Tadjer, en habile narrateur, n'hésite pas à piocher, si besoin est, dans sa propre vie pour dénicher ou inventer des personnages qu'il va animer au gré du cheminement de ses récits. Les éditions APIC rééditent, pour l'ouverture du Salon du livre d'Alger (SILA) Il était une fois peut-être pas, le truculent roman d'Akli Tadjer. L'auteur sera à Alger à cette occasion pour présenter son ouvrage. Ce livre a été mis en librairie, pour la première fois, par la maison parisienne J.C Lattès en 2008, et il est en passe de devenir un film. Depuis, Tadjer a donné à ses lecteurs un autre titre, Western, publié chez Flammarion. Ce dernier, certes agréable et attachant, n'en demeure pas moins un polar. Tel n'est pas du tout le cas pour Il était une fois peut-être pas qu'on voudra certainement garder dans sa bibliothèque pour, éventuellement, le déguster de nouveau. Ce roman restera une des œuvres parmi les plus remarquées d'Akli Tadjer. Il y a investi, d'abord beaucoup d'efforts, ensuite de nombreux faits historiques pour épaissir la trame d'une saga familiale de plusieurs décennies tissée à la Rougon-Macquart, sauf qu'ici tous les personnages, de Hussein Dey et Awa jusqu'à leur lointaine descendante Myriam, vivent dans le même espace romanesque, alors que Zola fait succéder les siens dans une œuvre monumentale de 20 titres. Le roman est conçu comme un creuset où s'entrechoquent des vies, fleurissent des amours, naissent des passions et/ou s'éteignent des cruautés et de vieilles haines. Toutes ces rencontres, ces convergences ou déchirements sont imposés de manière inexorable par le destin qui a réuni la France et l'Algérie à partir de 1830. Tadjer, en habile narrateur, n'hésite pas à piocher, si besoin est, dans sa propre vie pour dénicher ou inventer des personnages qu'il va animer au gré du cheminement de ses récits, dont certains passages ou chapitres sont livrés comme des contes. Mais c'est son style d'écriture décapant qui va le faire entrer par la grande porte dans le monde de l'édition. Ce style explose telle une floraison printanière dans une prairie. Les images, les petites paraboles, les dits et les non-dits, l'oreille gauche qu'on montre en se contorsionnant vers l'arrière pour la saisir avec la main droite, Akli multiplie les artifices comme un champ qui s'ouvre à la compétition de mille et une fleurs. Et cela donne de la magie au récit. D'intéressant, il se mue en captivant. Le jargon argotique ne lui est pas étranger : «Il fait swinguer les phrases et les mots d'argot», fait-il dire lui-même à l'un de ses personnages. Alors il en use et en abuse sans vergogne. Ainsi les emprunts qu'il se permet de prélever à pleine louche dans la sauce langagière populaire, qu'il doit à sa vie dans la banlieue pauvre de Paris, viennent donner encore plus de saveur à une lecture qu'on déguste comme un bon millésime. Autre particularité de l'écriture de Tadjer : il ne s'intéresse que peu à l'extérieur et à l'environnement de ses personnages. Paris, Alger, Constantine et le village de Beni Amar en Kabylie ne sont décrits que sommairement, sciemment «floutés» alors que la ville de Toulon où vit Myriam n'est que mentionnée sans autre précision. Les lieux et les espaces ne sont chez lui que des éléments techniques servant d'arrière-fond pour la construction du récit. Il en est presque de même pour les personnages. S'ils sont vivants, très denses, ont de l'épaisseur au vu de leurs sentiments et ressentiments, souvent l'auteur les «pixellise» à tel point qu'il est parfois difficile d'imaginer leur enveloppe extérieure, leur allure, leur visage, leur sourire. Il était une fois peut-être pas est à lire et à faire lire.Ahmed Ancer
Akli Tadjer, Il était une fois peut-être pas, Editions APIC Alger, octobre 2010, Editions J.C Lattes Paris, Paris, 2008, 328.P