Dix sept fois octobre. El Harrach, Bachdjerrah et Bab El Oued, trident de la colère, ont peu changé. Quartiers populaires largués de part et d'autre d'Alger, qui ont tout vu traverser : inondations, relogements, affrontements de nuit, pénuries, émeutes, Honda qu'on brûle, COMIRO (commandement militaire pour le rétablissement de l'ordre du général Nezzar), morts, rafales, rafles. 5 octobre 1988, dix-sept ans après, qu'en reste-t-il ? Le président Abdelaziz Bouteflika répétait, lors de la récente campagne référendaire, que « le peuple a été sorti », poussé dans des émeutes. Octobre 1988 ne ressemblait pas, à ses yeux, à une « révolution démocratique ». M'hammed Boukhobza, sociologue assassiné en juin 1993 et auteur de Octobre 88, évolution ou rupture ?, soulignait dans son étude que « Octobre a été un moment d'extériorisation ou plus exactement un moment de contestation sociale d'une situation de crise générale latente ». « D'accord, selon Bouteflika le peuple a été poussé, manipulé. Mais celui qui les a poussé, il n'a rien subi. Rien. Alors que nous : 400 morts, un millier de blessés, des torturés, des mutilés », s'emporte Hammou L'hadj Azouaou, 38 ans, amputé de son bras gauche jusqu'à l'épaule et président de l'Association des victimes d'octobre 1988 (AVO88). Le 10 octobre 1988, Azouaou se rend à Bab El Oued chercher du pain pour sa gargote de la rue Hassiba Ben Bouali. Les troubles paralysent la capitale. Mais le 10, c'est la marche à laquelle aurait appelé un anonyme, Ali Benhadj. 14h30, un tir. Personne ne saura d'où est venu cette balle. Comme dans quatre ans plus tard, les fameuses voitures banalisées qui tiraient sur la foule des manifestants du FIS. Bousculade. Les militaires sont là. Sid Ali Benmechiche, journaliste à l'APS, est tué par une balle perdue au niveau de la DGSN. A Oran, le même jour, le regretté Abdelkader Alloula est arrêté. Bousculade. Azouaou, à Bab El Oued, tente de secourir une jeune fille blessée. Trois soldats rappliquent, l'un deux tire une rafale de fusil mitrailleur. Neuf balles dans le corps. Bras sectionné par les projectiles. Orteils du pied éclatés. Blessures au visage, au coude. « Nos mutilations sont considérées comme ‘'accident de travail''. Accident de travail pour des gamins qui n'avait pas 18 ans à l'époque, ou même pour des enfants en bas âge touchés par des balles perdues. Accident de travail ! » dit Azouaou. Et ces centaines de jeunes qui ont subi la torture ? « Eux, ils n'ont rien. Alors là... », répond le président d'AVO88. « Depuis 1989, on a interpellé les gouvernements successifs, l'APN, les groupes parlementaires, nous avons déposé des mémorandums, des demandes...Nous voulons un statut », dit Azouaou. « Il faudrait bien que l'histoire condamne Lakhal Ayat (chef des services spéciaux militaires), Larbi Belkhir (directeur de cabinet du président Chadli), Khaled Nezzar et Hadi Lekhdiri (ministre de l'Intérieur) à divulguer les détails de ce qui s'était passé, surtout en ce qui concerne la torture », ajoute Azouaou qui préfère commémorer cet événement dans le deuil, seul. « Mais je salue RAJ (Rassemblement Action Jeunesse) qui dépose chaque année une gerbe à la Place des martyrs », dit Azouaou. « La véritable réconciliation reste à faire entre le peuple et le pouvoir », termine Azouaou avant de souligner : « Sans octobre 1988, Bouteflika aurait-il pu revenir ? ».