Zina et Gouraya. Des 24 chevaux peuplant les box du club hippique de Béjaïa à son inauguration en 1970, ce sont les deux seuls « rescapés » de la mise à mort de l'équitation à Béjaïa. Les deux juments, respectivement de race barbe et arabe barbe, vivotent dans un univers de plus en plus étroit et de plus en plus dégarni des éléments ayant nécessairement composé le centre équestre. Ce dernier est dans un état lamentable. L'abandon est total. Les crues de 2002 avaient eu raison d'une grande partie des installations. Elles ont même failli emporter Zina et Gouraya, n'eut été la prompte intervention des travailleurs sauvant in extremis les deux malheureuses bêtes. Le reste n'a pas échappé à l'action dévastatrice de... l'homme. La superficie attribuée au départ était de 18 ha. On a grignoté à la périphérie du périmètre jusqu'à n'en laisser qu'une dizaine. Seuls un peu moins de deux hectares en somme restent pour les chevaux. Des camps de toile avaient été durant des années installés à l'endroit du fourrage des chevaux et du parcours de chasse où les montures retrouvaient avant la « dépossession » des éléments naturels (contrebas, contre hauts, butes, troncs d'arbre pour obstacles...), motivant les différentes attitudes attendues chez le cheval et le cavalier. Des arbres plantés par les sociétaires du centre et une ligne de caroubiers, dont l'usage est double (aliment et allée cavalière), ont également été « annexées ». Des sanitaires ont même « enjambé » la clôture. Des baraquements ont « squatté » un lopin de la carrière de dressage et d'entraînement des cavaliers. Des 24 box existant au départ, il ne reste qu'une dizaine dans un piteux état. La carrière de compétition inaugurée en grandes pompes en 1970 avec la présence du ministre de l'Agriculture de l'époque, en l'occurrence M. Ahmed Kaïd, n'est presque plus : tout le jeu d'obstacles a disparu. Voilà l'étendue du « sinistre », dont le constat nous a été dressé de visu par M. Salah Cheurfa, un autre rescapé de la cavalerie ayant fait les beaux jours du club de Béjaïa. Le toujours jeune jockey, dans un sursaut d'orgueil, mène une lutte sans merci pour « maintenir la bête en vie ». Abandon total Dans le réduit qui lui sert à la fois de poste de garde, de bureau et de magasin, il garde jalousement des trophées qui trônent sur un vieux placard où sont soigneusement rangés les archives, de vieilles coupures de journaux vantant les exploits du club, les cartes des adhérents paradoxalement encore nombreux, des paquets de photos... Salah exhibe fièrement les coupes remportées, du premier prix du concours du saut officiel organisé en 1974 par le Nadi El Fouroussia de Hussein Dey (Nefhd), actuellement dénommé Centre équestre Colonel Chabou du Caroubier, au premier prix du concours régional de Constantine de 1999. « Après la dissolution de l'association Sports équestres Gouraya intervenue à la suite de la demande du gel de ses activités telle que formulée par les cavaliers, pour gestion décriée, je me suis bénévolement investi de la mission de sauvegarde de ce qui reste des lieux », dira Salah. L'ancien cavalier, formé par de nombreux stages chez la Garde républicaine entre 1970 et 1974, fait les 12 travaux d'Hercule : il est donc cavalier, mais aussi gardien, jardinier, plombier, peintre, maréchal-ferrant, soigneur, palefrenier... Une petite équipe d'entretien lui apporte quelque peu assistance : ses enfants, Badri-Lounis (8 ans), Karima Camélia (10 ans) et Kahina (11 ans), émergeant aussi comme cavaliers. Salah se définit comme « l'homme à tout faire sans salaire », sans laisser apparaître le moindre signe de regret « pourvu que la situation actuelle puisse évoluer vers le redémarrage effectif des activités du centre ». Un vœu conforté par des décisions ministérielles telles que l'instruction n°7 du 12 novembre 2003, émanant du ministère de la Jeunesse et des Sports portant réhabilitation du sport équestre algérien, et l'instruction du ministère de l'Agriculture du 28 décembre 2003 portant entre autres réhabilitation du cheval et de l'équitation. La Fédération des sports équestres informera à son tour les présidents des centres équestres qu'une action est menée pour établir la situation juridique des terrains d'assiette. Ce piédestal juridique et administratif donnera des ailes à Salah. Il multipliera les requêtes à l'adresse de l'administration. En juillet 2001, une correspondance est envoyée au procureur général, près la cour de Béjaïa, signalant actes de vandalisme, extraction clandestine de sable, baraquements illicites, parkings et locaux loués sans comptabilité. En avril 2004, c'est le chef de daïra de Tichy qui est sollicité pour dénoncer des constructions illicites sur le terrain du club hippique. La wilaya est « harcelée » par M. Cheurfa. Premier résultat : des terrains sont récupérés sur décision de justice. L'optimisme de voir enfin un statut clarifiant propriété et attributions semble permis après « la sérieuse prise en charge du dossier par le contentieux de la wilaya et la fédération », fera remarquer notre interlocuteur. Dans la lancée, il est question nous apprendra-t-il de « la venue imminente du président de la fédération pour prendre des décisions avec la wilaya ». L'urgence est à la récupération des terrains, mais également à l'apport en fonctionnement. En plus d'installations désuètes, l'eau et l'électricité sont coupées et, à défaut de paille, on couvre le sol de fumier)... Les cavaliers - ils s'entraînent toujours - « interpellent le wali espérant ne pas perdre encore une année ». Ils ambitionnent ainsi de rouvrir l'école pour dispenser des formations de cavaliers de 1er et 2e degrés et du brevet de moniteur. En attendant, le club hippique de Tichy reste le seul endroit à 200 km à la ronde pour faire connaître le cheval et faire naître une nouvelle passion.