De par son nom évocateur et sa situation inédite, la cité Bessif mérite d'être classée parmi les bidonvilles dont l'existence même bouscule les imaginations les plus audacieuses. Située à cinq kilomètres du centre-ville de Constantine, la cité Essalem paraît isolée du reste de la commune. Ici, le temps semble même s'arrêter. Le lieu, se trouvant non loin de la zone industrielle de Chaab Ersas, est ignoré par une bonne partie des Constantinois bien que pas mal d'entre eux le côtoient en traversant le fameux pont enjambant l'oued Boumerzoug. Un simple arrêt fait découvrir aux passants un décor aussi choquant qu'atypique. Un pâté de maisons construites en parpaings, implanté dans le lit même de l'oued défie les règles les plus élémentaires de l'urbanisme. Bessif, qui veut dire « par la force », évoque une explication rappelant en grande partie le caractère rebelle d'un groupement d'habitations qui n'a cessé de s'accroître au fil des ans pour occuper finalement toute la rive est de la rivière. Une véritable cité-appendice née à travers un amoncellement de foyers, clôturés par des tôles rongées par la rouille, protégés par des toitures de fortune, maintenues par des pierres et de vieux pneus côtoyant les antennes paraboliques. Depuis des années, des centaines de familles venues de tous les horizons y ont élu domicile en l'absence des conditions d'hygiène auxquelles s'ajoutent les odeurs nauséabondes des eaux de la rivière et les dépotoirs s'érigeant sur les deux rives. Les habitants qui parlent d'une vie infernale (chaleur suffocante en été, froid glacial, boue et route impraticable en hiver) ne sont pas épargnés par les maladies comme la gale, le rhumatisme, l'asthme ou la fièvre thyphoïde. Pas bien loin de là, des vaches broutent un semblant d'herbe poussant au milieu des poubelles, une cuvette vague sert de terrain de football pour des gamins qui gambadent entre deux corvées d'eau. La dégradation de l'environnement fait que cette cité est devenue invivable à cause de la pollution émanant des déchets brûlés d'une décharge sauvage improvisée par des riverains. Les déchets restent ici durant des semaines à cause d'un ramassage qui n'a jamais existé. Une visite à travers les passages exigus et obscurs de la cité révèle des maisons aux murs crasseux, fissurés et risquant un écroulement imminent. Le bidonville a toujours été menacé par les crues de l'oued Boumerzoug durant la période des fortes pluies. A plusieurs reprises, les familles contraintes même d'abandonner leurs biens pour sauver leur peau ont été évacuées en catastrophe par les services de la Protection civile dans une région classée à hauts risques. Même le fameux qualificatif de « bessif » semble coller éternellement à la peau des habitants qui déclarent être malmenés pour retirer un certificat de résidence. C'est un quotidien qui n'a pas changé depuis 1989, alors qu'à chaque échéance électorale, on vient rappeler à ces « citoyens oubliés » le sens de leur devoir civique. Pour la petite histoire, les habitants dudit quartier se rappellent encore le jour où ils ont reçu, non sans stupéfaction, l'ex-P/APC de Constantine à quelques encablures seulement des dernières élections législatives. En dehors de sa courtoisie, la visite n'a pas manqué de soulever des espoirs nourris d'une foule de promesses. Au lendemain du scrutin, toutes les attentes des citoyens se son avérées vaines pour que la cité sombre encore une fois dans l'anonymat. Les habitants de la désormais cité Essalem, appelée enfin à disparaître comme un mauvais souvenir, réclament leur droit le plus élémentaire, c'est-à-dire être relogés dans la dignité à l'instar de tous les résidents des autres bidonvilles déjà rasés. Ils lancent un autre appel au premier responsable de l'exécutif à venir visiter ce lieu où des centaines de familles continuent de souffrir sous les regards indifférents.