Le ministre des Moudjahidine, Mohamed Cherif Abbas, est sorti pour la première fois de sa réserve pour évoquer le scandale du dossier des faux moudjahidine. Cette affaire qui porte un grave discrédit à la révolution et aux authentiques moudjahidine remonte en vérité aux années 1980 où elle avait été portée pour la première fois sur la place publique. Ce fut à l'époque l'ancien ministre des Moudjahidine, M. Djeghaba, qui en avait fait état à l'APN, révélant en ce temps-là déjà l'existence de quelque 12000 dossiers de faux moudjahidine. Des engagements furent pris à l'époque pour assainir ce lourd contentieux, en recourant y compris à la justice, pour débusquer les faux moudjahidine qui se sont sucrés sur le dos du peuple et de la révolution en profitant des bienfaits et des largesses liés au statut de moudjahid. Plusieurs années plus tard, le dossier se trouve toujours à son point de départ. Pis, de nouveaux bénéficiaires ayant usurpé la qualité de moudjahid sont venus grossir le lot des moudjahidine en utilisant des complicités au niveau des structures locales et centrales du ministère des Moudjahidine. Le chiffre officiel sur le nombre de moudjahidine recensés n'a jamais été rendu public. L'opération d'authentification de la qualité de moudjahid avait été officiellement interrompue un temps pour permettre justement d'assainir ce dossier, mais cela n'avait pas empêché pour autant de nouveaux bénéficiaires d'obtenir leurs cartes de moudjahid en utilisant des circuits parallèles. C'est dire que la sortie médiatique de Mohamed Cherif Abbas qui donne l'impression d'avoir remué une montagne en reconnaissant l'existence de faux moudjahidine par milliers n'a rien d'un scoop. Il ne fait qu'établir lui aussi comme ses prédécesseurs un constat au demeurant fort connu du phénomène de la fraude qui n'a pas épargné même des valeurs hautement symboliques de notre société et de notre histoire. Le moment est venu aujourd'hui de passer à un autre stade, celui de solder définitivement ce dossier en démasquant les faux moudjahidine et en leur faisant appliquer la loi dans toute sa rigueur. Le ministre des Moudjahidine a reconnu que près de 50% du budget de son secteur est absorbé par les pensions servies aux moudjahidine et ayant droits. Et si l'information donnée par Mohamed Cherif Abbas selon laquelle les faux moudjahidine se compteraient par milliers se confirme on imagine alors le préjudice financier cumulé sur plusieurs années causé au Trésor public et, au-delà, les graves conséquences d'une telle forfaiture sur la révolution souillée par des agissements cupides que la morale et l'histoire réprouvent. Après les graves accusations du ministre des Moudjahidine qui donnent ainsi raison, très tardivement, faut-il le souligner, au combat solitaire mené depuis plusieurs années par un groupe de moudjahidine qui ont tenté de médiatiser cette affaire pour se faire entendre et rendre justice à l'histoire, l'opinion algérienne est en droit d'attendre désormais des actes concrets de la part des pouvoirs publics pour aller au-delà des mots et des condamnations morales. Le fait que le dossier ait été gardé secret dans les tiroirs pendant des années avant que les langues ne commencent à se délier signifie que ses enjeux sont lourds. Il faudrait une réelle volonté politique pour s'attaquer à ce dossier qui peut remettre en cause de fragiles équilibres établis entre les réseaux d'influences qui se partagent la rente du pays. Que n'a-t-on pas entendu sur cette question de faux moudjahid ? De hauts responsables de l'Etat qui se revendiquent moudjahid alors qu'ils n'ont jamais fait le coup de feu ni fréquenté de près ou de loin l'école de la révolution. Suprême offense à la révolution de Novembre, on a même parlé d'infiltration de harkis dans les rouages de l'Etat ! C'est dire l'acuité de ce dossier qui s'apparente à une véritable bombe à retardement. Si on s'amusait à ouvrir cette boîte de Pandore... On comprend alors la prudence affichée par le ministre des Moudjahidine qui a laissé entendre qu'il ne fallait pas compter sur lui pour refaire l'histoire et assainir le fichier des moudjahidine. A ce travail d'audit qui pourrait révéler bien des surprises, il préfère plutôt s'engager sur l'avenir en faisant le pari de ne plus permettre qu'une telle situation se renouvelle. C'est le compromis que les pouvoirs publics semblent avoir trouvé pour apurer ce dossier dans le souci de préserver des équilibres de groupes au détriment de l'intérêt général. Encore une fois, tout laisse croire que la justice qui est vivement interpellée par ce dossier est tenue à l'écart. Et pourtant, il s'agit bel et bien d'un délit sévèrement réprimé par la loi.