclusif du film. Il n'est que coproducteur à parts égales avec Derraïs et le ministère de la Culture, sachant par ailleurs que ce dernier depuis le départ de Mihoubi ne participe plus au blocage du film. Sauf qu'également, de par les dispositions d'une loi scélérate, le ministère des Moudjahidine a le statut de censeur en chef sur tout film portant sur la lutte de Libération nationale.
A titre de rappel, cette disposition a été paradoxalement introduite par un ancien ministre de la Culture sous le règne de Bouteflika, cela au profit du gouvernement, lequel s'est déchargé sur le ministère des Moudjahidine pour faire la police en matière de vérité officielle.
Cet embrouillamini en dit d'ailleurs long sur la dévitalisation des institutions et sur les délétères mœurs qui ont présidé à la production cinématographique nationale depuis les années 2000. Or, à cette époque d'embellie financière et de célébrations de prestige, cette production doit principalement son existence à la commande publique. Rares sont les films, à l'instar de El Wahrani, Le puits, Héliopolis ou encore les percutants documentaires de Malek Bensmaïl qui avaient à la base un auteur pour porteur.
Nombre de réalisateurs, sans leur jeter la pierre pour de multiples raisons, avaient un statut de tâcherons qui, sur des scénarios bancals, ont réalisé des films alimentaires. Ce n'est pas le cas de Ben M'hidi, d'où la pugnacité que met Derraïs à le défendre d'une émasculation en règle. Après d'âpres négociations, indique le réalisateur, les réserves d'ordre historico-politiques de la commission de visionnage ont été levées à une septième version du film.
C'est celle-là qui a été donnée à voir en exclusivité à trois journalistes culturels. Derraïs reproche à la commission d'exiger d'autres suppressions qui n'ont rien à voir avec le litige initial. En montant trois autres nouvelles versions, il estime qu'il y a eu dérive, celle d'empiéter dans le domaine artistique qui est de son seul ressort en tant que réalisateur. Alors vivement que Ben M'hidi soit libéré de ses chaînes et qu'il contribue à une réappropriation vertueuse de l'histoire nationale et de la mémoire commune..
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