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Les marins du web frôlent l'interdit
Le gouvernement veut fermer les cybercafés à minuit
Publié dans El Watan le 15 - 08 - 2005

Quelles seraient les conséquences de l'application de la nouvelle loi sur les cybercafés et autres lieux de plaisance ? La nuit, certains restent ouverts. Par complaisance vis-à-vis d'une clientèle de plus en plus noctambule.
La période estivale et la chaleur de l'été favorisant les connexions. Par commodité aussi. Les gérants des cybercafés ont choisi de rester ouvert depuis longtemps et l'affichent sur leur devanture comme une marque de service avec des prix concurrentiels. « Nuit blanche 100 DA. » Parfois moins.Pas de vacarme. Pas de profil pour la clientèle en dehors d'une composition masculine. « J'ai choisi de le faire parce que je ne dors pas », explique le gérant de Game Cyber à Bordj El Kiffan, à l'est d'Alger. « C'est la nuit que je vis », lance-t-il. Alger, la nuit, se focalise sur les fuseaux horaires de l'autre bout de la planète, des Etats-Unis, du Canada. C'est peut-être une des rares fois que le pays se met sur des standards internationaux. A l'heure de la fin de travail, l'Algérie veille. Noctambules, somnambules, amoureux de minuit. « On les voit en forme dans la journée, c'est à penser qu'ils ne sont jamais fatigués », lance ce gérant de cybercafé, place Maurétania à Alger-Centre qui surplombe la nouvelle trémie. Mais qu'est-ce qui les fait venir ? « Les tarifs », réplique-t-il. « Une affaire de rapidité de débit », rétorque un autre. Connexion ADSL, par satellite, la performance du téléchargement ouvre des terrains intarissables à déchiffrer, à défricher, à découvrir. Casse-croûte frites-omelette à la main, le gérant, observateur passif des mœurs nocturnes se tramant sur les 29 postes de son cyber, explique : « Ils pompent du aâdjeb (des merveilles, ndlr). Des logiciels, des films, de la musique qu'ils gravent sur CD... » Les internautes se tiennent à la page.
Où iront les jeunes ?
Le software circule sur la toile plus rapidement que sur les marchés « conventionnels ». « Au lieu d'acheter un CD à 100 da (prix de la majorité des logiciels piratés dans les marchés parallèles et moins parallèles, ndlr), ils emportent les dernières versions des antivirus sur leurs flash-discs et les installent chez eux », continue-t-il. A l'autre bout de la capitale, à Baraki, banlieue est d'Alger, la dynamique cybermanique nocturne n'est pas la même qu'au centre d'Alger. Des trois cybers en activité sur l'artère principale de la localité, deux seulement ouvrent après 23 h, mais n'iront pas plus loin que 2h. Lyès, gérant d'un garage de la toile non baptisé, est partagé entre parler d'une ambiance indicible d'insécurité et un discours plus léger pour expliquer son boycott de la nuit. Il finit par proposer de sortir prendre un café, qui du reste s'avère introuvable à quelques quarts d'heure de minuit. Le Baraki tranquille dort tôt. Le décret Ouyahia ne risque pas de faire des dégâts ici. A peine si on s'inquiète. « Personne n'est venu nous dire de fermer à minuit », lance Lyès qui s'attend plutôt à une descente directe de la police. Comme ses confrères dans ce coin périphérique de la capitale, les rares clients sont des habitués et on finit par devenir les compagnons des fins de soirées estivales. Retour au centre. A la place Maurétania, comme dans les autres quartiers où « la nuit blanche » est une offre instituée, la clientèle est charriée au gré des insomnies urbaines. Les usagers d'Internet en mode nocturne restent grossièrement les mêmes. Dans un univers aseptisé, les casques sur les oreilles, la majeure partie des clients, transformés en profils virtuels, « chate » (verbe du premier groupe qui veut dire discuter on line). La tête posée sur la table du proxy, demi-bonnet noir domptant une crinière noire au carré, le gérant de ce cyber n'a pas encore récupéré de la permanence de la veille. Vieux routier de la gestion du cybercafé, il connaît ses clients sur le bout des doigts. « Y en a qui ont leurs petites amies en Allemagne ou au Canada, qui viennent draguer ou juste discuter. Tu les vois avec leurs casques en train de rigoler d'un coup au milieu de la nuit. Y en a qui sont là pour écouter de la musique ou bien pour voir des films, c'est leur trip d'après-minuit. » D'autres dorment. Et puis, « il y a ceux qui viennent pour ‘'hadhak echiy'' (vous savez ! la chose là) ». Traduire : des histoires de cape et... d'épées croisées en X. Le traitement antipornographie installé par les gérants des cybers peut aller d'un laisser-faire compréhensif et désabusé au lancement intempestif d'une fenêtre coranique, censée remettre sur le droit chemin le voyeur acharné aux yeux rouges. « Barka m'smata ! » (arrête de charrier !), chargent, dans un autre registre, les écrans de BY.com, à Baraki. Au Game Cyber de Bordj El Kiffan, les postes sont tournés de manière à ce que les pages consultées soient vues par tout le monde, méthode conventionnelle, de loin la plus efficace sur la place. La discussion sur le décret réglementant les horaires d'ouverture de ces espaces arrache un « t'hir » (du mot « hayra » en arabe, jonction de stupéfaction et incompréhension) au peuple internaute. Devant le Game Cyber, Samir, gérant du lieu, observe ce bruit avec regret. « Mettre dans un même texte de loi cirques, cybercafés et cabarets ! », répète-t-il. Il ne pense pas qu'il sera exécuté. Comment pourrait-il l'être ? L'application de cette loi bute contre sa propre incohérence. Son ami se tait. Cercle des marins du web dans le huis clos nocturne. Son silence rappelle qu'« il n'y a pas de lieux de sortie et de vie pour les jeunes. Que voudrait-on qu'ils fassent, si en plus on leur ferme les cybercafés ? ».


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