Doper un cheval pour le faire ralentir ou le galvaniser est une pratique courante dans le milieu hippique. Quel que soit l'hippodrome en Algérie, les turfistes sont prêts à tout pour toucher le tiercé dans l'ordre. La Société des courses et les vétérinaires jurent ne pouvoir rien faire en l'absence de contrôles en laboratoire. Une triste réalité qui arrange les propriétaires… C'est une histoire que tous les turfistes connaissent par cœur. 1989, pour le Grand Prix du président de la République, un cheval du nom de Libass est présenté comme l'archifavori de l'épreuve. Pour truquer la course, un turfiste propose 50 000 DA à l'entraîneur du cheval pour qu'il lui administre un somnifère, censé l'endormir avant le départ. Au courant de l'affaire, un autre turfiste offre la même somme, mais pour que l'on injecte au cheval un excitant. Le matin de la course, l'entraîneur trouve Libass mort. L'animal n'a pas résisté aux deux produits qu'on venait de lui administrer. Des histoires comme celles-ci, les turfistes d'Alger, d'Oran ou d'El Eulma en connaissent des centaines. Car dans ce monde, tous les coups sont permis. Il est très facile de soudoyer un jockey pour qu'il retienne sa monture et l'empêche de remporter une course. Ce matin, il n'y a pas foule pour l'entraînement des chevaux à l'hippodrome du Caroubier à Alger. La veille, il a plu, rendant la piste lourde et dangereuse pour les tendons du cheval. Seuls deux lads sont en piste. Ils sont chargés des entraînements matinaux et effectuent quelques courses de vitesse. Debout, face à la piste, un propriétaire d'écurie confie, dépité : «C'est un secret de Polichinelle. Tous les chevaux qui courent la première série lors des courses sont “chargés“ (drogués dans le jargon hippique, ndlr). La plupart des propriétaires ont recours au dopage... Il y en a bien quelques-uns qui ont tenté de résister, mais ils ont finalement dû se résigner à faire la même chose pour gagner des courses.» Broncho-dilatateur Dans les hippodromes, il est facile de croiser des guérisseurs qui vous proposent des produits dopants. Pour 900 DA, il est possible d'injecter au cheval un broncho-dilatateur censé renforcer son activité cardiaque. Ou pour 10 000 DA, du Ventipulmine en granulés, un puissant anabolisant que le propriétaire mélange à l'alimentation. Ces produits dopants viendraient de Libye ou de France. Mais si on peut doper un cheval pour qu'il coure plus vite, on peut aussi lui faire boire énormément d'eau avant une épreuve, pour l'alourdir et lui faire perdre la course. Un employé de l'hippodrome, qui a connu les années 1980, les années fastes où les Algériens se déplaçaient en famille pour les entraînements et les courses, regrette : «Cette époque, propre et conviviale, est révolue. La rupture a eu lieu en 1983 avec la fermeture de l'hippodrome du Caroubier et le transfert des courses à Oran. Depuis cet arrêt, le site n'a jamais pu retrouver son prestige d'antan, malgré tous les efforts entrepris par la Société des courses.» Cette mutation s'est accompagnée de l'arrivée d'une nouvelle génération de propriétaires et de jockeys qui ont totalement changé les règles du milieu. «Les dotations des prix n'étant pas très importantes en Algérie, comparativement à la Tunisie ou la Libye, certains propriétaires sont tentés de tricher, par tous les moyens, pour placer leurs chevaux», note-t-il d'un air désabusé. Il se rappelle de son grand-père, qui lui avait transmis l'amour du cheval. A l'âge de 4 ans, il l'accompagnait aux courses du Caroubier. Aujourd'hui, il perpétue la tradition familiale en faisant courir sous les trois couleurs familiales, deux purs-sang arabes dont il est propriétaire et qu'il a acquis en France pour 30 000 € et pour lesquels il débourse 12 000 DA pour la location de deux boxes à l'hippodrome. Il déplore l'absence de compétence professionnelle et l'amateurisme qui règne dans le milieu. «En Algérie, il n'y a ni véritable entraîneur ni véritable jockey. Ces derniers sont les enfants du milieu qui gravitent autour des hippodromes et qui sont engagés, faute de mieux.» Grande nervosité Interrogée sur cette question de dopage, la direction de la Société des courses, qui dépend du ministère de l'Agriculture, s'avoue impuissante. Officiellement, «en l'absence d'un laboratoire d'analyses, il est impossible de prouver quoi que ce soit.» Une tentative de collaboration avec une entreprise nationale a échoué dernièrement. «On a essayé de mettre en place un contrôle avec l'aide de Saidal, nous explique-t-on. Mais on a dû arrêter parce qu'on s'est rendu compte que leurs résultats n'étaient pas fiables, faute de matériel adéquat», confie un employé de la Société des courses. Cette situation contraint les instances à fermer les yeux sur les pratiques qui ont cours dans les hippodromes. Seule marge de manœuvre pour le commissaire de courses : avant le départ, si le cheval présente des signes de trop grande nervosité ou s'il se met à baver abondamment, signes avant-coureurs d'une tentative de dopage à la caféine, il peut retirer l'animal de la course. Mais sans que le propriétaire ou l'entraîneur ne soient inquiétés puisque, encore une fois, aucun test n'est possible. En ce moment, les discussions se terminent toutes par la dernière anecdote croustillante qui circule dans le milieu. Lors d'une course à El Eulma, un cheval tellement dopé a éjecté son jockey avant le départ avant de se mettre à cavaler comme un fou autour de la piste et de tenter d'accéder aux tribunes de l'hippodrome au plus grand plaisir des nombreux turfistes présents ce jour-là…