Dans une tenue moulante de couleur jaune, chaba Amira, qui a ouvert la deuxième soirée du festival du raï, n'est pas connue du grand public oranais mais sa prestation était à la hauteur pour le fait que, d'emblée, sa carrière étant faite ailleurs entre Alger et Tizi Ouzou, elle s'est montrée d'une aisance déconcertante sur scène. En fait, elle a commencé à chanter dans les cabarets algérois jusqu'en 1993 puis, devait-elle expliquer juste après son passage : « A cause de la détérioration de la situation sécuritaire, je suis partie à Tizi Ouzou où je réside et continue de chanter jusqu'à l'heure actuelle et dans plusieurs endroits comme Amraoua, Lalla Khedidja et même plus loin encore, au Hammadites, à Béjaïa. » Cette jeune chanteuse talentueuse s'est illustrée avec Hada ma waliite nestahel (c'est tout ce que je mérite désormais) mais aussi par un titre plus récent intitulé Derteh ivibri (allusion à l'option vibreur du téléphone mobile, ce petit objet technologique qui a inspiré nombre de chanteurs). « Mauvaise affaire l'portable », devait-elle lancer face au public ravi qui a répondu à ses appels à créer l'ambiance. De la même génération et d'une aussi remarquable tenue sur scène, cheb Djamel Tay Tay à de quoi séduire, notamment avec sa voix particulièrement puissante et une maîtrise apparente des arrangements concoctés par le groupe accompagnateur Liberté. Dans la foulée, Othmane de Barigou (déformation linguistique de Perrégaux, ancien toponyme de Mohammadia) est passé presque inaperçu. Cheb Khalid, qui lui a succédé, a eu à user de vieilles recettes telles que Lyoum s'îd m'barek (aujourd'hui est un jour béni) pour tenter de séduire un public qui n'est pas encore entièrement dans le bain. Karitha (catastrophe) chante Khalid avant de céder le micro à Miloud l'marseillais qui, à son tour, passera le flambeau à cheb Saïdi. Dans la foulée des chanteurs de raï venus d'ailleurs, celui-ci représente un cas à part. Un talent, une carrière Comme son surnom l'indique, il est originaire de Saïda, la ville qui a vu naître Mami. La comparaison s'arrête là car même si cheb Saïdi (qui a plutôt repris Khaled dès l'âge de 11 ans, en 1986) a lui aussi été distingué dans l'émission « Alhane wa chabab », ce sera à Alger qu'il fera sa carrière. « Quand j'ai raté mon bac, j'ai tout de suite décidé de prendre le chemin artistique », avouait-il. Ce sont des organisateurs de spectacles qui, après avoir flairé le talent, lui ont finalement proposé de s'installer à Alger et d'y travailler. Aujourd'hui, il a 18 cassettes sur le marché et la toute dernière porte le titre Maniche nekdeb (je ne mens pas). Il a donné une belle prestation avant d'inviter chaba Nawal pour un duo. Ensemble, ils interpréteront Rabi ha rabi, un titre dans lequel il est question, entre autres, de résidence à l'étranger. Le cas de Nawal est édifiant car, comme son camarade Sid Ahmed El Harrachi, son initiation au raï s'est faite directement dans sa ville natale, Alger. Sur scène, elle était quelque peu crispée et on sent bien qu'elle fait d'énormes efforts pour imiter le parler oranais, condition non négociable pour espérer avoir quelques faveurs d'un public très exigeant dans ce domaine précis. Cependant, ses textes sont particulièrement osés et répondent bien aux standards d'un genre connu pour son langage cru. Gaâ labnat yebghou t'fehchiche (toutes les filles aiment se défouler) chante Nawal qui dit aimer le raï depuis sa tendre jeunesse même si précise-t-elle, « à l'époque, il n'y avait pas autant de chanteurs qu'aujourd'hui ». Sa première chanson s'intitule Mabghatehch (elle ne l'aime pas) et l'a enregistrée à l'époque où, dit-elle : « Oui, je l'avoue, à mes débuts, j'ai chanté dans les cabarets, mais cela fait maintenant quatre ans que j'ai arrêté. » Elle a travaillé très dur avant de se voir consacrée dans le monde du raï. L'honneur de clôturer la soirée est revenu à cheb Anouar, une figure connue qui tente désespérément de se tenir au top dans ce milieu où la concurrence fait rage. Anouar a interprété Darti rouhek ma âraftiniche (tu as fait semblant ne pas me reconnaître) dans la pure tradition du raï avant de revenir au style proche du moghrabi qui l'a caractérisé lorsque, tout jeune, il a été découvert par le défunt Rachid Baba Ahmed, l'autre martyr. Il s'est éclaté et le public avec lui dans Cheddi l'mous (prends le couteau). A ce moment-là, il était deux heures passées du matin et les derniers spectateurs hésitent encore à s'arracher de leur siège.