A l'occasion de la commémoration du 60w anniversaire de la disparition du psychiatre, écrivain et militant anticolonial, Frantz Fanon, décédé le 6 décembre 1961 à l'âge de 36 ans, l'artiste peintre Mustapha Boutadjine a réalisé une magnifique exposition en hommage au parcours de l'immense intellectuel algérien d'origine martiniquaise. Intitulée «Frantz Fanon, le damné révolutionnaire» et accueillie au sein de la galerie parisienne Artbribus, elle a été inaugurée le 6 décembre dernier et restera ouverte au public jusqu'au 22 janvier 2022. Plus qu'un énième «hommage classique», cette exposition a été voulue par son auteur comme un moment de partage exceptionnel avec ses visiteurs pour leur faire découvrir d'une manière créative «le combat de Fanon, soixante ans depuis ses obsèques organisées par ses frères du FLN en terre algérienne». Alors que ce brillantissime penseur et théoricien de l'indépendance algérienne et de l'émancipation africaine plus globalement, est mort aux Etats-Unis où il a été envoyé par le GPRA pour se faire soigner de sa leucémie, ses compagnons d'armes ont tenu à respecter son vœu d'être enterré en Algérie et ont ainsi rapatrié sa dépouille clandestinement sur le territoire national en lui réservant tous les égards d'un combattant tombé au champ d'honneur. L'artiste exposant a fait clairement preuve de parti pris, assumé au demeurant, en voulant montrer la «facette révolutionnaire» de Fanon à travers trois portraits de ce dernier. Les deux premiers sont des collages de Boutadjine lui-même, comme il sait bien le faire. Le dernier est un dessin du plasticien Ernest Pignon-Ernest, qui est son invité d'honneur. Cet artiste parisien, originaire de la région niçoise, est connu notamment pour ses œuvres murales dans différentes cités de France et du monde, y compris à Alger où il a conçu, en 2003, une série d'affiches à l'effigie de Maurice Audin. Dans le but de bien restituer le combat révolutionnaire de l'auteur de Les damnés de la terre (Editions Maspero, 1961) dans le contexte de la lutte de libération nationale algérienne, qui l'a même encouragé à prendre un nom de guerre, en l'occurrence Omar, et de «mettre en exergue son parcours internationaliste et sa lutte anticoloniale», Mustapha Boutadjine accompagne les trois œuvres citées par d'autres beaux portraits en collage qui rendent hommage à des «personnalités aussi emblématiques», de par leurs engagements pour l'auto-détermination des peuples colonisés et opprimés, à savoir Djamila Boupacha, Djamila Bouhired, Ali La Pointe, Maurice Audin, Jacqueline Guerroudj, Nils Andersson, Henri Alleg, Nelson Mandela, Hô Chi Minh, Patrice Lumumba, Che Guevara, Guy Môquet, Geronimo, etc. Force est de constater qu'il s'agit là d'«un récit d'images et d'histoires radicales, une exposition d'histoires et de couleurs à la hauteur de l'œuvre et de la pensée de Frantz Fanon, sans concession et sans reniement». L'exposition vaut vraiment le détour, d'autant plus qu'elle est parfaitement fidèle à la marque de fabrique du graphiste algérien qui s'inspire de son propre engagement antiraciste et anti-impérialiste. Boutadjine exploite ce qu'il considère comme un «paradoxe avec la matière de base de sa création» pour alimenter sa créativité et ses œuvres. À partir de feuilles de vieux magazines, perçues souvent comme des morceaux d'un «recueil de mensonges» de la pensée et des médias mainstream, il crée des portraits de femmes et d'hommes qui ont marqué l'histoire de l'humanité par la défense de causes justes et, d'une certaine manière, par leur anticonformisme salutaire. Paris, De notre bureau. Samir G. Advertisements