Le siège du comité du Croissant-Rouge algérien (CRA), situé pas loin du Tunnel des facultés (Alger-Centre), est transformé à l'occasion du mois du Ramadan en resto du cœur. En ces premiers jours du mois sacré, les lieux sont devenus un point de repère, à l'heure du f'tour, pour bon nombre de personnes défavorisées pour rompre le jeûne ou assouvir leur faim. Mercredi 5 octobre, deuxième jour du Ramadhan. A 18h 25, la place Audin est totalement déserte. Pas de passants, ni de mendiants, ni même de voitures qui passent. Tout juste quatre à cinq éléments de la police en train de surveiller les lieux dans le calme imposé par le moment du f'tour. A l'appel du adhan, tandis que les membres d'une famille ordinaire font le tour d'une table, la salle principale du siège du comité du Croissant-Rouge est déjà archiplein et les derniers arrivants prenaient place au milieu des « convives ». Deux jeunes sont chargés de « réceptionner » les gens qui affluent en nombre de plus en plus croissant, très gêné. « Nous recevons ici pendant tout le mois du Ramadhan, des jeunes en difficulté avec leur famille, des sans domicile fixe (SDF), des familles entières sans ressources, des travailleurs des chantiers ainsi que des passagers retenus au centre-ville au moment du f'tour », indique un organisateur. Six rangées de 18 places chacune ont été aménagées pour la circonstance. Deux services en tout sont prévus chaque jour et jusqu'à la fin du mois, précise un autre organisateur. Les hommes et les jeunes, la mine froissée, les joues creusées et les habits usés et sales, occupent les cinq premières rangées, tandis que la sixième est réservée aux femmes accompagnées de plusieurs membres de leur famille, notamment des enfants à moitié nus. Si les hommes sont muets, fourrant leur nez dans leur assiette et refusant à demi-mot de dire quoi que ce soit sur leur situation sociale, les femmes, par contre, donnent libre cours à des discours interminables parfois à voix haute. L'une d'elle, bien avancée dans l'âge, a eu même l'audace de montrer (avec des gestes) comment elle s'est faite roulée par son propre mari ! Une autre explique que cette action de solidarité devrait être de tous les jours... Les bruits des cuillères flirtant avec le fond des bols ou des plateaux, les cris et les pleurs des enfants et les sollicitations renouvelées des organisateurs créent une atmosphère particulière. La salle est bien entretenue. Le menu du jour est riche : une chorba frik, une salade mélangée de riz comme entrée, des pommes de terre en sauce agrémentées de petits morceaux de viande et un morceau de pain. Comme dessert, le resto offre à ses « invités », des dattes et une boîte de yaourt. Plusieurs jeunes, essentiellement des étudiants et des fonctionnaires, jouent le rôle de garçon de salle, distribuant des repas et proposant des suppléments de chorba pour qui en veut encore. « Une cigarette ! » lance à brûle-pourpoint un homme à l'adresse d'un autre à la fin de son repas. Celui-ci, interloqué par cette vive interpellation, lui répond par la négative, ce qui n'a pas laissé indifférent le demandeur de cigarettes. A la cuisine, d'autres jeunes, plus de femmes que d'hommes, travaillent d'arrache-pied à nettoyer, laver et rincer les plateaux-repas et à servir à manger. Les rires fusent de partout et la bonne ambiance s'installe agrémentée d'une douce musique. Le resto se vide peu à peu. Les hommes sortent un à un alors que les femmes s'organisent en file indienne. Le centre-ville reprend peu à peu son animation à partir de 19h. Les terrasses des cafés de la place Audin et ceux de la rue Didouche Mourad se remplissent. Les veillées ramadanesques, pour les uns, commencent alors. Les mendiants et les sans domicile fixe retournent à leur coin.