Le phénomène de la harga (migration clandestine) a pris depuis quelques semaines des proportions alarmantes. Tant au plan des contingents de plus en plus nombreux de candidats au départ, que des catégories sociales et professionnelles et de la structure d'âge des harraga qui prennent la décision, signe d'un profond désespoir, de malvie, de mal-être pesant, de rompre les amarres avec le pays qui les a vu naître. Aux desperados des premières hargas, à l'apparition du phénomène, composés essentiellement de chômeurs, se joignent depuis le règne de Bouteflika des candidats de tous les horizons et de tout âge : médecins, sportifs de haut niveau, personnes socialement aisées et bien rangées, universitaires, des femmes seules ou en familles avec enfants et époux, personnes âgées... A l'origine, né pour contourner les restrictions des visas et des barrières imposées à la libre circulation des populations de l'hémisphère sud dans les pays développés sublimés pour leur niveau de vie, le phénomène des harraga s'est également mué chez nous, avec l'accentuation de la fracture sociale, des injustices et l'absence totale de perspectives économiques et politiques dans le pays, en déracinement de masse, en phénomène de société. Ce n'est plus un fait divers, limité à quelques wilayas côtières proches des rivages de pays européens du sud de la Méditerranée. Désormais, les embarcations de harraga prennent le départ de toutes les wilayas du littoral algérien, même des régions situées à l'autre extrémité du port d'arrimage : des plages de Boumerdès, de Dellys, et tout récemment de Béjaïa, où une cinquantaine de harraga au nombre desquels une femme avec son enfant ont péri noyés et ont été repêchés sur les côtes espagnoles. Autre nouveauté, on quitte le pays pour un aller sans retour, en prêtant le serment de ne plus revenir et on le faisant savoir solennellement à qui de droit, aux autorités, par le son et l'image à travers des vidéos poignantes d'adieu filmées lors de leur odyssée en mer avec ces deux messages testamentaires : une pensée émue, sincère, affectueuse pour le peuple algérien et, pour les dirigeants, des mots durs, sans concessions ; des mots mêlés parfois de sentiments de résignation et d'impuissance face à la machine à broyer l'espoir, la vie. «On vous laisse le pays !» Cette réplique devenue le chant des partisans de la migration clandestine est une manière à eux d'acter leur rupture définitive avec le système qui les a poussés à l'exil extérieur forcé, après avoir longtemps subi, dans leur chair et leur âme, l'exil intérieur. Signe des temps : depuis que le drapeau du hirak ne flotte plus dans le ciel trouble d'Algérie, le voyage est préparé, financé et béni par un «conseil de famille», tout en ayant pleinement conscience de la gravité de la décision et des risques. Face à cette détresse humaine qui vide le pays de ses forces vives, les autorités opposent la rigueur de la loi en criminalisant le phénomène de la harga et le déni en occultant ce dossier brûlant du débat national et dans les médias publics. Sans résultat, puisque les départs se poursuivent à un rythme de plus en plus soutenu. Advertisements